Maridan-Gyres

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Atelier 7 - 2021 - sujet 2 - Chassé croisé

CHASSE CROISE

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Le faire-part de mariage arrivé au courrier de midi, Isabelle l’avait négligemment oublié sur la console du vestibule.

 

Fabien avait découvert le même faire-part avec factures et publicités le soir en regagnant ses pénates, l’oubliant sur le manteau de la cheminée.

 

Elle eut bien conscience que sa présence à ce mariage était incontournable ; aucune mauvaise raison ne pouvait l’en dispenser. La fille de sa meilleure amie allait convoler en justes noces au pays normand et unir sa vie à un brillant capitaine de corvette.

 

Il n’a jamais eu beaucoup d’empathie pour l’armée et surtout pas pour la marine, pourtant, il savait que sa présence à ce mariage était incontournable. Toutefois, l’idée de ce périple le remplit d’aise. Fabien envisagea même de prolonger son séjour après la cérémonie pour redécouvrir une belle région de France qu’il ne connaissait pas vraiment… de vagues souvenirs de vacances tout au plus, et il y avait tant d’années…

 

Isabelle dut se rendre à l’évidence et faire « contre mauvaise fortune bon cœur ». L’idée de tous ces uniformes l’incommodait déjà. Elle se rassura en pensant qu’elle avait trois mois pour réfléchir à ce qu’allait être cet événement. Ce sera Le Mariage « bon chic bon genre », ce qu’elle abhorrait profondément. Il allait lui falloir trouver « la tenue adéquate » et élégante pour ne pas détonner au milieu des chapeaux improbables et des robes couture de la belle famille. Oubliée la tenue jean-basket ! Elle en avait déjà l’estomac en vrille…

 

Fabien, un peu pingre et c’est un euphémisme, n’avait aucune envie d’investir dans « La tenue adéquate » que jamais il ne reporterait et qui achèverait sa brève existence bouffée aux mites au fond d’une armoire. Mais il avait trois mois pour y réfléchir. Il essaierait de ne pas détoner au milieu de tous ces uniformes. Il allait sûrement se rabattre sur le costume déjà porté lors du mariage de son copain Antoine. Idem pour les chaussures ! Oubliée la tenue jean-baskets !

 

Isa tentait de s’imaginer au milieu de tous ces pantins déguisés parmi lesquels il lui semblerait faire figure d’extra-terrestre. Elle ne connaissait aucun des invités pensait-elle et allait mourir d’ennui pendant les deux longues journées prévues pour l’événement, comme si deux heures ne suffisaient pas

 

Certes, Fabien ne connaîtrait que peu des nombreux invités, mais sa famille et quelques connaissances étant du lot, les festivités devraient prendre une tournure plutôt agréable. Cette considération l’amena à envisager cette sortie avec bonheur. Néanmoins il pensa sincèrement que deux heures auraient suffi en lieu et place des deux longues journées prévues pour l’événement. Toutefois, il aurait l’insigne honneur d’accompagner la future mariée, sa nièce, vers l’autel devant lequel seraient pris les engagements des nouveaux époux. La jeune femme ayant perdu son père il y a quelques années, il serait bien entendu du devoir de son oncle et parrain de la conduire vers sa nouvelle vie.

 

Isabelle s’ouvrit de son embarras à son amie qui tenta de la rassurer à renfort de nombreux arguments.

 

« Mais si, tu vas rencontrer beaucoup de personnes très sympas… ! Tu verras, il y en a même qui sont très drôles et pas coincées du tout ! »

 

Devinant la moue septique de celle-ci, la mère de la mariée comme traversée par un éclair de génie, répliqua toute guillerette :

 

« Mais si bien sûr, tu connais quelqu’un ! Fabien ! Puisque c’est lui qui doit accompagner la promise ! »

 

Un long « blanc » suivit cette évocation, puis comme un gamin pris en faute, Isa bafouilla une vague excuse afin d’écourter poliment la conversation. 

 

Fabien ayant rapidement réglé le problème de sa tenue et des invités, se pencha ensuite sur la question du cadeau. La liste de mariage ne lui convenait pas… trop ringard, trop cher, manque de suggestions originales, enfin rien ne semblait à son goût ! N’arrivant pas à se décider, il décida alors de remettre à plus tard le choix de son présent. Ce n’était pas dans son caractère de se « faire des nœuds au cerveau » pour si peu.

