Maridan-Gyres

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Atelier 11 - 2021 - sujet 2

 

Maître et maîtresse des années cinquante

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Timidement et presque en tremblant dans sa blouse sévère, Pauline saisie par les premiers frimas d’octobre se dirigeait vers la petite école de son village niché entre labours et marées.

N’ayant pas connu l’école maternelle, inexistante dans ce trou de campagne, la fillette avait suivi le cours préparatoire l’année précédente sous la férule d’une maîtresse qui ne lui avait pas laissé que des bons souvenirs. Comble de malchance, elle avait fait partie des « enfants Mendes » qui pour leur plus grand bien devaient avaler un bol de lait tout chaud et bien crémeux à l’heure du goûter… Le ministre Mendes France avec les meilleures intentions du monde, pensait que ces enfants d’après-guerre souffraient de carences alimentaires et qu’une ration quotidienne de lait, gratuit de surcroit, ne pouvait leur apporter que des bienfaits. C’était sans compter l’aversion que Pauline nourrissait envers ce breuvage et surtout avec cette crème épaisse qui lui provoquait des hauts le cœur à chaque gorgée. Le quart d’heure Mendes se terminait régulièrement du côté des toilettes…

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A l’occasion de cette nouvelle rentrée scolaire, un couple d’enseignants tout frais émoulus de l’Ecole Normale, avait été nommé afin d’instruire les têtes blondes et brunes de ce petit bourg très rural.

 

Pauline fut impressionnée par sa nouvelle institutrice qu’elle trouva très jolie et moderne avec ses tenues colorées, son vernis à ongles cramoisi et ses hauts talons à semelles compensées. Un parfum capiteux envahissait la grande et unique salle de classe dès que la jeune femme se dirigeait vers l’estrade dominant les quatre rangées de pupitres de bois foncé soigneusement cirés.

Après avoir copieusement rechargé le gros poêle central, la maîtresse s’empressait d’écrire une phrase sur le tableau noir, écrit qui allait être le support de la leçon de morale du jour ; en effet le cours de morale était quotidien dans les années cinquante. Même si tous les chérubins ne saisissaient pas forcément la profondeur et la portée du texte, la discipline et l’ordre étaient omniprésents et chacun tentait de travailler avec application. Malgré son jeune âge, l’institutrice s’imposait et n’aurait accepté aucun chahut ni rébellion dans sa classe.

Le cours de calcul, dont les bases avaient été assimilées l’année précédente à grand renfort de coquilles de noix et d’allumettes, faisait suite à la morale. Ainsi, ce fut l’occasion pour Pauline d’apprendre l’heure. Un « réveil » confectionné dans un couvercle de boîte de camembert agrémenté d’aiguilles en carton découpées dans l’autre moitié de la boîte, permit à l’enfant de commencer à concrétiser le temps. L’ensemble aiguilles et cadran était doté d’une punaise et d’un bouchon à l’arrière du dispositif, ce qui permettait aux élèves de tenter de donner l’heure demandée par l’enseignante lors des exercices à cet usage. Cet apprentissage était pour certains un véritable casse-tête. Pour les paysans de cette campagne profonde vivant au rythme du soleil et des saisons, même si la comtoise trônait souvent près de la cheminée, l’heure exacte n’était pas une préoccupation essentielle.

 

L’autre cauchemar de Pauline était les « cabinets » installés dans un coin de la cour. Cet espace étroit et malodorant lui donnait la nausée. Gérard, un de ses petits camarades, était resté prisonnier à cause d’un verrou rebelle et mal entretenu. Heureusement, l’œil vigilent de la maîtresse avait rapidement repéré l’absence après la récréation et il en avait été quitte pour une grosse frayeur, enfin le pensait-on.

 

Le jeune garçon se fit fort de raconter avec moultes détails improbables son aventure à ses parents aussi angoissés que belliqueux. Le déjeuner achevé, le père ulcéré raccompagna son fils et s’empressa de tancer vertement cette trop jeune institutrice irresponsable et incapable de surveiller ses élèves selon ses dires.

