Atelier 17 - 2024 - Sujet 3
Seule....
Assise sur le pas de sa porte, les mains croisées sur les genoux, paupières tombantes, pli amer de la bouche, l’air peu avenant, la vieille dame attend patiemment.
Elle a revêtu ses habits du dimanche, un manteau sombre sur une robe à carreaux, foulard autour du cou et petit chapeau d’où dépassent quelques frisettes.
C’est peut-être une femme d’une certaine condition de la petite bourgeoisie, veuve dont l’époux est mort à la guerre. Elle est seule depuis que les enfants sont partis faire leur vie loin de cette tristesse qu’elle porte en elle depuis des années.
Ils viennent de temps à autre la visiter, aux fêtes carillonnées ou bien pour un mariage au village mais plus souvent pour des obsèques de cousins depuis longtemps perdus de vue. Mais ils restent peu de temps bien qu’elle ait tout préparé pour leur venue.
Les petits-enfants qui autrefois venaient aux vacances, les parents bien heureux de les caser chez Mémé, ont d’autres occupations et envies. Ils ne veulent plus venir et disent que ça sent « le vieux », le pipi de chat.... Et puis dans ce trou perdu... ils s’ennuient.
Aujourd’hui c’est la Toussaint. Les enfants ont dit qu’ils passeraient la chercher pour aller se recueillir sur la tombe de ce Père qu’ils ont si peu connu.
Comme d’habitude, ils n’ont pas donné d’horaire précis et bien insisté sur le fait qu’ils ne pourraient rester longtemps, et qu’elle doit se tenir prête pour partir au cimetière dès qu’ils arriveront. Ils font juste leur devoir filial par peur du « qu’en dira-t-on » ne voulant pas passer pour des enfants indignes.
Alors elle s’est préparée bien en avance pour ne pas les retarder. L’attente est longue, il fait frisquet, mais elle ne veut pas rater cette rare occasion de voir son monde. Elle voit passer les gens du village et autres visiteurs qui s’en vont honorer leurs ancêtres, et qui passent devant elle sans un regard.
Elle est plongée dans ses souvenirs, les années heureuses avec son homme, le travail était dur, mais ils étaient heureux. La venue des enfants les a comblés de joie.
Mais le malheur a frappé à la porte, cette guerre qui a pris son homme qui n’est pas revenu. Elle s’est enfermée dans la tristesse, n’a plus voulu voir les bonheurs simples. Elle a bien élevé les enfants mais sans joie, ressassant l’injustice du monde qui a éteint son sourire.
Elle sait que quand elle ne sera plus là, la maison sera vendue et qu’au fil des ans, plus personne ne viendra au cimetière, la tombe ne sera plus entretenue, l’histoire de la famille se délitera définitivement.
Pivoine
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