Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

en attendant les retardataires 25/09/2013

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Elle s’était retrouvée prisonnière de ses mains alors qu’elle n’aspirait qu’à la liberté. Toute son enfance, elle avait rêvé au jour, ou enfin, elle serait libre. Pour elle, ce serait lié à son statut de femme. Souvent, le soir, alors que ses parents échangeaient moult insultes, elle se rendait au bout de leur jardin et grimpait sur le vieux mur qui entourait la propriété. De là, elle voyait la mer au loin, comme les promesses d’horizons lointains, d’ouvertures sur l’inconnu. Ce mur c’était son mirador à elle. De là, elle voyait, ou plutôt, elle imaginait le monde et sa vie future.

Elle aimait à suivre du regard le vol des oiseaux migrateurs. Ceux qui lui offraient leurs plumages immaculés, la faisant songer à la magnifique robe de mariée qu’elle porterait un jour. Tout pour elle était source de ravissement. Comme ce magnifique rosier Pat Austin que sa mère aimait tant. Il était d’une jolie teinte orangé et diffuait un parfum à nul autre pareil qui accompagnait merveilleusement ses rêveries enfantines.

 

Un jour, où son père lui demandait pourquoi elle passait ses journées le nez en l’air, elle lui avait répondu que comme les grands cygnes blancs, quand elle serait grande, elle s’envolerait. Cela l’avait fait rire et ça lui avait gonflé le cœur. Il riait si peu son père. Puis son anniversaire était arrivé et son père lui avait offert le plus beau des cadeaux. Tous les deux, ils étaient partis faire un tour de montgolfière. Pour la première fois, elle avait vu sa maison et surtout son mur d’en haut. Le bonheur avait fait bondir son cœur dans sa jeune poitrine. Sa joie avait été immense.

 

Mais les rêves prennent toujours fin. Il avait fallu redescendre. Pas simple quand on a côtoyé  les étoiles de reprendre pieds dans la réalité. Son père avait immédiatement saisi le regard triste de son enfant. La mère n’avait rien capté, trop centrée sur elle-même pour s’intéresser à la gamine qu’elle avait pourtant fait naître. Il n’y avait pas d’espace pour cette fille qui lui ressemblait trop à lui, l’homme qu’elle n’aimait plus. Et pourtant c’était encore un très bel homme. Elle voyait souvent le regard des autres femmes qui se posait sur lui. Il y a dix ans cela l’aurait rendue folle. A présent, elle s’en moquait ; son cœur n’était plus à lui. Il était à cet autre homme. Ce jeune mec, de vingt ans son cadet, avec sa dégaine nonchalante, son sourire espiègle. Le charme du gamin était venu à bout de ses raideurs.

 

C’était l’un de ses élèves. Sans aucun doute, le plus brillant, le plus intéressant de sa classe. Ils étaient nombreux en début d’année à s’inscrire à ses cours. Puis au fil des mois, elle voyait avec plaisir dégager tous les « tire au flan », les fils à papa, les parasites de tous poils qui encombrent bien trop souvent les amphithéâtres. Lui était resté jusqu’au bout avec ses questions utiles et sa belle petite gueule. Il avait décroché son diplôme avec les félicitations du jury. Le soir des résultats, elle rangeait ses documents dans sa sacoche lorsqu’il était arrivé derrière elle. Elle ne l’avait pas entendu approcher.

 

« J’aimerais vous inviter à dîner pour vous remercier. Je vous dois les félicitations du jury. »

 

Elle avait sursauté et le contenu de sa sacoche s’était répandu sur le sol. Sa double vie avait commencé ce soir-là. Depuis dix ans, ils étaient amants. Elle regarde son mari qui joue avec son enfant à lui. Quel benêt ! L’amant la faisait se sentir jeune, belle et désirable. Mais, il l’aurait jeté sans état d’âme s’il avait su qu’elle attendait son enfant. Par contre, lui faire l’amour pendant qu’elle attendait l’enfant d’un autre ne l’avait pas dégoûté, bien au contraire.

