Atelier 1 - 2025 - Sujet 4
LES MOTS DE MONTPELLIER
7 heures, Sarah est dans sa cuisine. Elle prépare son café et en attendant, elle feuillette une revue. Elle s’attarde sur une photo représentant un vase de fleurs sur un muret. Au loin, elle remarque un paysage de montagne qui lui est familier. Elle cherche le nom des fleurs, mais elle n’arrive pas à s’en souvenir. Elle se dit que c’est le début de l'automne, le vent disperse les pétales, un groupe d’oiseaux doit probablement commencer sa migration. Au loin, les montagnes la ramènent à son séjour dans les Pyrénées. Ses parents sont installés près de Luchon, depuis un an. Elle est descendue les voir en juillet. Ils sont bien là-bas. Elle pense qu’elle pourrait les rejoindre et se rapprocher d’eux. Mais, il faudrait tout reconstruire. Elle hésite, elle ne sait pas si elle pourrait franchir le pas et vivre une nouvelle aventure. Sarah n’aime pas le changement.
Elle se souvient qu’elle aimait se perdre dans les sentiers escarpés. Les odeurs des sapins majestueux, le silence… Ce paysage l’apaise.
Le café est prêt. Elle se place, comme à son habitude, devant sa fenêtre. Elle fait le tour du jardin, le cerisier a perdu ses feuilles. Il est trop grand et prend trop de place. Le figuier qui lui cachait la vue sur la rue est dépouillé, mais les branches dénudées offrent un spectacle sublime. Les branches s’entremêlent et forment une sculpture qu’elle aimerait reproduire. Sur certaines branches, nous apercevons des cicatrices, des nœuds. Heureusement, ce ne sont pas des trous, pense-t-elle, auquel cas, il faudrait traiter la maladie. Ces cicatrices lui donnent un charme fou. Elle le trouve beau. Elle le contemple et se dit heureusement qu’il est beau, car il ne fournit pas beaucoup de figues.
Seul le rosier est encore en fleurs. Le jardin lui dévoile un paysage d'hiver, en hibernation. C’est d’une tristesse ! Le ciel est couvert. Elle aime ce petit bout de terrain. Ce matin, Sarah se sent mélancolique.
Tout d’un coup, elle scrute un plan du jardin, près du cerisier. Une émotion la submerge ! Elle avait oublié. Il était là, 6 pieds sous terre. Cela faisait 5 ans qu’il nous avait quittés, emporté par la maladie. Pendant tout ce temps, elle avait nié l’évidence, il n’était plus là. Il est arrivé dans sa vie, il y à 15 ans. Elle n’en voulait pas.
Cette année-là, rentrant d’un séjour à l’étranger, fatiguée par le voyage, mais contente de retrouver son antre, son quotidien, elle remarque près du figuier, dans un panier, une boule de poil.
Elle embrassa tendrement sa fille Léa, heureuse de la retrouver et attend une explication. Léa a trouvé ce chat, il y a 10 jours. La mère avait mis bas dans le jardin. Léa ne pouvait se résoudre à s’en séparer. Pourtant, elle savait que sa mère ne l’accepterait pas. Elle tente l’impossible.
Ah non ! Il est hors de question de garder ce chat. Sarah avait peur des chats, mais aussi des chiens, des souris… Elle ne pouvait s’imaginer qu’un chat puisse entrer dans sa vie. Enfant, elle avait été mordue par un chien et depuis, elle était tétanisée à la vue d’un animal. Léa tente de négocier, d’argumenter, et finit par dire qu’il suffirait de ne plus le nourrir.
Quelle idée ! Elle savait ce qu’elle faisait, “pas folle la guêpe” ! Elle connaissait sa mère. Angoissée à l’idée que cet animal entre dans la maison, Léa savait qu’elle ne le laisserait pas mourir de faim. Elle avait raison, Sarah avait peur, un sentiment irrationnel qu’elle ne maîtrisait pas, mais elle aimait les animaux. Ce paradoxe l’interrogeait, mais n’en trouvait aucune justification raisonnable, voire rationnelle. A chaque fois que Léa avait émis l’idée d’adopter un animal, Sarah répondait toujours que tous ces êtres vivants avaient leur place, mais pas chez elle ! Chacune reste sur ses positions, attendant un geste de l’autre.
Le lendemain, elle voyait que Léa ne réagissait pas. Elle regarda dans le jardin et aperçut le chaton qui l’observait de loin. Avait-il compris ? Elle ne le saura jamais. Il la fixait. Elle aussi le scrutait, ne le quittait pas des yeux. Son angoisse l’empêchait de réfléchir…
Machinalement, avec le sentiment qu’elle était vaincue, elle remplit un bol de lait, puis un bol d’eau. Elle se tenait debout devant l’entrée, ne sachant pas comment lui donner sa pitance. Elle était tétanisée. Sarah espérait que sa mère viendrait le récupérer, mais non. Elles se connaissaient. Sarah s’enfuyait à chaque fois qu’elle traversait le jardin. Elle la trouvait agressive. Sa fille avait beau lui dire que cette chatte était plus effrayée qu’elle, elle n’arrivait pas à surmonter son angoisse.
