Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier du 21/04/2015

1°) Histoire à quatre mains.

 

C’est bête de dire que tous les enfants sont adorables.

 

C’est par ces mots qu’elle commença à écrire. Les souvenirs remontaient en vagues puissantes et douloureuses. Douloureuses d’avoir été trop longtemps refoulées tout au fond de sa mémoire d’enfant.

Enfermées, cadenassées sous les lourdes portes des cauchemars enfouis.

 

C’est en voyant cette petite fille malmenée par trois odieuses filles à papa que le flot amer avait rompu les amarres. D’une voix froide, glaciale, elle avait juste dit :

 

« Vous avez besoin d’aide ? »

 

Les trois petites sorcières s’étaient figées, stupéfaites d’avoir été découvertes dans leur repère secret. Elles disparurent comme une envolée de moineaux. Quelquefois, parmi les loups, dissimulés sous le masque de l’ignominie, se cachent quelques anges. C’est l’un d’eux qui était venu prévenir Maria qu’un drame était sur le point de se produire.

 

Dix ans plus tôt, lorsqu’elle avait démarré sa carrière d’enseignante, elle ne se serait même pas déplacée. Depuis, elle avait appris à reconnaître les signes avant-coureurs. Aujourd’hui, elle repérait dès la rentrée des classes les futures victimes des meutes de jeunes loups. C’est pourquoi, quand le jeune Thomas était venu la chercher en courant, et en la tirant hors de sa classe, qu’elle avait compris l’urgence.

 

Ce qu’elle avait surpris lui avait donné une envie furieuse d’écraser la tête des trois petites punaises qui avait torturé la jeune Lamia, trop belle, trop douce, trop sage et pire que tout trop intelligente pour une enfant d’immigré. Elle avait vu sur leurs visages figés le conte qu’elles lui serviraient pour justifier leur conduite.

 

Maridan

 

Le petit Thomas était arrivé en coup de vent, la mine défaite, essoufflé. Il avait apporté l’affreuse nouvelle. Le petit Thomas au visage d’ange. L’ange du salut. Mais pour Lamia, ç’avait été trop tard. Bien calculé, le coup. Parfaitement minuté. L’ange du salut qui arrive trop tard pour rien sauver, mais juste à temps pour donner la dernière touche au tableau. Une paire d’ailes blanches qui se déploient impuissantes au-dessus de la scène du drame. Touchant, non ?

Et la scène, artistiquement arrangée : au milieu de la clairière, sur le rocher plat comme une table massive, le corps frêle de Lamia, terrible et gracieux dans la mort, ses cheveux coupés, les boucles répandues autour, ses petits seins tranchés, le torse baigné de sang, la bouche ouverte pour appeler Thomas au secours.

 

Gabriela

 

La maîtresse se secoua pour chasser ces horribles pensées et écouter enfin ce que Thomas avait à dire.

« Venez vite, c’est Lamia, elle s’est fait mal ! »

Le mal, oh oui ! Ce mal qui ronge certains individus dès leur plus jeune âge. Elle le connaissait, trop bien, beaucoup trop bien. Il était présent dans sa classe, il habitait ces trois petites pestes, il les rongeait.

 

Alex

 

Elle pose sa plume, relit son écrit du matin. C’est une sorte de panégyrique de la peur. La peur et le mal qui l’accompagne. La peur et sa transmission, inconsciente, sans mettre les mots nécessaires à ce dé-asservissement.

C’est pour cela qu’elle écrit, couche sur le papier ses blessures. Tous les jours, elle brûle vive pour mieux renaître de ses cendres.

Lavée, propre à une vie de femme. Libérée, dessoudée. Rompit la chaîne sans fin. C’est toute une histoire, son histoire.

 

Bernard

 

2°) Le personnage

 

Il avance seul, comme d’habitude. Sa longue silhouette décharnée pourrait laisser penser qu’il est maigre. Il n’en est rien. S’il déposait ses vêtements, on pourrait voir un corps musclé, sec et noueux. La vie ne l’a pas épargné, mais épargne-t-elle quelqu’un ?

 

Certains se seraient effondrés sous les coups du sort qui ont jalonné sa vie, s’acharnant sur lui. Mais Yves est d’une autre trempe. Chaque épreuve l’a rendu plus fort, plus endurant. Ancien légionnaire, il a mené sa bosse sur les cinq continents, exercé mille métiers pour se fournir son pain et l’essentiel nécessaire à sa survie. Ses yeux délavés recèlent des aventures venues d’ailleurs. Sa bouche fine et serrée montre une détermination farouche de ne pas s’en laisser conter.

