3ème atelier d'été - 1er sujet
Par la porte entrouverte
C’était une rue étroite qui traversait, bourgeoise et secrète, une partie du cœur de la vieille ville.
Je la surnommais, depuis le premier jour, “ La rue des belles vies “. Son véritable nom comptait si peu pour moi ! Elle était simplement celle que j’empruntais chaque jour pour me rendre à mon travail. Elle n’avait d’importance que par l’intérêt irrépressible qu’éveillaient en moi ses imposantes portes sculptées aux heurtoirs impeccablement lustrés.
Derrière celles-ci, le bonheur à foison. A mes yeux, il ne pouvait en être autrement. Les hôtes de ces demeures ne devaient être, à coup sûr, que beaux, intelligents, talentueux et riches. J’avais fait de mes fantasmes des certitudes. Mais, au-delà de celles-ci, le mystère demeurait, quotidien, enclos dans un mutisme de bois et de pierres.
Numéro deux, numéro quatre, numéro six, numéro…soudain, l’Eden ! Il était exactement sept heures trente, en ce petit jour tendre de mai.
Et je passais, comme d’habitude. Et je n’attendais rien, et je ne croyais plus qu’en la monotonie doucereuse de mes habitudes quand ce matin-là, je vis. Je vis la porte du numéro huit grande ouverte. Au diable les raisons pour lesquelles elle l’était. Au diable les raisons qui me plongèrent à cet instant dans un au-delà du miroir tel que le vit en son temps Jean Cocteau. Une Eve de marbre s’offrait à moi, auréolée de frondaisons. A ses pieds, une offrande de fleurs aux teintes de soie vive.
Pourquoi décidai-je d’entrer dans cet espace-là, en dépit de tout savoir-vivre, ivre de connaître les secrets de ces amours transcendées et insolemment triomphantes qui échappaient à mon monde?
La réponse me parvint, abrupte, décevante et salutaire à la fois, porteuse d’une leçon dont seul l’espoir nous fait offrande, à nous qui nous croyons pauvres.
En guise de bonheur, une valise devant un perron bordé d’hortensias. Quelqu’un s’en allait, chassé par quelqu’un d’autre et, au-devant de lui, demain et son désert avec sa soif de pluie jamais étanchée. Un demain sans elle. Sans celle qui chassait un homme, son homme, celui qu’elle venait à peine de répudier après lui avoir dit, en femme souveraine : “ Je ne veux plus de toi! “
Passée la porte cochère, un être entrait en Enfer. Et moi, j’apprenais, en ce moment même, que le Paradis n’était peut-être nulle part.
Maryse 10/08/2015
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