Atelier 6 - 2022 - Sujet 4
Max
Des nuages lourds passaient devant les fenêtres du bâtiment plusieurs fois centenaire. Je les regardais courir sur la ville, éclairant de leur tristesse timide les scènes ordinaires de la vie quotidienne.
À travers les vitres sales, j’apercevais en contrebas la petite rue goudronnée dont l’humidité acre avait envahie mes narines un moment auparavant. L’odeur déplaisante et douce du pétrole modifié m’avait poursuivi jusque sous les perrons cachés à l’abri desquels j’avais passé les nuits précédentes. Elle émanait maintenant des fibres synthétiques de mon pull mouillé, condamnant mes sens écœurés à subir son omniprésence. C’était le parfum de ma misère.
Les passants se pressaient, le visage caché par un parapluie, les mains enfoncées dans les poches d’un sweat-shirt ou la capuche remontée sur une casquette. Tous étaient mus par une nécessité que mon esprit ne pouvait qu’imaginer inutile ou inévitable, comme celle qui m’avait conduite en ces lieux.
Mon humeur était à l’image du temps, triste et sans espoir. Dans quelques instants, une personne dont l’intérêt n’était motivé que par l’indifférence du travail quotidien allait décider de mon avenir. Le juge était sorti pour discuter en privé avec l’assistante sociale qui s’occupait de mon cas. Ils n’avaient pas voulu me demander d’attendre dehors, craignant que je profite de l’occasion pour m’en aller.
Le foyer dans lequel ils m’avaient placé n’était qu’un trou à rat sordide qui n’avait rien à m’apporter. Incrusté entre les hauts bâtiments d’une banlieue surpeuplée, il avait les murs de sa petite cour intérieure bardés de barbelés. Ils étaient officiellement sensés nous protéger des intrusions, mais il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre qu’ils s’étendaient aussi à l’intérieur. Alors j’avais décidé d’en partir et de tenter ma chance ailleurs. J’aurais bien trouvé un moyen de m’en sortir par moi-même.
La justice ne semblait pas de cet avis et j’étais maintenant coincé dans cette pièce si petite que les deux chaises placées en face du bureau semblaient l’emplir en entier. Absurde privilège de l’administration que de travailler dans un monument majestueux pour se retrouver dans un espace si ridiculement réduit.
L’endroit ressemblait à une salle de musée. Les murs étaient invisibles derrière les vieilles bibliothèques en bois qui imprégnaient l’air de leurs parfums de vernis et de moisissures. Partout où mes yeux se posaient, il y avait des livres reliés de cuir dont je me moquais bien du contenu. Sur la tranche de certains d’entre eux, en en lettre dorées, je pouvais lire « Code pénal », « Droit du travail », loi de ceci ou de cela… Des exemplaires brochés dont les pages insipides contraignaient la toile de notre société par ses milliers de fils invisibles.
Ce n’était pas la première fois que je me retrouvais ici et l’odeur des vieux livres ajoutait à mon angoisse présente le souvenir de mes désillusions passées.
Ma mère m’avait laissé tomber, il y avait maintenant deux ans de cela. Jamais je n’aurais pu imaginer que ça puisse m’arriver un jour. Après que mon père se soit tiré, sa vie n’était plus qu’une alternance d’échecs et de déconvenues. Elle avait finalement préféré se séparer du fardeau que j’étais devenu pour ne pas sombrer.
La persévérance du juge avait amené mon père à considérer la possibilité de me prendre à sa charge, mais j'avais refusé cette option. « Je ne le connais pas » lui avais-je répondu alors qu’il me présentait cette opportunité comme ma seule alternative. Arc-bouté à ma décision, je résistais aux assauts de la tentation et aux appels au bon sens. A mon âge, la seule liberté qu’on vous accorde, c'est de pouvoir choisir l'entité qui décidera de chacun de vos actes pour les années à venir. Alors j’avais tenu bon. « La liberté, enfin » avais-je pensé alors. Ne plus dépendre de cet entourage limité qui ne voulait pas de moi, qui m’entravait. Désormais, j'avais une chance.
Tranche de vie désespérée qui n’intéressait personne…
C’était sûr, j’allais être bon pour le centre éducatif fermé. Pourtant, tout ce que je voulais c’était qu’on me foute la paix. Je traînais dans les rues, c’est vrai, mais je ne m’en sortais pas trop mal. Bien que je fusse encore jeune, je pouvais parfaitement me gérer tout seul.
La porte s’ouvrit enfin et le juge entra, suivi par l'assistante sociale. Il me demanda de m’asseoir et je m’installais sur une des chaises trop lourde et trop grande pour que je puisse m’y sentir à mon aise. Il s’assit à son tour et commença à parler.
Il me proposait d’intégrer un nouveau type de structure expérimentale, un club de prévention spécialisée. Tel qu’il me la décrivait, elle ressemblait à une sorte de secte laveuse de cerveau : éducation alternative, développement personnel et développement durable. Mon cul, oui ! C’était décidé, jamais je n’accepterai de finir là-bas.
« Maximilien, tu dois comprendre que c’est ça ou le centre éducatif fermé » me dit le juge.
Résigné, je pris un moment pour réfléchir. Je n’avais pas le choix de toute façon. Je signais au bas du document qui stipulait que je me portais volontaire pour intégrer « l’école de la dernière chance »
David
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