Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

atelier du 19/03/2014

1)

Pour nombre de gens, seule la perte d’un être cher peut expliquer un profond chagrin. Pour vous parler de la perte qui me fut la plus douloureuse après la perte de mon père, il me faut revenir quarante ans en arrière. Je venais de fêter mes treize ans et pour la première fois de ma vie, je me sentais importante. J’avais emporté à l’école les dessins que mon grand-père avait rapportés des camps de concentration. Tout un après-midi fut consacré à l’étude de ces dessins et le soir lorsque la maîtresse me les rendit, elle me remercia chaleureusement d’avoir partagé mon trésor avec la classe. Ce fut sans doute la seule et unique journée d’école où je pris du plaisir à écouter une maîtresse. Ces dix dessins étaient terribles. Il n’y avait nul besoin de mots, pour les expliquer, tant l’horreur de la situation, qu’ils décrivaient, était frappante.

 

Sur l’un d’entre eux, on voyait un pauvre homme squelettique devant un médecin qui prenait sa tension. L’homme, appuyé contre le mur, l’ignorait, mais au niveau de sa tête un trou avait été pratiqué dans le mur et au bout de cet orifice se tenait un officier nazi avec un pistolet. Quand le médecin disait au pauvre homme : « vous allez vous reposer deux jours », le SS tirait envoyant l’homme à la mort.

 

Sur ce second dessin, ce sont des hommes qui portent l’étoile jaune et qu’on oblige à tondre à la chaine des cohortes d’hommes et de femmes avant leur entrée dans la chambre à gaz.

 

Sur cet autre, on voit des juifs, contraints par les armes, arracher les dents en or des cadavres au sortir de la chambre à gaz. Ce sont parfois, leurs propres parents qu’ils doivent mutiler.

 

Et encore un, là ce sont des femmes qui tentent, comme elles peuvent, de cacher un bébé squelettique dans un baraquement de misère. Dehors, les SS tournent à l’affut du moindre bruit.

 

Sur celui-ci, en noir et blanc, des hommes, squelettes vivants, entassent les corps dans de vastes charniers. L’un d’eaux se révolte et les nazis tirent, laissant un fleuve rouge sang traverser la page couleur de désespoir. Les corps sont nus, les visages figés en des scènes d’épouvante.

 

Les autres avec le temps se sont éloignés de ma mémoire, mais entre dix mille dessins, je saurais les reconnaître.

 

Tous les dessins étaient de cet ordre. J’attachais à ces œuvres une passion quasi religieuse. Pour moi, elles étaient la preuve que l’homme peut être une bête. Lorsque le soir venu, je ramenai les dessins à la maison, mon père entra dans une colère terrible, me disant que jamais je n’aurais dû les sortir de la maison, et patati et patata.

 

Quel ne fut pas mon chagrin quand, un an plus tard, il les prêta à un de ses collègues de travail ! Celui-ci sortait avec une dinde blonde qui les lui emprunta à son tour. Malgré tous les efforts paternels et mes efforts successifs pour le forcer à les récupérer, rien n’y fit. Nous ne revîmes jamais ces témoignages d’un passé qui a tendance aujourd’hui à être renié.

 

Aujourd’hui encore, il m’arrive de chercher sur internet la trace de ces œuvres, inscrites en lettres de sang dans ma mémoire. Mémoire de ce grand-père trop tôt disparu, et qui, me suis-je souvent dit, doit sévèrement regretter de les avoir confié à son fils, trop futile pour comprendre l’importance que ces dessins représentaient pour lui qui en avait réchappé.

 

Une fois en réunion de famille, j’osai aborder ce sujet, toute la famille me tomba dessus en me disant que j’aimais vraiment me faire du mouron pour des conneries. Que ce n’était que de la paperasse et que la guerre était finie depuis longtemps. Qu’il fallait passer à autre chose !

 

Comment leur dire qu’à quatorze ans, je ne voyais pas 60 millions de morts comme une connerie ? Et que tous ceux-là, qui prenaient si facilement ce problème à la légère, risquaient fort un jour de se retrouver confrontés à nouveau à une telle horreur. Mon grand-père parlait huit langues, cela l’avait sauvé de la chambre à gaz. Qu’est-ce qui nous sauvera demain, face à la bestialité humaine si nous n’entretenons pas le devoir de mémoire ?

Maridan 19/03/2014

 

2)

 

Ils sont tous là ! Ils sont venus nombreux, chacun y va de sa petite réflexion à deux balles. Plus cons qu’eux, je meurs. Grande réunion au sommet. Aujourd’hui, on doit voter pour élire le nouveau maire de la commune. Il faut dire qu’il y a du choix :

-          un communiste de mes deux, qui partagera surtout les emmerdes.

-          un UMP farci aux amphétamines, et aux idées prédigérées de son super candidat aux affaires bien crades,

-          une pute d’extrême droite,

-          un abruti qui représente les verts et qui cultive surtout les verres au bistrot du coin.