Sarah prit les deux bols et alla prudemment les déposer devant la porte. Aussitôt, en une fraction de seconde, sautillant de peur, elle referma la porte, se dirigea vers la fenêtre de la cuisine. Elle observait ce chaton. Léa s’en amusa, mais ne fit aucune remarque.
Il était gris, son regard était perçant. Elle remarqua le vert de ses yeux qu’elle ne cessait de scruter. Il était tout petit. On pouvait le tenir dans la main. Léa lui dit que c’était un mâle.
Pendant un certain temps, Sarah le nourrissait, mais refusait tout contact. Léa lui avait donné le nom de Grisou. D’un commun ! Mais bon, elle pensait qu’il ne resterait pas là. Léa se délecte en voyant le comportement de sa mère. Sarah se sentait ridicule, mais elle n’arrivait pas à surmonter ses craintes. La première année, elle passait son temps à dire à Léa qu’il fallait s’en débarrasser, mais ni l’une, ni l’autre n’entreprit aucune démarche.
Finalement, Grisou a très vite trouvé sa place dans le jardin. Sarah avait accepté de le laisser dans le jardin tant qu’il ne s’approchait pas d’elle et qu’il n’entrait pas dans la maison.
Grisou avait grandi, il était autonome. Parfois, il disparaissait pendant deux ou trois jours. Une fois, Grisou, alors âgé de 4 ans, est parti une semaine et à sa grande surprise, Sarah se rendit compte que Grisou lui manquait ; elle s’inquiétait pour lui. Elle n’en revenait pas. Elle a même arpenté le quartier pour le retrouver.
A ce moment-là, elle comprit qu’elle aimait ce chat et qu’elle n’envisageait plus de s’en séparer. Elle était angoissée à l’idée de ne plus le revoir. Il faisait partie de sa vie. Chaque soir, sur le perron, elle attendait le retour de Grisou. Tous les soirs, il se plantait devant le perron pour recevoir son repas.
Ces 5 jours furent un supplice et quand il réapparut, elle le gronda comme si c'était un enfant qui avait fait une bêtise. Probablement par orgueil, elle tenta de cacher sa joie de le revoir, mais son attitude trahissait son bonheur. Sarah ne dévoilait pas ses sentiments. Ses parents n’étaient pas expressifs. Ils lui ont appris à ne pas montrer ses faiblesses. Il fallait toujours être forte et ne pas se montrer en public, comme le faisait remarquer son père. C’est uniquement avec sa fille qu’elle arrive à se dépasser et à lui exprimer tout l’amour qu’elle lui porte. Ces parents n’étaient pas affectueux, mais ils étaient aimants, à leur manière.
Deux jours après, Grisou déposa une souris devant la porte d’entrée et là, Sarah se mit très en colère. Léa lui expliqua que c’était un signe d’affection. Elle avait peur des chats, mais encore plus des souris ! Un comble pour elle !
Après cet événement, Sarah a fait plus de concessions. Elle acceptait que Grisou s’approche d’elle, elle le caressait avec prudence. En revanche, elle ne le portait jamais. Sa peur était toujours là, mais elle essayait de passer outre. En revanche, il n’était pas question pour elle de voir un autre chat dans son espace. Sa peur des chats n’avait pas disparu. C’était irrationnel, paradoxal, peu compréhensible, mais Sarah ne savait pas l’expliquer. Elle aimait ce chat et c’est tout. C’est la réponse qu’elle donnait à sa fille.
Sarah pensait qu’elle avait apprivoisé Grisou, mais, au fil du temps, elle comprit que c’était le contraire. Grisou l’avait apprivoisée. Il avait fait preuve de malice.
Il respectait ses conditions. Par exemple, il ne rentrait jamais dans la maison sans son autorisation.
Grisou avait 3 ans. Cette année-là, l’hiver était rigoureux. En janvier, une couche de neige recouvrait le jardin. Léa avait aménagé un espace dans le garage, mais il faisait tellement froid que Sarah le laissa entrer. Il s’est naturellement installé dans l’entrée, dans un panier affecté à cet effet. Il tentait des excursions dans la cuisine, mais Sarah s’y refusait. En revanche, parfois, il se plantait devant la télévision et pouvait y rester un bon moment. Une énigme !
