Atelier 12 - 2025 - Sujet 3
RUMEURS D'UN REMORDS
Travailler dans une discothèque sans le vouloir, sans être payée, c'est déjà une forme de peine. Mais à défaut de liberté, j'ai trouvé une lucidité. Tandis que les clients s'enivraient de musiques et de promesses éphémères, je me tenais là, assignée à observer. Et j'ai appris à écouter autrement, pas avec les oreilles mais avec l'âme.
Entre le nettoyage des sanitaires et l'essuyage des verres, je restais postée près du lave-vaisselle, au carrefour du bruit et des confidenses créées. La musique de la piste de danse rendait tout dialogue impossible. Ici, pour exister, il fallait hurler. Moi, je n'avais pas ce droit ni de parler ni d'interagir. Alors j'écoutais, j'observais.
Parmi tous ces jeunes noyés dans la fête, une ombre me fascinait. Olivier. Toujours seul. Toujours dans le même coin. Une bouteille de Whisky à la main comme un talisman, il ne buvait pas pour se griser mais pour survivre à ses propres pensées. Il ne regardait personne mais son regard portait une immense brutalité. Sombre. Presque effrayant. Comme si quelque chose en lui l'appelait au fond.
On parlait de lui, dans des éclats de voix. On disait qu'il jetait des pierres, qu'il tentait d'oublier les morts qu'il croyait avoir provoqués. Une pierre pour chaque victime comme s'il bâtissait son propre tombeau en cachette. Et moi, j'écoutais cela dans les interstices, entre les râles de la machine à laver les verres et les giclées de mousse comme on capte des fragments de vérités dans un rêve fiévreux.
Chaque soirée, il était là. Chaque soirée, le même recoin, le même rituel. Et la bouteille descendait comme un sablier. Mais rien ne semblait changer car ce n'était pas l'ivresse qu'il cherchait. C'était l'oubli. Mais le remords, lui, ne pardonne rien.
La culpabilité est une ombre intérieure, sourde et insatiable, qui s'infiltre dans les coins les plus dissimulés de la conscience. Mais lorsqu'elle est attisée par les flammes des remords, elle ne se contente plus de murmurer, elle hurle dans le silence de l'âme.
Olivier, silhouette morne au milieu des cris joyeux d'une jeunesse insouciante, portait en lui un cimetière invisible. Chaque rire autour de lui sonnait comme une injure à ses souvenirs. Il tentait d'expier ses fautes à sa manière. Une pierre pour chaque nom qu'il n'osait plus prononcer, pour chaque regard qu'il ne reverrait jamais.
Son geste était symbolique, une volonté de matérialiser ce poids abstrait qu'on appelle faute. Mais les pierres ne disparaissent pas. Elles s'accumulaient, formaient une stèle, un monument de mémoire et de douleur. Le monticule qu'il érigeait sans le vouloir devenait sa propre prison car le remords, contrairement à la culpabilité, ne veut pas être pardonné. Il exige de souffrir. Il demande des offrandes quotidiennes comme ce rituel des pierres. Il portait le poids de vies perdues. Des morts qu'il estimait avoir laissés derrière lui, pas dans un sens légal mais moral, intime, intransmissible. Pour chaque victime, il jetait une pierre dans un lieu connu de lui seul, espérant ainsi apaiser son âme. Mais les pierres ne mentent pas, elles s'amassaient. Et plus le monticule grandissait, plus Olivier se réduisait. Il tentait de se libérer mais c'était le remords qui gouvernait, celui qui refuse le pardon, celui qui transforme la culpabilité en mal chronique.
Je n'avais pas le droit de lui parler, je n'avais jamais échangé un mot avec lui pourtant, je le connaissais mieux que certains de ses proches car dans le tumulte, les silences sont des cris.
Et tandis que les autres dansaient, Olivier s'enfonçait. Non pas parce qu'il ne voulait pas vivre mais parce qu'il croyait ne plus avoir le droit. Rongé. Hanté. Condamné à jeter des pierres plutôt qu'à jeter l'ancre.
Et moi, l'observatrice ? Je continuais de veiller. J'écrivais intérieurement cette scène qui n'avait rien anodin car parfois, dans les lieux les plus festifs, se cachent les douleurs les plus anciennes. Et c'est là, dans les contrastes, que l'humanité se dévoile le mieux.
MORALITÉ :
Et quand le mal triomphe sans procès ni peine, reste un seul juge sans clémence : Le remords, qui s'abat tel un châtiment divin sur les âmes rongées, tel un dieu muet, silencieux et implacable, prêt à frapper le cœur lorsque nul jugement ne le peut, sévir sans appel.
MARIE SYLVIE
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