Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 17 - 2024 - Sujet 4

LMDM 2024-17-4

(14 Février 2025)

 

Vous dormez à poings fermés lorsque soudain, une personne qui a disparu vient vous parler. Que vous dit-elle ?

 

 a17s4 2024.png

Tomás et moi

 

Aaaaah !

Mon Dieu, quel réveil !

À côté de mon lit, assis sur une chaise me regarde un vilain moine aux yeux perçants et inquisiteurs. Sous sa tonsure, un gros nez épaté, un regard noir intraitable. Sur sa tunique claire, un crucifix. Il a l’air sorti du profond moyen âge, il me dévore des yeux.


  • Ainsi, je vous fais peur, JeanBat ?
  • Y-a-t-il de bonnes raisons pour cela ?
  • Qui ? Qui êtes-vous ?
  • Tomàs de TORQUEMADA, pour vous servir.
  • Le Grand Inquisiteur espagnol ! Le fanatique qui a fait bruler plus de dix mille personnes, le pourfendeur de juifs et de musulmans !
  • Alors ça, pour une surprise, c’est une surprise. Je commence à être habitué par d’étranges rencontres nocturnes, mais je ne m’attendais surtout pas à celle-ci.
  • Cherchez bien, JeanBat, il doit bien y avoir une raison…
  • Je pourrais chercher pendant des heures que je n’en trouverais pas.
  • Fort bien. Alors, écoutez-moi :

Le Seigneur m’a rappelé à lui il y a 527 longues années.

Depuis, j’attends.

Quand l’archange Michel a pesé mon âme, alors que je guettais sereinement le résultat, figurez-vous que la balance a penché du mauvais côté.

J’ai immédiatement crié à l’injustice, il ne pouvait qu’y avoir une erreur, la balance était assurément détraquée, ou bien un poids incongru avait été diaboliquement ajouté dessus, mais il n’y a rien eu à faire.
À mon grand désarroi, j’ai rejoint le purgatoire dans lequel je languis depuis et trouve le temps interminable.

Vous vous rendez compte ! Quand je vois tout ce que j’ai fait pour eux ! Me priver du Paradis, quelle ingratitude !

a17s4 b.jpg

Oh ! Il faut que je fasse attention, je suis en train de blasphémer et cela risque d’aggraver mon cas…

  • Effectivement, et bien que je comprenne et valide la pesée de cette balance, je comprends néanmoins votre déception.
  • Ah ! Le mot est bien faible. Enfin, figurez-vous que depuis cette maudite année 1498, je tente par tous les moyens de me racheter et, cette nuit, j’ai enfin obtenu mon premier bon de sortie. Saint-Pierre m’a donné pour mission de racheter une âme perdue, un cas incurable.
  • Et ?
  • Et je me suis retrouvé ici. L’incurable, c’est Vous, JeanBat ! Aussi vais-je devoir m’occuper de votre cas.
  • Vade retro, satanas !!!
  • Vous commencez fort mal, je vous conseille vivement de changer de ton et d’expressions, j’ai les moyens de vous ramener à la raison.
  • Hélas, je n’en doute guère.
  • Fort bien. Alors, commençons par le commencement.
  • Pouvez-vous me dire quand a débuté votre insupportable athéisme ?
  • Oh, il y a fort longtemps, Tomàs, je suis presque tenté de vous répondre : depuis toujours.
  • En fait, il a débuté dès mon intégration aux cours de catéchisme à sept ans. Dès les premiers cours j’ai eu de sérieux doutes, et pourtant il n’y avait alors aucun adulte ni quiconque pour m’influencer. J’étais rétif à ce que l’aumônier essayait de nous inculquer.
  • Des doutes ? Quel type de doutes ?
  • Par exemple, quand ce prêtre, fort brave homme au demeurant, nous expliquait que les enfants non baptisés n’avaient pas le droit de monter au ciel, je trouvais cela profondément injuste.
  • Et pourquoi donc ?
  • Je pensais que les petits asiatiques ou africains que j’avais découvert dans Tintin ne pouvaient évidemment pas connaître le Christ, et n’avaient pas eu le choix d’adopter la foi catholique. Alors pourquoi les punir en leur interdisant le Paradis ?
  • C’est un détail.
  • Je me posais en fait quantité de questions comme :

Dieu a-t-il été jeune ?