Elle regarde leur fille. Cette enfant, elle ne la comprend pas. Elle n’arrive pas à l’aimer. Pourtant cette grossesse l’avait comblée. Pendant les neuf mois où elle l’avait portée, elle lui avait parlée, l’avait caressée, lui avait même chantée des chansons. Son mari était entré dans leur danse intime et cela l’avait révulsée. Mais elle avait besoin de lui pour des tas de raisons qui n’avaient pas grand-chose à voir avec l’amour. Pour l’accouchement c’est encore lui qui avait été là. La sage-femme lui avait mis la petite dans les bras et elle avait vu naître un coup de foudre immédiat entre ses deux-là. La petite riait dès que son mari approchait. A son contact à elle, l’enfant pleurait. Au bout de deux mois, elle avait renoncé à la séduire. Elle aurait préféré un garçon, avec un petit mâle, elle aurait su faire.

L’enfant avait grandi, la désespérant un peu plus chaque jour. Elle s’habillait comme un garçon. Son père cédait à tous ses caprices. Elle n’aimait ni les robes, ni les rubans et encore moins les poupées. Il y a deux ans, ils étaient partis à Madagascar car son mari voulait que la petite découvre des lémuriens. Au bout de trois jours, elle les avait abandonné sur place et elle était revenue seule à Paris.

Avec l’autre, elle avait passé quinze jours inoubliables, les plus beaux de toute sa vie. Et puis son mari et sa fille étaient rentrés et elle avait continué sa double vie. Le jeune amant avait fini par rencontrer une belle jeune fille de son âge et il avait mis un terme à leur relation. Elle s’était vengée sur eux. Jour après jour, l’enfant avait vu sa mère torturer son pauvre père.

Cet après-midi-là, une fois de plus, ils s’étaient disputés à cause de la tenue que sa fille portait. Son père lui avait offert un jean’s, une tunique jaune et rouge et surtout la belle casquette rouge assortie. L’enfant était heureuse, elle était partie cueillir des fleurs pour sa mère et son père l’avait rejointe. La mère voyait son enfant qui jour après jour ressemblait de plus en plus à son père biologique, lui jetant au visage son infidélité et l’abandon.

 

« Tiens maman, c’est pour toi ! »

 

Aussi quand la petite était rentrée avec ses fleurs, et que lui aussi, lui avait tendu un bouquet, ses larmes s’étaient mises à couler et elle n’avait pas pu les arrêter. C’est à ses larmes et aux deux bouquets éparpillés sur le sol qu’elle songe à ce moment, perchée sur son mur. Déjà quatre ans que sa mère a disparu.

Elle avait appris la vérité sur sa naissance le jour du suicide maternel. Sa mère avait voulu mettre un terme à ses souffrances en les punissant eux, les deux innocents. Lorsqu’elle était rentrée, seule et en larmes, de l’école. Sa mère n’était pas là. Quand elle ne l’avait pas vu à la sortie des cours, elle avait pensé qu’une fois de plus, elle l’avait oublié. Elle avait rangé ses chaussures, mis ses chaussons, ôté son manteau et elle s’était dirigée vers le bureau de son père pour faire ses devoirs. Elle aimait l’attendre là quand elle était seule.

 

Elle avait tout de suite vu la lettre, posée là, bien en évidence. Elle avait lu le prénom de son père écrit avec fureur. Elle s’était emparée de la missive et avait couru jusqu’à sa chambre. Son jeune cœur avait failli exploser sous la violence des mots jetés avec haine sur la feuille. Elle aimait tellement son père qu’elle n’avait pas pu supporter qu’elle le blesse encore. Elle avait détruit l’infâme courrier et avait jeté les morceaux dans les toilettes dont ils n’auraient jamais du sortir. Elle ne voulait pas d’autre père que lui. Elle serait seule à porter le poids de la honte maternelle. Elle se moquait de savoir qui l’avait conçu. Elle avait le plus important, le plus beau, le plus fort, elle avait ce père qui l’aimait et qu’elle adorait et la mégère ne détruirait pas cela. Quand les toilettes eurent avalé l’abjecte, elle retourna au bureau et attendit son père. Il rentra une heure plus tard.

