Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

rencontre sur le net

Mais qu'est-ce qu'il me veut, ce petit vieux ? Nerveuse. Irritable. Naturel, après une journée de travail de 12 heures. Naturel aussi pour une jeune femme de 38 ans qui vit seule. Devant l'ordinateur, elle vérifie ses messages sur le site de rencontres. Par politesse, elle répond à tout le monde. Oui, d'habitude, mais aujourd'hui...

Eh bien, elle ne répondrait à personne ! Au lieu de rester sur cet ordinateur, elle allait sortir, seule et dans la nuit et à l'aventure...

Après tout, la solitude ça la connaît, elle est devenue son amie. Elles se sont peu à peu apprivoisées mutuellement. Être seule depuis tant de mois lui a permis de réfléchir à ce qu'elle voulait vraiment faire de sa vie...

 

Elle marche vers le métro, songeuse. Des pas derrière elle. La rue, déserte. Les pas s'obstinent à la suivre. Elle se retourne et voit un petit homme ratatiné et mal vêtu, dont le paletot usé accuse la maigreur. Il ne lui fait pas peur, mais elle se demande simplement ce qu'il lui veut. « Encore un petit vieux ! » Elle décide de ralentir son pas. Enfin, il est presque à son niveau, alors elle stoppe net. Ce monsieur âgé, lui aussi, stoppe net. Il la regarde fixement.  Son regard parait vide, pourtant elle lit en lui comme dans un livre. Elle posséde cette qualité d'hypersensibilité qui lui permet d'un simple regard de savoir à qui elle a affaire. Malgré son regard vide, le monsieur la fixe toujours. Elle devine une émotion en lui, qu'elle définit comme de la tristesse. Maintenant qu'elle lui sourit, le vide de ses yeux a retrouvé une certaine lueur qui la rassure. Il est petit et courbé, avançant péniblement avec sa canne.

- Vous habitez loin ?

- Non, au coin de la rue, mais au troisième étage sans ascenseur.

- Vous voulez de l'aide ?

- Non, merci, ça va...

 

Sortie du métro à la Place Romaine, elle prend machinalement une ruelle à droite : direction la Vieille Cour, pour siroter un café. Il y aura bien quelqu'un ou quelqu'une pour discuter. Faut dire qu'à la veille de ce long week-end, beaucoup de personnes sont parties.

 

***********

 

Je reste là, coincée par mes obligations, cet engagement que j'ai pris avec cette troupe de théâtre. ces rôles que je devrais réviser... D'ailleurs, j'ai rendez-vous demain à 17 heures et il faudra bien que je relise les répliques. Je les sais presque … Voyons ! Elle suit le cours de ses pensées quand, une gitane aux longues jupes lui attrape la main pour lui prédire l'avenir :

« Oh ma belle, quelle main, quelle ligne de vie ! Tu vas faire une rencontre qui va bouleverser ton existence »

Plus qu'elle ne l'a fait elle-même ? Ana la regarde, mi-amusée mi-écœurée, sachant que la vieille la dévisage afin de savoir si elle obtiendra quelques pièces de monnaie. Ana lui donne une pièce, pour s'en débarrasser.

 

Même pas un quart d'heure plus tard, il débarque. Mal en point, le bougre!. Pas très fringant, lui, le séducteur ! Amaigri. Si j'osais, la queue entre les jambes. Elle grogne. Faut dire que mon Ulysse sent bien mauvais. Je n'ai jamais aimé son odeur mais alors là ... ! Sa première réaction est de le foutre dehors. Il est sorti de ma vie, après tout. Brutalement, en plein bonheur – bonheur ? - pour suivre qui ? Je ne veux pas le savoir. C'est si loin, trois ans ! C'est vrai que cette rupture a été pour moi l'occasion d'une nouvelle vie, faite d'indépendance, avec les moments de solitude inévitables. A ce point de son existence, elle ne trouve plus avoir payé trop cher sa liberté. Au début, elle s’était retrouvée à la rue, chassée de l'appartement qui avait été le sien et qu'il lui avait escroqué, elle avait cru qu'elle allait perdre la tête.

- Tu me reconnais ? dit-il.

- Non, tu n'es pas celui qui est parti sans donner d'adresse, avec mon appart dans ta poche !.

- Je te jure que je suis un autre homme.

Là, il se lance dans une explication qu’Ana trouve au moins farfelue. Elle ne l'écoute pas vraiment, mais le regarde dégoûtée ; il sut à grosses gouttes – cette sueur qui l'a toujours écœurée ! Est-il malade, dérangé mentalement ? Que vient faire la Russie, que viennentt faire les services secrets israéliens dans sa conversation ? Il travaillait au service technique de l'aéroport quand il est parti. Elle le trouvait plutôt terne : barbecues avec les copains, un bon vin, une belle voiture … c'étaient là tous ses intérêts. Bien terne pour séduire quelqu'un d'autre... ne parlons pas des services secrets ! « Tu avais perdu le sens commun à cette époque-là, lui disait sa mère il y a seulement quelques jours. Je ne te reconnaissais plus. Toi et un gars pareil ! C'était inconcevable. Mais tu étais comme ensorcelée. »