-          Et puis le voilà, lui, le nouveau. Petite gueule bien propre, tiré à quatre épingles dans un costume un peu trop grand pour lui. Lui, il se présente sans étiquette. La politique, dit-il, il y est venu, parce qu’autour de lui, tous pourris.

 

Je les écoute s’affronter les uns après les autres. Tous ces coqs prêts à en découdre pour bouffer le fromage qu’il convoite.

Et qu’est-ce qu’ils convoitent ces vautours ? La mairie de mon petit village. Lui, il va avec sa femme fricoter le samedi soir dans les clubs échangistes. Tu me diras, le fait de baiser comme des castors lui donne peut-être les idées claires, mais vu la façon dont il reluque le corsage de celle qui se présente sous l’étiquette « proche de la nature » j’ai dans l’idée qu’aussitôt élu, il laissera sa rombière à la maison et il ira conter fleurette à la dégrafée à forte poitrine.

 

Cet autre, gras du bide, parle à tout va, sonne, claironne, tout ce qu’il fera pour notre village. Ouais, eh bien quand on voit ce que ses prédécesseurs, dont ils se réclament, ont fait, pas très envie de lui confier les clefs de la ville.

 

Ah! C’est au tour de la gourde blonde du FN, priorité aux Français, on sort de l’Euro, on fout les bicots à la porte. Purée ! J’ignorais qu’on parlait encore comme cela en France. Mais d’où ils me sortent cette Cro-Magnon. À mon avis, ils l’ont sorti d’un zoo, juste pour les élections. Pas sûre qu’elle sache même ce qu’elle dit la pintade.

 

Le Coco, alors lui, on voit qu’il a le nez parcheminé des suceurs de gros nanar, pas le millésimé, non celui qui accroche et qui tâche, style Gervoise ou Préfontaine. Lui, c’est du solide, club taurin, finale de rugby, grillades et compagnie, ça gesticule et parle fort. Bref, tous les bœufs dans la salle se sont reconnus et acclament leur champion.

 

Moi, j’étais venue là pour entendre leurs programmes, choisir avec bon sens, voir qui serait à même de me proposer un avenir limpide pour mon petit village encerclé par les eaux qui montent. Mais de projets, que nenni, il n’y en a point. Des palabres, des ragots, ils en ont amené des caisses, mais de vues communes pour l’avenir, de participations efficaces et structurées, il n’y en aura pas. Ici, on picole, on parle pour ne rien dire, on ne laisse personne penser; cela pourrait être dangereux, car enfin on le sait bien, quand les gens se mettent à réfléchir, ils arrivent à être moins bêtes et nos élus, ce qu’ils veulent c’est du bon bourrin, bien de chez nous, bleu, blanc, rouge quoi !

 

Les gris, on verra plus tard. Aucun n’abordera le sujet ce soir, car on sait jamais, si l’un d’entre eux leur offre la possibilité de voter, il ne faudrait pas les froisser. Mais quand même, tous ceux-là, ils savent bien que juifs, arabes, roms c’est la même engeance, ils ne sont pas clairs du collier ces gens-là !

 

Moi, seule au fond de la salle, j’observe tous les protagonistes venus vendre leurs salades aux couillons que nous sommes. Une furieuse envie de vomir me prend. De l’air ! J’ai besoin de respirer. Et tandis que de la salle s’élève un brouhaha, moi je m’envole, je quitte ce lieu où mon corps reste prisonnier de la foule vagissante.

 

Mon cœur et mon âme ont pris le large. Pas question de rester auprès de ces zombies sans avenir. Moi je veux du bleu, je veux du rêve. Je veux des gens différents, de tous horizons, de toutes couleurs et qui s’aiment. Qui s’aiment tant qu’ils bâtissent ensemble, construisent ensemble, vivent ensemble, et partagent, se cultivent et cultivent la terre ensemble encore et tous ceux-là, enfin assemblés en une marée immense et forte, plus un politique ne pourra leur dicter leur conduite, plus un patron ne pourra les obliger à œuvrer dans un sens contre nature. D’ailleurs, si tous œuvrent dans le même sens. Ils ne travailleront plus que deux heures par jour, le reste sera consacré à l’apprentissage de l’être et non plus du paraître.

 

Les hurlements frénétiques de la foule délirante m’ont obligé à réintégrer mon corps et devant les vociférations des uns et des autres, j’ai préféré laisser les tristes sires à leurs combines politicardes et partisanes.

 

Moi que voulez-vous, j’ai mes cahiers, mon chien, mon chat, et mon amour qui m’attendent bien au chaud dans ma maison qui reste, j’en remercie l’univers, un ilot préservé de tous ces illuminés sans consistance à la recherche d’un pouvoir illusoire.

 

On ne sait jamais, si demain c’est la fin du monde, je préfère profiter encore un peu de ceux que j’aime vraiment. Et croyez-moi, pour cela pas besoin de politique.

ment. Et croyez-moi, pour cela pas besoin de politique.

 

Maridan 19/03/2014



19/03/2014
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