 

Il avance d’un pas énergique, la tête bien droite comme s’il voyait loin devant lui. Ce n’est pas un observateur, il ne prête attention à rien. Il est dans l’action. La seule chose mobile chez lui c’est la chaîne qu’il porte au cou et au bout de laquelle pend sa médaille militaire.

 

Il est beau ! Pas à la manière des hommes des magazines, non, beau parce qu’il dégage de viril. Des mains longues et fines, des cheveux courts et bruns, rasés même. Des yeux bleu très clair. Les femmes le regardent passer, mais il ne les voit pas.

 

Il chemine seul depuis très longtemps. Son blouson de cuir camel semble indiquer un passé d’aviateur, quoiqu’aujourd’hui, bien des hommes en portent sans pour autant piloter des avions. Il semble ne manquer de rien et les Westons qu’il porte aux pieds sont un signe extérieur d’une aisance matérielle. D’ailleurs, le voici qui s’approche d’un porche Cayenne. Il ôte son blouson, dévoilant un tee-shirt noir, ajusté près du corps qui révèle des épaules larges et un ventre plat. Il dépose son blouson sur le siège passager, contourne le véhicule et s’assoit au volant.

 

3°) Ronde de mots et phrases

 

Les oiseaux pépient tout autour de moi et mon oreille tente, bien maladroitement, de distinguer leurs chants. Pas évident, lorsque comme aujourd’hui, je me retrouve dans un parc qui bruisse de mille et sons. Ainsi, pas très loin de moi, un comédien déclame sa tirade affublé d’un curieux chapeau-claque qui petit à petit s’aplatit donnant à l’artiste un petit air idiot.

 

Là, ce sont des enfants sagement assis autour de leur maîtresse et qui meurent d’envie de partir gambader et qui à défaut bataillent gentiment.

 

J’ai mal au dos et des crampes dans les jambes. J’aimerais m’allonger dans l’herbe, fermer les yeux et me recentrer sur les sons qui m’entourent. Le pépiement des moineaux s’est interrompu, mais d’autres oiseaux ont pris le relais. Le flot de circulation un peu plus loin installe un fond sonore désagréable. Heureusement, le vent caresse mon visage et m’apporte un rafraîchissement passager et fort agréable.

 

Nous sommes là, tous les quatre assidus sur nos pages. De temps en temps, une tête se soulève et la main stoppe sa course folle sur le papier. Puis, les yeux se perdent à nouveau dans le vague et l’écriture reprend.

 

Cette nuit enfin, j’ai réussi à dormir cinq heures, alors je profite de cet instant de quiétude et de partage. Il est des nuits comme celle-ci où tout s’éclaire et cela permet de continuer à avancer. Une journée comme celle-ci m’apaise. J’ai besoin de nature. Sentir la terre humide, caresser la pierre brute, toucher les arbres afin qu’ils me transmettent un peu de leur force régénératrice. Cela me ravigote bien plus que tous leurs traitements chimiques.

 

Il est beau ce parc. Tout éclairé des arbres de Judée qui déploient leur floraison fuchsia. Nous avons partagé notre pique-nique, oranges et clémentines, café et gâteaux. À présent, nous partageons nos mots et écrivons l’histoire commune. C’est presque jouissif ces échanges où la pensée fusionne avec le groupe. Sentir nos esprits en communion dans un but commun, celui de produire la belle histoire. Celle qui depuis l’invention du papyrus raconte la merveilleuse histoire de l’humanité.

 

L’herbe est verte sur la prairie des mots, elle ne fane jamais. Ne taris jamais. Nulle carence en ce domaine. Tant que l’homme pourra prendre plume, les histoires rallieront les peuples. Si seulement ces mots pouvaient n’être que paix et amour !

 

C’est presque un sacerdoce impossible à mettre en œuvre. Tant de colère tout autour de nous, mais là, ici et maintenant, tout est quiétude et harmonie et ça gazouille dans tous les arbres, tout autour de nous.

 

Bon ! J’avoue, je n’arrive pas à distinguer ni à voir les oiseaux dans les arbres. J’ai croisé des corneilles, des moineaux et quelques tourterelles, mais il y en a d’autres c’est certain. Inutile ici d’espérer une minute de silence, elle ne se fera pas et c’est tant mieux ! Qu’importe, l’essentiel est ailleurs. Écrire, c’était le deal et c’est ce que j’ai fait ; même si cela ne vaut pas grand-chose !

 

Maridan 23/04/15



05/05/2015
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