Pauline se sentit très malheureuse en voyant les yeux de la jeune femme s’embrumer de larmes. Elle trouva complétement injuste l’attitude du père de Gérard. La petite fille pensait que sa maîtresse était sévère mais juste et surtout elle assouvissait sa soif de connaissances. Elle lui ouvrait un champ des possibles que jamais elle n’aurait pu imaginer auparavant. Fille d’ouvriers modestes, elle découvrait avec l’école un monde de richesses et de savoirs qui la comblait véritablement. Maitrisant parfaitement la lecture, « les après-midis bibliothèque » lui procuraient un réel plaisir. Elle lisait vite et même très vite afin de découvrir le plus d’aventures possible, aventures qui la faisaient tellement rêver. En effet, chez elle il n’y avait pas de livres. Trop chers pour une famille qui avait déjà des difficultés à se vivre décemment. Manger à sa faim n’était pas de toute évidence le fait du quotidien.

 

Ce goût pour la littérature elle le gardera toute sa vie. Elle découvrit également l’histoire de France qui suscita aussi beaucoup d’intérêt à ses yeux. Elle apprenait par cœur tous les résumés à retenir en dépit de ses difficultés de mémorisation et à force de travail assidu elle parvint même à tenir le premier rang de sa classe. A l’opposé, elle détestait les activités physiques. Les sports quels qu’ils soient l’ennuyaient profondément et toute sa vie elle renâclera devant ce genre de turbulences.

Pauline aimait l’école même si elle s’y rendait la peur au ventre dans la crainte de ne pas réussir et les larmes étaient fréquentes. Néanmoins, ses résultats plus que satisfaisants faisaient la fierté de ses parents.

Malgré son anxiété, la jeune écolière se donnait du courage en pensant qu’en plus du plaisir d’apprendre, chaque matin elle allait retrouver son « amoureux ». Le petit Martin avec son sourire pétillant et sa vivacité d’esprit avait fait sa conquête…Bien sûr c’était leur secret et toujours en secret, du haut de ses six ans il l’appelait ma « petite fleurette » ; Pauline se pâmait de bonheur en l’entendant.

Cependant, les petits tourtereaux déjà très sérieux malgré leur jeune âge rivalisaient d’efforts et se partageaient régulièrement la première place de leur cours.

 

Puis vint l’époque pendant laquelle une cabale fut instaurée par les parents de certains élèves, les plus mauvais cela va sans dire, ayant pour objectif de faire craquer la jeune institutrice malgré ses réelles compétences. Un élève, médiocre au demeurant, accusa sa maîtresse de mauvais traitements…

L’épreuve fut d’autant plus difficile à vivre pour elle que son jeune époux instituteur, avait été appelé au service militaire et se trouvait à faire ses armes en Algérie. Cette colonie française nourrissait une guerre sur fond d’inégalités civiles, politiques et économiques depuis plusieurs années entre les colons français et la population arabo-berbère. C‘était donc une vacataire qui tenait la classe du jeune maître en attendant la fin de ce service obligatoire.

Malgré une angoisse omniprésente la maîtresse en poste s’appliquait à transmettre son savoir avec conscience et détermination. C’est au mois de mars que la nouvelle tant redoutée tomba, implacable.

Le facteur avait comme à l’accoutumée déposé le courrier sur une tablette à l’entrée de la salle de classe. Profitant de la récréation l’institutrice s’empressa d’ouvrir sa correspondance.

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Pauline vit blêmir la jeune femme qui éclata en sanglots en se précipitant vers son petit logement se tenant au fond de la cour. Quelques heures plus tard tout le village avait appris que son cher amour venait d’être blessé et avait dû être hospitalisé …loin, si loin d’elle.

A la fin de l’année scolaire, revenu au pays pour sa convalescence le jeune instituteur en profita pour clarifier et mettre un terme à tous les dénigrements dont son épouse avait été la victime. Il profita du soutien bienveillant des parents d’élèves qui n’avaient eu qu’à se louer de l’enseignement prodigué par la nouvelle institutrice. Terminé les errances de la belle maîtresse. Le jeune couple s’était imposé et même en l’absence de son époux, la jeune femme n’eut plus à pâtir des ragots infâmes des quelques individus irrévérencieux ayant tenté de jeter l’opprobre sur l’enseignante.

