Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

J'aurais préféré vivre - Thierry Cohen

     Résumé :
Le 8 mai 2001, jour de ses vingt ans, Jeremy se suicide. Victoria, la femme qu'il aime, l'a rejeté. Le 8 Mai 2002, il se réveille près de Victoria, folle d'amour pour lui. Est-il vraiment mort ? Jeremy devient alors le spectateur d'une vie qui lui échappe. Une vie étrange, dans laquelle sa personnalité est différente, change, évolue, l'inquiète. Au fil des jours et des réveils, Jeremy va dérouler le fil d'un destin qu'il n'a pas choisi... le sien.
J'aurais préféré vivre par Cohen
 

Extrait

8 mai 2001

Les cachets, le whisky, l'herbe. M'allonger. Je sais ce que je fais. Ne penser qu'à la méthode. Ne penser qu'aux gestes. Ne penser qu'à moi, ici, dans ce salon, à la bouteille, aux cachets. Juste moi. Le bouchon. Le tube. Ouvrir la bouche, poser les cachets sur ma langue, porter la bouteille à mes lèvres. Avaler. Penser à la méthode. Rien d'autre. Pas à papa, pas à maman. Surtout pas. A mon humiliation. Tout seul, ici. Moi et mon humiliation. Je sais ce que je fais. Papa et maman comprendront. Peut-être. Je me fous qu'ils comprennent ! Non... Ne pas y penser. Ne penser à personne.
Aujourd'hui, c'est moi qui décide ! Je ne veux plus de cette vie. Elle est une torture, une insulte. C'est moi qui décide. Et je décide de la rejeter. Je suis maître de la situation !
Et si le courage me manque, si je suis tenté de me lever, de tout arrêter, je penserai à elle. A elle qui est la vie et qui m'a repoussé. Pas aux autres, ceux qui m'aiment, mais à elle qui ne m'aime pas, ne veut pas m'aimer. Ne veut même pas essayer. Sa peau satinée, ses yeux verts, son sourire. Son sourire ! Il est une caresse que sa beauté offre à ceux qui l'approchent. Il est devenu une douleur. Non, tout en elle m'a perdu, m'a entraîné dans cet abîme. L'abîme de la mort contre le vide de ma vie. Quelle différence ?
Dieu, que la tête me tourne. Dieu... Pourquoi m'adresser à toi ? Es-tu là ? As-tu déjà été là ? As-tu entendu mes prières ? Allez, Dieu, réglons nos comptes ! Comment un Dieu de miséricorde a-t-il pu concevoir une telle créature si près de moi et me la refuser ? Dans quel but ? Ma souffrance ? Tu as gagné ! Je souffre. Au point de ne plus vouloir de la vie. Alors, fier de toi ? Je te rends mon avenir. Donne-le à un autre. Tu ne me montres que le gouffre, alors je m'y dirige.
Je n'ai pas peur.
Ne penser qu'à la méthode. Le cône de papier fume encore. M'étourdir un peu plus. M'éloigner de moi pour me séparer d'elle. Voilà, mon esprit flotte, bercé par la fumée et l'alcool. Bientôt les cachets. C'est la méthode. Je transpire. Pas de peur.

Encore quelques secondes. 
Penser à elle.

J'avais décidé de tout lui dire. Aujourd'hui, pour mes vingt ans. Me libérer de mes doutes. Savoir, enfin. J'avais préparé... Mais avais-je besoin de préparer ? J'étais plein de mes mots pour elle. Mais elle ne m'a pas écouté, n'a pas voulu comprendre. Je lui ai parlé de notre amour d'enfance. Le début de l'histoire.
- Mais nous avions neuf ans, Jeremy ! a-t-elle répondu en souriant.
Dix ans. Ce n'est pas si jeune, dix ans. J'étais fou amoureux. Elle m'aimait bien.
Pour elle, un simple jeu d'enfants, quelques baisers candides, une tendre complicité, une mélodie gracieuse. Un souvenir lointain aux couleurs passées.
Pour moi, le début de la vie. Une lumière chaude avant celle de l'été qui nous a séparés.
- Nous sommes devenus amis. Tu as même été mon confident !
Désespoir de ce rôle qu'il m'a fallu assumer durant toutes ces années pour exister près d'elle. Voir tous ces petits frimeurs jouer de leur beauté, de leur physique. Elle aimait tellement plaire. Alors, je me suis éloigné. J'ai tenté de l'oublier. En vain. La douleur, l'espoir. Jusqu'à l'étouffement.
Il fallait que ça cesse. Le jour de mes vingt ans. Comme un ultimatum que l'on pose pour rendre l'attente supportable.
 

Cet ouvrage a reçu le Prix Jean d'Ormesson



29/03/2016
9 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 465 autres membres