 

A peine remise de sa surprise, Isabelle commença à se remémorer ce que Fabien avait représenté pour elle. L’Amour avec un grand A, tellement grand, qu’elle n’en n’avait jamais vraiment fait son deuil. Elle avait vécu avec passion leur idylle de plusieurs mois alors que pour ce « cher et tendre » elle savait bien que seule une suite de souvenirs aussi délicieux que pittoresques lui était restée. Devant son manque d’engagement de l’époque, elle avait préféré rompre espérant un sursaut…

Hélas, il était parti sans se retourner et sans regret était sortie de sa vie, pensait-elle.

Se reprenant en mains, elle décida d’arrêter de se « faire des nœuds au cerveau ».

 

Le temps s’écoula et, quelques semaines plus tard, Fabien dû envisager sérieusement le rôle qui allait être le sien tout au long de cette cérémonie. Le prêtre qui allait bénir cette union s’avérait être un membre de la famille. Sa réputation de rigueur quant aux rituels religieux n’étant plus à faire, il n’était pas question d’improviser au moment du mariage. L’oncle et parrain entra donc en contact avec la mère de la mariée pour affiner certains détails et récupérer les coordonnées du dit prêtre.

Ayant bien pris note des infos dont il avait besoin, ils continuèrent à évoquer le déroulement de la célébration et à faire allusion à certains invités…

 

« Mais si bien sûr, tu connais quelqu’un d’autre ! Isabelle ! Isa, tu ne l’as pas oubliée j’imagine ! » déclara avec un rire lourd de sous-entendus la mère de la future mariée.

 

Un long « blanc » suivit cette évocation, puis comme un gamin pris en faute Fabien bafouilla une vague excuse lui permettant de mettre fin à la conversation.

 

Isabelle ne cessait de penser à lui le jour, en rêvait la nuit, se réveillait dans une sorte de malaise et d’angoisse. Le revoir après tant d’années… Ces années qui avaient tellement endommagé son visage et sa silhouette… Implacables, les rides marquaient désormais ce minois qu’il avait aimé et caressé. Les rondeurs, apanage de l’âge, enlaidissaient ce corps qu’il avait honoré avec tant de délicatesse et auquel il avait procuré tant de plaisir

 

Non, bien sûr, comment aurait-il pu l’oublier ? Pour Fabien la cicatrice de leur séparation était restée sensible un temps, puis la vie reprenant son courant il avait préféré oublier le passé.

Certes il se sentait bien auprès d’elle, mais de là à envisager un avenir commun, il n’y avait jamais vraiment songé à l’époque de leur aventure. Et cela, aujourd’hui il le regrettait amèrement.

 Il se mit à y penser le jour, commença à en rêver la nuit, à se réveiller dans un état de tension que le seul souvenir du corps d’isabelle pouvait susciter… ce corps qui lui avait procuré tant de plaisir

 

Plus la date de ce fichu mariage approchait, plus la panique envahissait la quinquagénaire. Avec l’envie de le revoir grandissait l’angoisse de ces retrouvailles. Elle se trouvait laide, grosse, insipide. Trop tard maintenant pour perdre les kilos superflus accrochés à ses hanches, les marques du vieillissement demeureraient indélébiles.

Ne pas y aller… Fuir cette fête ou depuis de longs mois elle n’avait aucune envie de se rendre. Tomber dans l’escalier… une gastro… ou autre chose, enfin, juste un petit acte manqué constituant un prétexte plausible afin de justifier son absence…

 

L’idée de revoir Isabelle séduisait plutôt Fabien. Sa vie de couple n’ayant pas été une franche réussite, l’idée de la retrouver l’émoustillait pleinement. Plutôt sportif, ayant gardé une minceur de jeune homme, il était satisfait de l’image que lui renvoyait le miroir. Pas de kilos superflus à perdre, les marques de vieillissement lui donnaient un charme supplémentaire avec ses tempes grisonnantes et à son âge l’assurance de la maturité.

 

Finalement, le jour tant attendu ou redouté se leva sur une rosée ensoleillée et la promesse d’une journée magnifique.

Tôt le matin, un taxi attendit Fabien et le déposa le cœur léger, vers la zone d’embarquement de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Il arriverait à Caen vers onze heures.

 

Tôt le matin, n’étant tombée ni dans l’escalier ni dans la rue, Isa chargea bagages et angoisse dans sa petite voiture et prit la direction de la Normandie. Si le voyage se déroulait sans surprise, elle arriverait à Caent vers midi.