La vie suivait son cours et ils s’étaient habitués l’un à l’autre, chacun respectant l’espace de l’autre. Sarah consacre son temps à l’éducation de sa fille. Sarah et le père de Léa avaient convenu d’une garde alternée en fonction des besoins de Léa. Il fallait préserver l’équilibre de Léa, qu’elle grandisse sans subir les conséquences de la séparation. Ce n’était pas simple, Léa semblait s’en accommoder.
Et puis, un jour, dix ans après son arrivée, Sarah a remarqué que quelque chose n’allait pas. Grisou passait plus de temps à la maison, souvent dans le jardin près du cerisier. Il aimait tant s’échapper dans le quartier qu’elle se dit qu’il se passait quelque chose. Elle ne comprenait pas. Pour se rassurer, Sarah se dit qu’il vieillissait. Puis, elle constata que la gamelle restait pleine. Grisou ne se nourrissait plus. Elle commença à s'inquiéter. Elle demanda conseil auprès de ses amis qui avaient un chat. Ils la rassurèrent. Mais, elle sentait qu’il n’allait pas bien. Il venait se blottir contre elle, elle le caressait, mais il ne quittait plus son panier. Elle n’aurait jamais pensé qu’elle aurait pu se comporter ainsi avec un animal. Léa suggéra de contacter le vétérinaire.
Grisou maigrissait de jour en jour. Il fallait faire quelque chose. Toujours incapable de le porter, c’est Léa qui l’installa dans un panier. Elle accompagna sa mère chez le vétérinaire et là, le couperet est tombé. Grisou était atteint du sida du chat. Sarah, stupéfaite, ne savait pas qu’un chat pouvait contracter cette maladie. Dans les années 80, quand la maladie a été dévoilée au public, elle s’y était intéressée. Elle a perdu des êtres chers. Aujourd’hui, elle pensait qu’il y avait un traitement. Oui, pour les humains, mais le vétérinaire lui confirma que ce n’était pas d’actualité pour les chats.
Il fallait stopper les souffrances de Grisou. Le vétérinaire lui dit fermement qu’il ne fallait pas le laisser dans cet état, que c’était la fin. Sarah ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre. Elle se répétait la fin de quoi. Elle n’envisageait pas la mort de Grisou. Elle s’était tellement attachée à lui, qu’elle ne supportait pas cette idée.
C’était l’hiver, la neige avait fondu. Grisou a été piqué un matin de janvier. Sarah était effondrée, elle venait de perdre un être cher, un chat qui, finalement, lui avait donné tant de joie.
En revanche, Sarah s'obstinait et refusa que Grisou soit incinéré. Grisou fut enterré dans le jardin. Elle ne parlait jamais de ce chat et de ce qu’elle ressentait. Elle n’exprimait pas ses sentiments sauf avec Léa quand elle lui en parlait. Léa avait beaucoup pleuré, elle était très attachée à Grisou.
Chaque matin, quand Sarah prend son petit déjeuner, elle regarde près du Jasmin blanc planté aux côtés de Grisou. Elle fixe le Jasmin et quand il est en fleur, elle admire la beauté de ce blanc si éblouissant. Jusqu’à aujourd’hui, elle évitait de regarder le sol, elle ne voulait pas voir ce qu’il y a sous terre.
5 ans se sont écoulés. Elle pense à ce chat de temps en temps et à chaque fois, elle se dit que jamais, au grand jamais, elle aurait pensé vivre ces moments avec un chat. Et pourtant, elle l’a aimé ce chat qui, un jour, est arrivé dans sa vie, a changé sa vie, sa vision du monde. Elle sait aujourd’hui, qu’il ne faut jamais rejeter ce que l’on ne connaît pas, sinon on risque de perdre des belles opportunités de bonheur.
Elle pense à Léa, la prunelle de ses yeux, son rayon de soleil, sa raison de vivre. Aujourd’hui, elle est partie vivre ses propres aventures. Elles s’appellent au moins une fois par semaine. Sarah a souffert de la perte de Grisou, mais elle n’ose même pas penser à l’idée de perdre sa fille. Elle n’a pas pleuré quand Grisou a été piqué, comme à chaque fois qu’elle a perdu un être cher. On ne pleure pas dans la famille, il faut de la pudeur, rester digne ! Pourtant, c’est plus fort qu’elle, des larmes coulent sur ses joues à chaque fois qu’elle pense à un drame pouvant atteindre sa fille. La plupart du temps quand l’idée l’effleure, elle la rejette avec violence considérant que c’est de la folie de penser à des choses pareilles.
Sarah finit son café, regarde vers Grisou, puis se plonge à nouveau dans cette revue et contemple ce tableau. Elle ne se rappelle toujours pas le nom des fleurs. Aujourd’hui, Sarah est en repos. Elle décide d’aller admirer des toiles au musée Renoir, près de la Butte Montmartre. Elle aime surtout flâner dans le jardin, apprécier la sérénité du lieu, le silence en plein Paris, un havre de paix !
Dyna
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