Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Le tapissier

 

           Il était une fois, dans le vieux pays d'Arabie où coule l'Euphrate, Ali, le plus doué des tapissiers. Ali aimait son métier autant que sa femme et sa femme autant que son métier.  Il consacrait beaucoup de temps à confectionner ses beaux tapis. Parce qu'il cherchait l'alliance des couleurs, des textures et des dessins les plus achevés, qu'il appréciait les laines d'Alpaga, les fils de soie, d'or et d'argent, qu'il était agile de ses mains et visionnaire de surcroit, ses tapis ne ressemblaient à aucun autre.

 

-         Cela fait trois mois que tu travailles sur cet ouvrage. Quand auras tu donc fini ?

 

Ila regardait de son œil noir le travail de son mari. À quoi bon. Elle préférait dépenser l'argent en belles robes, en bijoux et en parures.  Les gens du marché disaient : 

 

-         Voyez comme les tapis d'Ali éblouissent nos yeux, voyez comme Ila  resplendit avec ses cheveux de jais retenus par ce somptueux peigne d'ivoire serti de rubis et de saphirs. 

 

On ne savait qui était le plus beau, du tapis ou  d'Ila.  Pourtant, la jalousie tapissait le fond d'un cœur.  Une nuit, pendant qu'Ali dormait profondément, elle pénétra à petits pas de babouche dans son atelier.

 

-         Pourquoi mon mari me délaisse ? Qu'as-tu donc de si spécial qu'il te préfère à moi ?

 

Elle déroula l'objet confectionné avec soin et se mit à le piétiner avec tant  de rage que la fenêtre s'ouvrit, laissant passer un vent à l'haleine chargée de jasmin et de rose. Fatalement le tapis se souleva du sol, emportant la belle épouse avec lui au-dehors. Réveillé par des pleurs et des appels au secours, Ali regardait le tapis et Ila s'éloigner vers le croissant de lune dans le ciel poudré d'étoiles.

 

-         Je dois rêver.

-         Non, tu ne rêves pas, nous te quittons. Dit le tapis.

 

Ali n'en croyait pas ses oreilles. Il  pensait être un artisan consciencieux, un mari dévoué. Alors pourquoi d'un coup de féerie ce qu'il aimait le plus s'échappait de sa vie ? Au même moment, Ila survolant la maison, effrayée, triste se laissa kidnapper impuissante. Elle eut soin de bien s'accrocher entre les fibres douces, fermes et robustes afin de ne pas tomber dans le vide, se rendant compte de la chance qu'elle avait d'avoir pour mari un si bon tapissier. Elle pleura. Puis sombra dans le sommeil, y resta tandis qu'elle passait au-dessus des  rivières des villages, des montagnes et  des vallées.

Après de longs jours et de profondes nuits, le tapis ralentit. Comme une feuille tourbillonnant il vint se poser dans le désert. La terre se mit à hurler et dans un brouhaha abracadabrant  surgit de loin une cohorte insensée de casseroles, de jattes, de jarres,  récipients divers, pots, plats, assiettes, couverts,  louches, cuillères, passoires, écumeuse,  fouets à crème,  doseurs, balances. Une méharée insensée cheminait dans la dune blonde, sous le soleil dardant ses rayons de lumières. Le tapis suivait. Ila toujours dessus se bouchait les oreilles parce qu'en se déplaçant les objets s'entrechoquaient et qu'elle ne pouvait pas supporter pareille cacophonie.

Mirage ou merveille, la batterie de cuisine s'arrêta dans un jardin immense. Il y avait là, un très grand verger,  un splendide potager et un garde à manger d'où on pouvait trouver toutes sortes de victuailles, sans compter les vaches, les chèvres, les brebis, les poules et Allah sait quoi encore. Ila descendit du tapis. Elle avait très faim et ne se priva pas.  Il y avait, du miel et des sucres dorés, de la cannelle et des épices colorées, du lait d'ânesse et de brebis et des œufs aussi, des fleurs et des fruits. Mais quand elle eut  goûté de ci de la, Ila s'ennuya et voulu fabriquer des entremets bien à elle.  Elle coiffa la toge blanche dans ses cheveux de jais et enfila le tablier puis se mit à composer des gâteaux comme des symphonies. Des crèmes, des chocolats, des bonbons, des loukoums meilleurs de jours en jours, savoureux et succulents ! Pourtant personne n'était là pour se régaler.

Passés dix jours de frénésie culinaire, songeuse, elle s'endormit en pensant très fort à Ali. Elle le comprenait à présent. Elle aussi avait goûté le plaisir du bien faire, la beauté du bel ouvrage. Elle rêva si fort de son mari qu'à son réveil il était tout près d'elle, dans leur lit, dans leur maison et il la regardait amoureux, étonné...

 

            Il était une fois, dans le vieux pays d'Arabie où coule l'Euphrate, Ali le plus doué des pâtissiers et Ila la meilleure tapissière... Où était-ce le contraire ?

 

Véro 14/05/2014



18/05/2014
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