Atelier 4 - 2023 - Sujet 3
Vieux chevalet oublié....
Depuis longtemps oublié au fin fond de ce grenier, couvert de poussières et de toiles d’araignées, je dors enfoui sous un tas d’autres objets que notre propriétaire juge inutiles, laids après les avoir aimés.
Certes je suis vieux, tacheté de couleurs multiples, mon bois n’est plus aussi beau, mes articulations raides, mais sans remords, il m’a relégué dans cet endroit lugubre.
Et pourtant, il m’avait choisi avec amour, tournicotant autour de moi afin de vérifier mes capacités, ma solidité, l’agilité et la souplesse de mes articulations, ma légèreté afin de pouvoir me porter aisément.
Il était content, m’emmenait partout sur son dos, me posait sur tous les sols grâce à mon équilibre parfait. J’ai vu couler de nombreuses rivières, des prés verts, des champs de blés, j’ai même fait de l’alpinisme, tous ces paysages que le peintre reproduisait sur les nombreuses toiles que j’étais fier de supporter.
Au début, il prenait bien soin de moi, enlevant chaque goutte de peinture qui s’échappait, mais peu à peu elles furent bien trop nombreuses, ou alors un départ précipité laissait le temps à la peinture de sécher ; c’est ainsi que je devins multicolore. Et avec le temps mes articulations se firent plus dures à ouvrir.
Un jour, passant devant une vitrine, il vit un de mes cousins d’un beau bois blond vernis. La comparaison se fit bien sûr à mon désavantage. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans ce grenier poussiéreux. Mais cet endroit, à force d’y déposer tout ce qu’il ne voulait plus déborda et il prit la décision de le vider entièrement.
Avec mes compagnons d’infortune me voilà maintenant sur le trottoir, miséreux attendant l’âme charitable qui saura voir la beauté derrière la saleté et me redonner belle allure et utilité. Un jour, une nuit sous les étoiles, mais personne pour s’arrêter. Indifférence, dédain, voire un coup de pied, voilà tout ce que je reçois.
Au petit matin, un coup de frein brusque devant mon trottoir, un homme tout vêtu d’orange fluo descend d’un camion et me prend dans ses bras, Je retiens mon souffle, espère encore .... Hélas, il me jette sans un regard, et sans ménagement dans la remorque où se trouvent déjà d’autres infortunés.
Nous nous interrogeons les uns les autres en chuchotant sur notre devenir. Comme dans tout groupe, il y a les optimistes qui croient au paradis et les sceptiques qui leur répondent de cesser d’espérer.
Le véhicule s’arrête enfin, je retiens mon souffle, espère malgré tout encore un peu.... Hélas je ne vois qu’une grande bouche noire ouverte d’où émane une chaleur infernale et là je sais enfin quel sera mon destin..... Je ne verrai plus le ciel ni les couleurs, je vais fondre dans ce magma incandescent.
J’étais un beau chevalet choisi avec amour, puis oublié et jeté pour un plus beau, et pourtant j’avais un certain charme et pouvais encore servir. Mon successeur aura le même destin. Toujours du nouveau… veut le peintre.
Pivoine
Mon vieux compagnon de route a 35 ans et a subi plusieurs
restaurations, mais il est encore avec moi
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