Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Psychose 11/09/2013

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Ils s'étaient couchés là, côte à côte, encastrés l'un dans l'autre.

Et avaient attendu la mort.

Durant toute leur vie.

Ils étaient morts comme ils avaient vécu.

Ils étaient morts avant d'avoir vécu.

Nés ensemble en se tenant la main.

Deux du même ventre, habités par la même mère.

Une mère veilleuse, odorante et animale.

Une mère protectrice et accablante.

Qui les avait élevés contre son sein, serrés, toujours pelotonnés.

 

Elle, la mère, n'avait pu les séparer,

Elle n'avait pas choisi.

Elle les avait tous les deux écoutés, regardés, caressés. Ensemble.

 

Le père avait tourné autour. Autour et longtemps.

Sans trouver le passage, sans trouver la porte d'entrée.

Il avait fini par se fatiguer et par abandonner, là, la famille entière.

Il était parti, aspiré par la hauteur et les sommets.

Par la roche en fusion, les paysages sombres et sauvages.

Il avait préféré s'éloigner et remplir sa solitude de vérité. Il avait fui la douceur harassante des regards captifs, choisi le vent sec et froid qui fouette l'existence, qui fait circuler le sang et désirer comme un fou le voyage, la course vers les nuages.

 

La mère aimait le bleu. Celui du ciel et des yeux encore fermés de ses enfants. Elle s'y perdait souvent, comme dans les eaux troubles de l'étang, dans la boue des sables mouvants. Le corps alangui, la bouche vorace, elle ravageait leur peau de ses morsures.

La mère adorait le soleil et l'oubli dans le sommeil.

Goûtait les déjeuners, les bols chocolatés, les tartines beurrées.

Passait avant eux, passait après eux. Sans se lasser.

Elle aimait chanter. Des chansons douces ou des berceuses.

 

C'est avec ça qu'ils grandiraient. Avec les berceuses et la violence. Celle de la trop grande importance, celle qui se cache sous la cendre des gestes tendres.

Trop tendres.

Et sans s'en rendre compte, elle fermera les portes. Au lieu de les pousser dehors, elle retiendra ses enfants dans la maison de son ventre. Incapable de s'en détacher.

Fascinée par le double, l'entente et la complicité.

Capturée dans les filets bleus de leurs étoiles, de leur innocence.

 

Et personne pour arrêter le massacre.

Personne pour détourner son regard et la conduire vers la montagne, la vie qui gagne. Pour lui faire lâcher le soleil et sa lumière, constante et aveuglante.

 

Le piège se refermera insensiblement. La fatigue tombera sur les enfants. Sur le premier, d'abord. Le plus fragile. Elle usera son cœur, cassera son souffle.

Et le frère suivra la même pente, glissante. Petit à petit, la vie ralentira, sans que la mère ne s'inquiète, sans que la mère ne voie. Paralysée par sa peur bleue du monde et de l'arrachement. Calfeutrée derrière les volets clos du mensonge et de l'illusion.

 

La maison, lentement, cessera de respirer. Fenêtres fermées. Portes blindées.

Les voisins n'auront rien vu ou se seront tus.

Le monde sera resté indifférent.

Froid comme la neige et tout ce blanc. Celui de la mémoire vide, des faux semblants.

Alors les enfants, un soir, s'endormiront pour toujours.

Côte à côte.

Encastrés l'un dans l'autre.

Comme au premier jour.

 

Frédérique



17/09/2013
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