« Bonjour mon cœur. Où est ta mère ? »

« Bonsoir papa. Je l’ignore, elle n’était pas à la sortie des classes ce soir. »

Comme elle, il passa d’une pièce à l’autre sans succès. Il appela tour à tour tous leurs amis sans plus de succès. Le lendemain matin, elle n’était pas rentrée, alors, il appela la police pour signaler sa disparition. Son correspondant lui répondit d’attendre la fin du week-end, que les gens de cet âge font quelquefois des fugues. Elle vit le désespoir de son père débuter à cet instant-là.

Deux agents de police vinrent trois jours plus tard leur dire qu’un corps avait été retrouvé dans un amphithéâtre de la fac. Elle s’était suicidée à la place où son amant l’avait vu pour la première fois. L'autre saurait, tout comme elle. Mais ce secret resterait entre eux. L’autopsie révéla que sa mère avait absorbé de grandes quantités de barbituriques qu’elle avait noyé dans du whisky.

Son père ne survécu pas longtemps à son épouse. Elle le vit s’enfoncer dans un désespoir sans nom. Elle avait essayé de toutes ses forces de le tirer de sa dépression, sans succès. Au bout de trois mois l’enquête sur la mort de sa mère fut close. Elle sortit majeure de sa promotion d’avocate à vingt ans. Deux plus tard en rentrant du travail, elle trouva son pauvre père, mort à son bureau. Il lui avait laissé une lettre lui demandant de lui pardonner. Il n’avait plus la force de lutter, il la savait capable de se débrouiller et d’avancer seule dans la vie. Il lui laissait de quoi vivre largement.

Elle, qui avait vécu les huit dernières années en totale autarcie avec lui, devait réapprendre à s’ouvrir aux autres. Elle quitta le cabinet dans lequel elle travaillait et partit s’installer à Alicante en Espagne. La joie de vivre espagnole l’avait tentée. Et puis elle avait rencontré cet homme merveilleux qui l’avait aimé sans retenue. Et elle s’était laissé prendre.

Ce matin, elle avait lu le résultat du test de maternité. Elle était enceinte. Tous ses vieux démons s’étaient réveillés. Elle ne se sentait plus libre. Soudain, elle avait l’impression que des murs épais se refermaient sur elle. Les larmes avaient jailli. Enfin ! Le flot salvateur s’était écoulé. Lui était rentré , l’avait trouvé recroquevillée dans le fauteuil du séjour. Il n’avait rien dit, l’avait entouré de ses bras chaleureux. Lui avait murmuré des mots tendres à l’oreille, cherchant à comprendre ce qui lui arrivait. Elle l’avait regardé. Ses yeux posés sur elle étaient la promesse de lendemains qui chantent, alors, pour la première fois depuis qu’ils s’étaient rencontrés, elle avait dit. Les mots qui font mal, les disputes qui brisent et l’amour qui meurt. Lui n’avait rien dit. Doucement il avait caressé son visage et il avait juste prononcé ces mots :

« Tu es libre de recevoir l’amour que j’ai pour toi. Il est là aujourd’hui, il sera là demain et tant que Dieu me prêtera vie. Si un jour, un autre me remplace dans ton cœur, je te libérerai,  je ne veux que ton bonheur. Tant mieux si c’est avec moi. N’aies plus jamais peur mon amour. »

Elle avait ouvert ses bras et lui avait fait don de la merveilleuse nouvelle. Les fantômes s’étaient enfuis. Elle n’avait plus peur.

 

Marie-Christine 26/09/2013



26/09/2013
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