Maridan-Gyres

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Atelier 15 - 2021 - sujet 4 + Atelier 19 - 2021 - sujet 6

Le vieux

 

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Ses pupilles dilatées s’ouvrent comme des gouffres avides, prêts à recevoir tout ce qui peut être encore avalé.

Ses iris délavés, pourtant usés par tant de rayons de soleil absorbés, gardent une lumière malicieuse pétillante refusant une vieillesse inévitable.

Puis son regard s’enfuit, à notre grand étonnement.

Il baisse les yeux.

Ses prunelles s’échappent vers le haut de ses orbites, à l’abri de ses paupières fripées.

Fuit-il notre regard ? C’est étrange !

Ou bien a t-il peur de se noyer dans les larmes amères bordant ses paupières rougies ?
 
Ses yeux  fouillent tout en haut dans les combles de sa mémoire et remuent les mille et un souvenirs, ses voyages sur la caravelle, sa vie de château, ses découvertes aux mille visages qui ont fait être et briller son passé,  ses jeunes années,  son mariage

C’est immanquablement qu’il croise l’étagère de tous les devis et projets non honorés, refusés,  faute de temps, faute d’envie, faute d’argent, faute d’amour…

Dépassé par le monde universel de la technologie, qui file à vitesse grand v, son mode cognitif fonctionne au ralenti.

Il ne sait pas tout  - qui le sait d’ailleurs ? - mais a appris tout ce qu’il savait à ces descendants.  

Il en connait des choses mais ne parvient plus à les transmettre, tant il se rend compte qu’il est hors du temps, inintéressant au possible, dépassé. Et ça, ça lui tord les tripes : c’est viscéral.

 

Alors, il se sent laissé  pour compte sur le bord de la vie au rythme intrépide qui martyrise son âme, et malmène sa tête.

Il réalise que les mots si riches et si nombreux qui habitent son cœur n’ont plus le même timbre, ils lui paraissent désormais vides, insignifiants, sans goût et sans attrait, sans espoir et sans intérêt.

Il semble gêné de ne  plus s’exprimer que par quelques mots d’utilité alimentaire qui franchissent ses lèvres décolorées et se heurtent parfois à une indifférence palpable.

Il n’est pas dupe, et s’il ne dit rien, c’est seulement pour ne pas creuser davantage le fossé qui le sépare du genre dit humain !

Il voit autour de lui la vie qui passe, repasse tel un rapace pour lequel il craint d’être la prochaine proie.

Mais soudain, bruyant et malin surgit un bambin !

Petits cadeaux, papillotes enrubannées, gâteaux délicieux à la crème de cacahuètes enveloppés de cellophane crissant, rencontres de l’enfant joueur qui va s’élancer sur les genoux du grand-père, mains malhabiles du petit qui frôlent avec curiosité les sourcils en broussaille du vieil homme : c’est l’heure des retrouvailles.

Bisous tout doux de l’aïeul sur la joue de satin du gamin.

Et voilà que se détend l’atmosphère.

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Au coin de ses yeux les pattes d’oies se plissent, son regard se rallume, et son sourire si rare illumine son visage buriné, le seul nom  de « Papy » dans la bouche du chérubin emplit son être entier d’une douceur infinie. 

Dans sa poitrine son cœur, ridé par les années, se trouve tout à coup lifté, regonflé.

Tout semble à nouveau permis. 

Il vit à nouveau.

La joie vient de ressurgir et la boîte à bisous va à nouveau se remplir, pour un jour, un mois, un an qui sait ?

 

Aujourd’hui, c’est jour de visite : C’est Noël.  

 

Shunt 25.12.21



19/12/2021
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