Maridan-Gyres

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Atelier 1 - 2025 - Sujet 3

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Abi

 

Je la surnommais Abi. C’était ma “mamm-gozh mignonez” (grand-mère amie en breton).

Notre rencontre remonte à ma tendre enfance. J’avais 6 ans et je venais d'emménager. Elle cueillait des framboises dans son jardin quand elle aperçut ma frimousse par-dessus la haie. Spontanément, elle me tendit son panier. J’ai alors découvert ce petit fruit odorant d’un beau rouge foncé. Ses petites graines éclatées sous la dent ont libéré des notes douces et légèrement acidulées. Bien juteuses, j’en boulottais un certain nombre et me barbouillais allégrement.

Quelle n’est ma fierté quand j’ai rapporté le panier à la maison suscitant les cris horrifiés de maman me voyant maculée de jus.

Elle s’appelait Abigaël et habitait à côté de chez nous une maison en granit chaleureuse qui lui ressemblait.

Elle avait autrefois travaillé pour un couturier dans le vent et avait gardé le goût de la création.

Tout me charmait chez elle. Les vêtements amples (robes, pantalons, blouses) qu’elle se confectionnait souvent avec des coupons de tissus.

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Où que je tourne les yeux j’aimais ce que je voyais dans sa maison. Lors de ses promenades, elle ramassait du bois flotté sur la plage et le transformait en lampes. Esquisses japonaises décoraient ses murs. Elle disposait dans des coupelles des fleurs de saison.

Bougies aux huiles essentielles variaient suivant son humeur : cèdre, litchi, thé vert, mandarine…, et embaumaient son intérieur.

Abigaël restait dans le vague quand il s’agissait de parler de son mari décédé. Elle l’avait suivi au Japon pendant quelques années et était tombée sous le charme de ce pays.

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En se levant le matin, elle effectuait les douze salutations au soleil et le soir avant de se coucher consacrait un petit temps à la méditation.

Elle adorait la nature. Son jardin, sa fierté regorgeait de plantes et de fleurs. Je me souviens encore de l’odeur envoûtante du lilas et des camélias.

A la belle saison, elle ramassait fruits et légumes qu’elle disposait dans une grande corbeille devant sa porte d’entrée. Chacun pouvait venir se servir.

Tout le monde dans le quartier connaissait cette curieuse petite dame généreuse et l’appréciait.

Le mercredi et quand mes parents étaient absents, je passais la journée chez elle. Délicatement, elle démêlait les nœuds dans mes cheveux en me contant des histoires.

Vive comme un petit oiseau, elle avait toujours plein d’idées.

Nous cuisinions ensemble des crêpes, des galettes, du far breton, des cookies. Ma recette préférée était celle des mochis, ces petits gâteaux ronds de riz gluant fourrés à la pâte d’haricots azuki. Nous adorions les déguster avec de la limonade aux yuzus.

Elle m’a transmis sa passion pour la couture et notamment l’enseignement du sashiko. Technique japonaise, on brode avec du fil blanc des petits points de la taille d’un grain de riz sur un tissu indigo. Ils finiront par former de jolis motifs. Coussins, pochettes, sacs ont ainsi été créées. Je pratique toujours, cela me détend.

Abi possédait une belle collection de bonsaïs. Elle m’a enseigné l’art de les tailler.

 

Nous fabriquions des petits animaux en origami que nous offrions aux hôtes de passage ou aux visiteurs égarés. Sa porte n’était jamais close.

Lors d’après-midis pluvieuses, nous composions des haikus.

Jamais, je n’épuisais sa dose de patience.

Quelques années plus tard, je suis devenue traductrice-interprète et me suis installée à Tokyo. Dès que je revenais en France, ma première visite était pour Abi. Je lui ai appris à se servir d’un ordinateur pour que nous puissions échanger à distance.

Abi s’est envolée à l’âge de 100 ans. Son doux sourire m’accompagne tous les jours, elle est restée si vivante dans mon cœur.

 

La Reinette



06/02/2025
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