Quand on ressuscite, quel âge a-t-on ?

Si Dieu a créé les araignées, pourquoi les écraser ?

Les anges n’ont pas de sexe, mais Dieu, a-t-il un zizi ?

Pourquoi n’est-il pas une femme ?

Ève avait-elle un nombril ?

Pourquoi choisit-il certaines personnes et pas d’autres ?

Dieu reste-t-il toujours éveillé ?

Et surtout, pourquoi a-t-il laissé mourir mon petit frère de quatre ans ce qui rend mes gentils parents si malheureux ?

  • Eh bien ! Je comprends maintenant pourquoi Saint Pierre vous a choisi pour ma mission, vous êtes effectivement un cas très difficile !

 

La réponse de l’aumônier à mes questions gênantes était toujours la même : « C’est un mystère ! » et « On ne discute pas les mystères ». En fait, il me demandait d’avoir confiance aveugle en un Dieu qui m’inquiétait beaucoup.

 

  • Vous n’êtes pas tombé sur un bon pédagogue, voilà tout.
  • Ne serait-ce pas plutôt parce que vos croyances ne tiennent pas debout et ne résistent pas à l’analyse, même pas aux questions des enfants !
  • En voilà assez, JeanBat !
  • Il nous fallait appeler « Bon Dieu » un personnage qui ne me semblait pas « Bon » du tout…
  • Ça suffit !!!
  • Et vous, Tomàs, qui avez brulé tant de juifs, ne croyez-vous pas que votre Dieu est juif puisque son fils l’est ?
  •  Très bien, JeanBat, c’est vous qui l’aurez voulu !

  a17s4c.jpg

 

Et ce disant, Tomàs me saisit les bras avec une force incroyable, enserra mes mains dans des menottes en acier, lia mes pieds avec des chaînes, et m’adressa en brandissant son crucifix un très inquiétant sourire :

 

  • Je me doutais que votre cas serait difficile, je suis venu bien équipé. Alors, cher JeanBat, vous allez changer de ton et répéter maintenant gentiment après moi :
  • « Credo in unum deum, Patrem omnipotentem, Creatorem caeli et terrae.
  •  Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre »
  • Ne comptez pas sur moi pour réciter toutes ces sornettes !
  • Vous pouvez répéter ce que vous venez de dire !
  • Ne comptez pas sur moi pour réciter toutes ces sornettes !
  • Fort bien, cher JeanBat, que préférez-vous, que j’arrache vos ongles de mains ou de pieds ?
  • Vous êtes un assassin, un misérable ! Vous n’avez pas d’autre argument que la torture !
  • Les doigts ou les orteils ? Ou préférez-vous que je brise vos genoux ?
  • Vous rôtirez en enfer, Tomàs !
  • Vous croyez donc au Diable, aux feux de l’enfer, c’est un bon début, cher ami ! Continuez ! Ah ! Ah ! Ah !

 

Tomàs éclata d’un grand éclat de rire, se leva et saisit un tison dans la cheminée, une odeur désagréable de cochon grillé commença à se répandre dans la pièce, et je tombais en nage de mon bateau-livre en hurlant.

Ouf ! Ouvrant mes yeux, tout était calme, l’affreux dominicain retourné dans son purgatoire, l’horrible cauchemar était terminé.


Je m’essuyais le front et le cou, jetais un coup d’œil sur ma table de chevet, m’emparais du livre que je n’aurais jamais dû lire avant de m’endormir, « L’Expédition » d’Henri GOUGAUD, qui racontait par le menu le martyre des cathares, le remit à sa place dans la bibliothèque.

 

Ouf ! Heureusement que je ne suis pas né, bon sang, entre douze et quinze-cents…

 

 

JeanBat



06/04/2025
3 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 500 autres membres