Atelier 4 - 2020 - Sujet 1
Une histoire ordinaire
« Kate seule ne dormait pas. Des images sans suite se bousculaient dans sa tête. Les paupières sans doute ouvertes, elle s’étonnait de la modification subtile de ce qui l’entourait dans la chambre close. »
Son triptyque lui renvoyait son image brouillée. Dehors, des nuages lourds et menaçants déversaient en giboulées cinglantes toutes les larmes de ce monde mourant. Elle évoluait en plein cauchemar depuis si longtemps.
Avait-elle raison de continuer à lutter ? Tout lui semblait perdu d’avance !
Il y avait si longtemps qu’elle s’efforçait de rejeter ses idées morbides et cette ambiance particulière lui hurlait d’abandonner de se laisser aller.
Lui, froid et lugubre à son habitude, semblait planter dans le décor tel un sujet de cire. Son unique réaction face au flot ininterrompu de ses larmes avait été une phrase sibylline : « J’ai bien peur que l’été ne soit très chaud. »
Face à son regard glacial, une furieuse envie de lui faire mal avait embrasé ses entrailles. Elle s’était contrainte à museler sa haine à ne pas laisser la colère prendre le pas sur sa raison, alors, une fois de plus, elle s’était tue. Il était sorti sans rien ajouter.
Elle avait ouvert la fenêtre pour admirer la beauté de son jardin qui, malgré ce temps maussade, éclatait en gerbes et massifs colorés. Ce jardin c’était son cœur qu’elle gardait en vie pour ses deux petits garçons et pour conserver un lieu où se ressourcer quand tout devenait trop difficile à vivre.
Leur manoir semblait aujourd’hui l’abri d’un monstre légendaire perdu dans un jardin féérique. Elle avait consulté un voyant qui ne lui avait laissé aucun espoir.
« Vos cieux sont de mauvais augures, cet homme ne vous rendra jamais heureuse, pourquoi continuez-vous malgré tout à partager sa vie ? Pourquoi lier votre famille à cet être dépourvu de lumière intérieure ? »
Qu’aurait-elle pu lui répondre qu’il menaçait la vie de ses enfants si elle le quittait !
Sa mère était intervenue pour lui dire qu’aimer n’était pas toujours facile, mais qu’il y avait dans cet acte de foi une dimension qui tenait parfois du miracle. Le mage s’était retiré contrarié. Seule sa tante la comprenait. « Aimer sans doute est le possible le plus lointain ! » Car avait-elle ajouté, pour vivre un tel aboutissement, il faut s’oublier, mais sans jamais se perdre.
Kate y avait cru. Il faut dire que le bougre avait su se vendre. La noirceur était entrée dans sa vie sournoisement, insidieusement. Aux yeux de ses parents, ils formaient un couple admirable. Leurs amis et collègues le pensaient tous. Il faut dire que la façade était belle. Manoir du 17ème siècle, voitures de luxe pour elle et lui, réceptions hebdomadaires et vêtements griffés leur donnaient à tous l’illusion de la vie rêvée des magazines people. Derrière le miroir des apparences, elle vivait enfermée dans une tour d’ivoire, une cage dorée sans issue.
La nuit est tombée, il n’est pas encore de retour et c’est tant mieux, le pistolet est chaud dans sa main… Il attend de pousser son cri de mort. En attendant, il est lourd. Elle sait qu’il la croit vaincue… Ce sera sa seule erreur !
Sa mère a emmené ses fils avec elle, car son père leur a offert deux poneys. Ils en rêvaient depuis si longtemps, mais leur père ne leur avait jamais accordé ce plaisir.
Ses pensées s’envolent à nouveau vers hier.
« C’était une journée qui avait débuté comme les autres et pourtant… » Elle s’était évanouie au bureau et réveillée à l’hôpital.
- Bonjour, madame, quelle est la date de début de votre grossesse ?
- Je suis enceinte ?
- Oui ! Vous l’ignoriez ?
Elle n’avait pas su quoi répondre. Son dernier viol remontait à cinq mois. Comment était-ce possible ? Son corps ne s’était pas transformé comme pour ses deux premières grossesses. Pour ses fils, sa poitrine avait tout de suite gonflée, elle n’avait plus eu de menstrues. Cette fois rien de semblable comme si son corps refusait d’annoncer la nouvelle !
A suivre....
Maridan 8/03/2020
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