 

Il devait être sur site quelques heures avant la cérémonie et rencontrer le prêtre pour régler les dernières mesures de « la mise en scène »

 

Elle devait être chez son amie pour y déjeuner et dès le repas achevé y revêtir la tenue de circonstance. Elle ne put rien avaler. Isabelle se trouva d’une laideur immonde dans son petit tailleur rose poudré assorti d’un bibi du même ton. Les escarpins gris perle la faisaient déjà souffrir le martyre avant de quitter la maison.

 

« Mais qu’est-ce que je fous ici ? » s’invectiva-t-elle intérieurement.

 

Le mariage civil ayant été célébré quelques semaines auparavant, tous les invités se retrouvèrent sur le parvis de l’église.

Une légère brise marine animait l’air normand et agitait froufrous et dentelles des belles invitées et des moins belles…

Le cortège se forma religieusement à quelque distance de la petite église romane qui allait accueillir la cohorte d’emplumées et de galonnés.

 

Malgré son souhait de devenir transparente, arriva l’instant tant redouté ou le regard d’Isabelle croisa celui de Fabien…l’ayant reconnue à l’instant, il lui décocha un superbe sourire doublé d’un clin d’œil malicieux…

Isabelle se sentit défaillir et s’accrocha à sa pochette pour ne pas s’écrouler. Elle tenta un sourire qui resta crispé et de clin d’œil fut incapable… Elle dû blêmir, car un proche invité en uniforme lui proposa un bras secourable.

 

« Non ce n’est rien le remercia- t-elle poliment…Un petit coup de chaleur tout au plus… »

 

S’enfuyant presque, elle se noya au milieu de l’assemblée et s’installa sur un banc de l’église afin de pouvoir observer discrètement l’amour de ses trente ans. Remise du choc premier, ayant repris ses esprits, elle l’examina avec attention.

En fait, elle ne le reconnu pas vraiment. Il avait changé, assurément autant qu’elle…Elle chercha ses traits tels qu’en son souvenir…ne les retrouva pas… Il lui parut mal fagoté… Ses cheveux grisonnants marquaient son âge… Il se voutait légèrement…et elle finit par se demander s’il était vraiment l’homme qu’elle avait tant aimé ?

La cérémonie achevée, le jeune couple auréolé de lumière s’avança lentement sous une voute argentée composée de sabres de marine.

 

Fabien erra quelques minutes au milieu des invités cherchant Isabelle du regard. Il lui semblait retrouver la conquête de sa jeunesse, celle qui l’avait fait chavirer aux fêtes nautiques de La Rochelle.

 

Non loin, celle-ci erra parmi les mêmes invités et observant sa quête, elle ne fit aucun effort pour faciliter ses recherches. Décidément, elle ne retrouvait pas l’amour de sa jeunesse, le séduisant jeune homme qui l’avait fait chavirer aux fêtes nautiques de La Rochelle.

 

Perdue dans ses pensées, elle sursauta quand une main caressante se posa sur son épaule.

Se retournant vivement, elle se trouva face à Fabien qui l’enlaça littéralement.

Elle n’allait pas jouer les vierges effarouchées, mais se contact impromptu ne lui procura aucun plaisir et se trouva soulagée quand enfin il relâcha son étreinte.

 

« Quel bonheur de te revoir…il y a si longtemps…tu n’as pas changé… ! »

Il semblait vraiment heureux de retrouver son ancienne conquête. Isabelle tenta d’avoir un enthousiasme à la hauteur du sien mais le cœur n’y était plus. Elle était vraiment déçue et se fustigea intérieurement d’avoir tellement fantasmer ces dernières semaines.

 

La suite des festivités donna lieu à un long chassé-croisé, Fabien redoublant d’imagination pour retrouver Isabelle, alors qu’elle redoublait d’imagination afin d’éviter son entreprenant ballet de reconquête…

 

Le lundi, Fabien repartit seul dans l’avion pour Toulouse, oubliant ses projets de balade normande.

 

Le lundi, Isabelle ne partit pas seule au volant de sa petite voiture en vue d’une excursion sur les côtes normandes. Un charmant galonné au sourire ravageur, une carte sur les genoux lui servait de copilote et se réjouissait déjà de découvrir la région en si charmante compagnie…

 

 C’eut été vraiment malencontreux qu’elle tombât dans les escaliers !

                                                                                                  

                                                                                                            KIKA avril 2021.



01/05/2021
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