 

***********

 

Depuis qu'elle était petite, elle faisait de l'autostop en regardant les rares avions qui passaient au-dessus du jardin de son père. Mieux dit, l'avion-stop. Toute menue, aux cheveux de soleil froissé, espiègle et sans cesse en train de rire. Son parrain l'avait surnommée « la rieuse » . Où était passée sa gaieté ? La petite fille était devenue cette grande femme mince, toujours impeccable, portant des robes de coupe sévère, presque monacale, des chapeaux qui ombrageaient son regard. Sous les bords des chapeaux, ses yeux n'étaient plus espiègles. Le col de la robe montait haut, enveloppant et protégeant le cou gracile, qui soutenait un visage figé. Derrière les durs bonnets du soutien-gorge à la mode, les seins ne tressaillaient pas. La taille fine, les hanches effacées sous le tissu sobre, coupé droit ne laissaient pas deviner un ventre qui palpite, un ventre de femme, fertile et doux. A la regarder, même si belle, on aurait dit : « voilà une robe bien coupée » ou « une femme bien mise ». Mais pas « une jolie femme ». Le sac de voyage paraissait avoir poussé de son bras. Un prolongement naturel. Il n'y avait que les gants – blancs, volantés, tellement féminins - qui parlaient un autre langage.

 

 

 

 

Là il me manque le lien entre celui qu’elle voit arriver et celui qui est dans ses bras un peu plus bas, plusieurs pistes s’offrent à toi :

  1. Sa vision à lui de leur retrouvailles,
  2. Comment elle a pu passer de cet homme décrêpi à celui qui partage son lit à présent
  3. Ce qui suit est un souvenir d’avant.

Voilà à toi de jouer et qui sait peut-être de trouver une autre possibilité de joindre les deux bouts. Bisous

 

 

***********

 

 

A travers la baie vitrée, le regard ne rencontre aucun obstacle. La mer et le ciel à perte de vue. C'était donc ça le bonheur ? Une terrasse au-dessus de la mer, deux chaises qui attendent que vous ayez fini de faire l'amour, baignés dans les couleurs du soleil couchant ? L'odeur de sa peau, contre elle, la pénétrant jusqu'à l'âme ? Si simple que ça ? Elle aurait voulu lui dire quelque chose, exprimer la lumière dont son cœur débordait. Ses lèvres s'entrouvrirent comme un fruit trop mûr, qui allait lâcher son jus...

Il lui tenait le visage entre ses mains et la regardait, attendri. Ana avait un œil légèrement plus grand que l'autre. Lors de ses moments de passion, ce défaut était plus visible, et ça la rendait plus touchante, plus vulnérable. On aurait dit un enfant sans défense, jeté dans les flots de la vie. Une vie tumultueuse, comme le Danube. Son Danube.

- … Bonjour...

C'était si enfantin, si tendre, si inattendu et si doux, si … « Ana », de lui dire « bonjour » le soir, alors qu'ils s'étaient réveillés ensemble, qu'ils avaient pris le petit déjeuner sur la terrasse, et passé la journée dans les bras l'un de l'autre. Chaque fois qu'elle lui disait ainsi « bonjour » après des heures de silence et de muette passion, il sentait ce mot au fond de son cœur. La larme lui montait à l’œil et le sourire aux lèvres. Que la vie était devenue simple ! Que la vie était devenue belle ! Au fait, de quoi a-t-on besoin pour être heureux ? Il suffit qu'elle vous regarde de ses yeux transparents, et qu'elle vous dise « bonjour ».

 

- Hé !, qu'est-ce que tu trafiques ? Viens là ! Viens voir ! N'est-ce pas magnifique ? Oh ! Je les veux !

- Mais où est-ce que tu vas les porter, des gants en dentelle ? Et blancs, en plus ! Toutes les villes du monde ne sont pas Venise... Tu auras l'air ridicule.

- Je VEUX être ridicule. J'en ai besoin. Allez, ne sois pas radin ! Achète-les-moi ! Please !!

- Radin ! Qu'est-ce qu'il ne

 faut pas entendre ! Franchement, tu as un toupet !

- Je t'adore !

- Fais-moi un bisou.

- Premièrement, on ne dit pas « bisou », tu le sais bien, on dit « pup ». Et deuxièmement..., les gants d'abord, fit-elle la main tendue. Le bisou, après.

- Ça va, ça va. Les voici, tes gants ridicules, grande sotte.

- Ana, tu es unique. Pour que je perde ainsi la tête, à mon grand âge, que je laisse tout tomber – mairie, famille, affaires... - pour t'amener à Venise, il faut bien que tu sois unique.

- Bien sûr que je suis unique, grosse bête, sinon pourrais-je t'aimer autant ?

 

Autant ! Autant ! De sa main gantée, Ana essuya une larme. Autant ! En avaient-ils essuyé, des larmes, ces gants dont le tissu fragilisé par le temps sentait encore, vaguement, l'eau salée de la lagune.

 



01/08/2013
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