Maridan-Gyres

La lettre

Les mots dansent devant mes yeux humides, les larmes ne veulent plus couler, elles se figent : je n’arrive plus à pleurer. Je serre contre ma poitrine le papier froissé, puis je relis encore et encore cette lettre de toi, mon amour, mon autre. Toi que je croyais connaître, toi qui m’as fait croire en moi, pourquoi aujourd’hui viens-tu me voler ma vie ?

Tu me dis que grâce à moi tu as pu goûter au bonheur d’un clair de lune, tu me dis que je t’ai fait découvrir des plaisirs qui me ressemblent, comme regarder vers le ciel et y trouver la beauté, la lumière.

Tu me dis aussi que tu t’en veux, que tu vis dans un système qui te happe un peu plus chaque jour, et qui ne te permet pas de ralentir ta course. Tu t’en veux mais tu t’en vas. Tu dois continuer à courir après la réussite, tu me demandes pardon…

Je n’arrive pas à poursuivre la lecture de ta lettre. Appuyée contre l’arbre - notre arbre t’en souviens-tu seulement – au fond du jardin, je sens sous mes pieds comme un glissement de terrain, je descends, je m’enfonce lentement. Mes yeux ne voient plus clair. Il fait sombre, il fait froid, le jour est à cheval sur la nuit, comme s’il ne se décidait pas à lui laisser la place.

Je me récite tes phrases que je connais par cœur, celles où tu me dis que ce n’est pas un adieu définitif, que tu ne veux pas me perdre. Mais, tu m’as déjà perdue. Je coule, je me noie dans ma peine, je me débats et lutte pour ne pas hurler mon désespoir. Notre petit chien Ouf sent que je ne vais pas bien, il est malheureux lui aussi ! Au fond vois-tu, je ne t’en veux même pas, je ne pense pas, je ne pense plus. J’ai le cœur anesthésié, j’attends le matin, une délivrance qui sait, une renaissance ? Tel le taureau dans l’arène qui fonce sur le torero, ma désespérance fonce sur moi. Arriverai-je à me redresser moi aussi, fièrement, avec la rage de vaincre ? Oui, je vaincrai, je ne te laisserai pas me détruire : tu m’as appris la vie, je retiendrai la leçon…

ORANE