Maridan-Gyres

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Atelier 6 - 2019 - 3ème sujet

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Une mémoire de rêve  ou  un rêve de mémoire

 

J’ai la mémoire qui flanche. J’oublie tout. J’oublie même, quelquefois, que j’existe. Comment dans ce cas délimiter les contours du rêve, ceux de la réalité, voire ceux mêmes de l’écriture devant la page blanche ?

 

Il m’est arrivée, souvent, de partir sans sortir de chez moi. Là, immobile dans mon séjour et hop ! Me voilà égarée, disparue, partie ! Pour où ? Soyez gentil, ne me demandez pas où car moi-même, je n’en sais strictement rien. Tout ce que je sais c’est que je suis déjà partie. C’est tout. Et ce n’est pas rien. Et c’est ce que j’appelle l’intensité du rien.

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Puisque j’ai la mémoire qui flanche, passage incontournable de l’âge, il ne me reste plus qu’à suivre à la lettre l’enseignement de Matisse qui s’est confié un jour, en 1945, à un ami : «  Je me suis accoutumé depuis longtemps à dessiner les yeux bandés. Les dessins que je découvre ensuite sont fréquemment d’une ligne plus décidée, plus énergique que ceux exécutés les yeux découverts ». La pratique du dessin en aveugle est récurrente chez Matisse. Contrainte féconde, la privation du regard accompagne sa réflexion sur le dessin à chaque fois que celle-ci prend une inflexion décisive (*).

 

Une mémoire bandée, et bien bandée, voilà ce qu’il me faut.

Surtout si elle est bien ronde, bien lisse, une fois les aspérités rabotées.

 

Les souvenirs, les miens bien sûr, n’ont qu’à bien se tenir ! Ils n’ont qu’à bien s’incorporer les uns à la suite des autres. A moins qu’au nom de la pudeur, ils ne convertissent le « je » en « elle », m’exhortant à parler de moi à la troisième personne. Mais là aussi, ça ne va pas. Les émotions ont leurs règles d’exigence. Vivre ma vie m’a toujours paru plus urgent que de la raconter, ayant eu l’occasion de constater combien reste périlleux ce risque d’exposer, à tous vents, des mots forcément biaisés du récit puisque, entre deux souvenirs, sous le pont de mes nuits, l’eau a déjà beaucoup coulé. Et que de toute façon ce ne sera jamais la même eau qui coule.

 

En définitive, faire jaillir les étincelles d’optimisme me paraît l’acte essentiel pour survivre face aux aléas de la vie.

 

Telle la roche, ma mémoire a plusieurs strates. Avec ce que le vent lui apporte, elle ne se lasse jamais de se nourrir des sédiments déposés lors des rencontres. Et qu’importe au fond si celles-ci s’avèrent fidèles ou éphémères puisque je n’ai jamais su exiger. Encore moins revendiquer.

 

Tel le blason, ma mémoire porte plusieurs bandes. Sous la coulée du temps, elle s’orne d’emblèmes fugitifs dont la valeur et la signification sont connues de moi seule.

 

La mémoire ou la vie ? La question m’avait hantée.

 

A l’heure où j’écris ces mots, mon choix est fait.

 

Entre les deux, sur scène face au monde ou en pleine conscience seule dans mon ermitage, je choisis de rêver.

 

Une mémoire rêvée.

Une vie rêvée.

Pour un rêve tout court. Tout simple.

 

 « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » (Musset).

 

 

 

Elfina

Ermitage-sur-Lez

01/03/2019

 

 

(*) Phrases recopiées au Musée Matisse de Nice.



01/03/2019
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