Grâce à ces instituteurs motivés et dynamiques Pauline découvrit la fête de fin d’année scolaire avec un spectacle donné par les élèves au plus grand bonheur de leurs parents. Les enfants grimés et costumés avaient dû apprendre plusieurs saynètes qu’ils jouaient avec beaucoup de conviction devant un public enthousiaste. La représentation achevée, avait lieu l’animation du « dernier vingt francs » consistant à mettre des pièces de vingt francs* dans un chapeau jusqu’à la sonnerie signifiant la fin du jeu ; un délicieux gâteau était gagné par l’heureux donateur de l’ultime pièce. Enfin la joyeuse fête s’achevait par la remise des prix récompensant le travail de l’année. Chaque élève recevait un livre plus ou moins important suivant son classement scolaire.

 

*Franc datant d’avant le 29 décembre 1958 date à laquelle le ministre des finances Antoine Pinay procéda pour des raisons économiques à la dévaluation du franc qui devint après le « franc lourd » ou « le franc Pinay ». Un franc lourd valait 100 anciens francs.

C’était pour la petite fille qui ne sortait pas, ne recevait pas de copains, une période bénie qui la mettait en joie durant plusieurs semaines. Mais son plus grand bonheur était le voyage qui suivait ces festivités.

Le couple d’enseignants organisait chaque année un petit voyage avec pique-nique pendant toute une longue journée.

 C’est à l’occasion de ces trop rares escapades que Pauline découvrit les premiers châteaux de France agrémentés de visites commentées et que son goût pour l’histoire de France se fit jour.

Puis les grandes vacances d’été se déroulaient sans surprise et la fillette se retrouvait régulièrement chez une grand-mère dans un village encore plus perdu que celui dans lequel elle habitait.

En ce temps-là il n’était pas question de location ou de voyage. Peu de personnes en avaient les moyens et surtout pas les parents de Pauline. Encore bien heureux lorsque des grands parents pouvaient recevoir ces enfants en mal de bon air.

 

La rentrée qui suivit permit au maître enfin revenu à la vie civile, de prendre ses fonctions d’enseignant.

Cette année fut capitale dans la vie de Pauline. Etant trop humble pour penser études secondaires, qu’elle ne fut pas sa surprise quand l’instituteur lui parla d’aller en sixième et qu’il commença à préparer ses meilleurs élèves, dont elle faisait partie, dans cette perspective. Il réussit à convaincre ses parents de ne pas laisser Pauline s’arrêter au certificat d’études et qu’elle avait les facultés et la volonté nécessaires pour pouvoir envisager de continuer des études en intégrant le collège. Il argumenta sa demande en faisant valoir qu’elle aurait droit à une bourse qui constituerait une aide financière non négligeable pour ses parents très modestes. Conscients qu’il serait dommage de freiner un si bel élan et fiers du potentiel de leur fille, ils finirent par accepter de se serrer un peu plus la ceinture et de lui donner la chance dont eux n’avaient pu bénéficier.

 Elle eut plus de bonheur que sa petite camarade Louise dont les parents paysans dans l’âme et très attachés aux habitudes ancestrales, refusèrent fermement cette idée d’études qu’ils estimaient coûteuses et inutiles pour tenir une maison et faire des enfants. C’était encore l’époque où les épouses étaient pour la plupart destinées à servir les hommes et agrandir la famille. Vivre leur vie de femme n’était pas encore d’actualité…

C’est ainsi que quelques années plus tard à force de travail de ténacité et de sacrifices Pauline, n’ayant pas pu à son grand regret intégrer l’Ecole Normale d’institutrices se dirigea vers le métier d’infirmière qu’elle exerça toute sa vie et qui lui permit de faire face aux embûches que son existence ne lui épargna pas. Pauline vouera une reconnaissance éternelle à ces enseignants qui ont vraiment impacté favorablement sa destinée qui pourtant n’avait pas débuté sous les meilleurs auspices.

 

 

                                                                                                          KIKA 29 06 2021.

 



07/07/2021
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