Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

l'atelier du 16/04/2014

Le bossu

La troupe excitée des danseuses partit à tire-d’aile en pépiant. La répétition avait été particulièrement animée. La fin de la première représentation approchait. Elles entouraient l’étoile que toutes enviaient pour sa grâce, son professionnalisme. Par contre, elles ne parvenaient pas à l’aimer. Elles la trouvaient froide, sans patience ni indulgence. Et beaucoup se plaignaient d’elle en cachette.

Le pianiste qui avait saisi leurs chuchotis et quelques remarques acerbes essayait de les calmer. Il se montrait plein d’indulgence pour l’étoile Sophie.

-         Petites, petites ! Mais non, vous ne savez pas tout ! Non, elle n’est pas prétentieuse. Je vous assure, mais un tel poids pèse sur ses épaules, tout repose sur elle !

Les danseuses haussaient les épaules ou faisaient la moue. Assurément, c’était un vieux radoteur.

Aussi, lorsque, maladroitement Sophie glissa, ne put se rattraper et heurta le mur du couloir et s’affala lourdement, les premières pensées furent : « bien fait ! » Tiens la sylphide, après tout, est bien comme les autres. De la même pâte humaine pas forcément à l’aise sur ses deux pieds !

Elle gisait, sa robe de danse étalée autour d’elle, corolle fripée d’une fleur coupée.

Le pianiste désolé se rua pour l’aider. Lui aussi s’affala sans grâce, sur la malheureuse éplorée. On se rendit compte que le couloir avait été savonné, ou ciré, ou huilé ! Bref, un liquide avait été répandu. C’était en fait un attentat. Qui avait agi ainsi ? Pourquoi ?

Quelqu’un qui connaissait les horaires du ballet, et savait que l’impérieuse étoile se présentait toujours la première, si c’était bien elle qui était visée.

On aida avec précaution les deux accidentés à se lever. Ce fut chose aisée pour le pianiste penaud, mais tout ému d’avoir serré de si près sa belle danseuse. Quant à sa partenaire, les cris de douleur poussés apprirent aux spectatrices qui cachaient leur amusement que c’était plus sérieux.

Sophie, la merveilleuse étoile si légère, gisait comme un cygne blessé. Elle ne pouvait plus se lever. On dut faire appel aux pompiers qui arrivèrent avec une civière. Adieu les représentations !

Les discussions allaient bon train, mais enfin ce n’était pas normal ! Il fallait enquêter. Parmi les employés chargés de la propreté des lieux, toute une équipe, en fait, surtout féminine (car qui parmi les hommes accepterait une tâche jugée si indigne ?), il y avait aussi un bossu, pauvre homme souvent en butte aux moqueries de ses compagnes. Il avait semblé faire contre fortune bon cœur. Les moqueries avaient cessé. On ne voulait plus toucher sa bosse, prétendument pour avoir de la chance, on ne l’appelait plus « ban ban » ou « Quasimodo »… Mais au fond de lui, ce n’étaient que ressentiment, haine, et désir de se venger. Il n’était pas comme les autres, cela il le savait. Comment l’ignorer en butte aux lazzis qu’il était ?

Il avait essayé de se faire accepter… en vain. L’humanité était cruelle. De vrais fauves qui s’acharnaient sur le plus faible, contents d’oublier leur propre misère en humiliant plus faible qu’eux. Pourtant dans ce corps tordu, qui l’obligeait à regarder le sol, il avait levé la tête péniblement pour admirer une Étoile…

Sophie, elle si légère, si souple, si droite, l’avait séduit…

Il la guettait quand il pouvait à travers le rideau ou caché dans le couloir. Sa vue lui réjouissait le cœur. Bien entendu, elle ne l’avait jamais rencontré… Pourtant, elle s’étonnait de trouver posée sur ses affaires, dans sa loge, une rose rouge. Elle ne savait pas qui la lui envoyait. Un admirateur inconnu ? Elle en avait tant ! Elle se sentait flattée.

Pourquoi, le mauvais sort voulut-il un jour, que la répétition finisse plus tôt ?

Sophie, légère comme une plume, s’envola vers son fiancé qui l’attendait ; elle était heureuse de lui faire une surprise et se faisait une joie de le retrouver. Elle distançait la petite troupe bruyante, et à la porte de sa loge tomba sur un bossu qui essayer de cacher, derrière son dos, une rose rouge.

Sophie demeura interdite. L’homme n’osait la regarder ; d’ailleurs, la bosse monstrueuse lui maintenait la tête inclinée. Il osa pourtant la regarder, la tête couchée sur une épaule. Sophie ne prononça pas un mot, mais recula. Ses yeux parlaient pour elle, dégoût, peur… une moue allongea la jolie bouche.

L’homme tourna le dos, offrant à la vue de tous la monstrueuse bosse qui le déformait et partit le plus vite possible ; le chagrin l’anéantissait… Aune sympathie dans le regard de son idole…

Elle lui avait fait prendre conscience à quel point, il était laid. Le désespoir fit place à la colère, puis à la haine. Bien sûr, il n’espérait rien d’elle. Il savait bien qu’il était hideux… mais un simple petit geste d’amitié de celle qui avait été tant gâtée par le destin, l’aurait comblé de joie.

Non ! Elle n’avait pas de cœur cette jeune déesse. Elle avait aussi trop de chance. La balance n’était pas juste. Il se devait de rétablir un semblant d’équité. La souffrance peut-être lui ferait lieux comprendre les réalités de la vie.

C’est pourquoi son admiration et son amour changés en haine, il décida de donner à Sophie une bonne leçon. C’est lui qui avait fait en sorte que le parquet glissât. Tant pis pour ce qui risquait de lui arriver.

Viviane 16/04/2014

Qui j’ose aimer

 

Ma sœur et moi avons été peu liées. Six ans nous séparaient, j’étais l’ainée. La plus brillante, la plus expansive… Je faisais peu attention à cette cadette un peu effacée, geignarde. L’enfant gâtée de sa maman… Je ne peux qu’avouer que nous nous jalousions.

Moi, l’ainée, j’avais mal accepté la venue six ans après de cette petite sœur qui accaparait l’attention émue des adultes. Mes parents avaient-ils besoin de se reproduire encore une fois ? Je ne leur suffisais donc pas ?

Et la cadette, elle, enviait ma liberté, mon aisance, ma beauté.

Je la qualifiai de vilain petit canard, elle me traitait de grande bêcheuse.. Mes parents se désolaient.

Aussi lorsque je partis pour mes études dès mes dix-huit ans, je poussai un ouf de soulagement… et sans doute ma sœur aussi.

Le temps passa… et je ne vis qu’occasionnellement le vilain petit canard ; je retournai rarement à la maison et bientôt je partis, grâce aux langues que j’avais étudiées, m’installer à l’étranger. Je menai une vie facile, sans attache… après d’ailleurs avoir été déçue par mon premier amour. Je n’avais plus que des rapports assez lâches avec ma famille au grand chagrin de mes parents.

J’avais oublié ma petite sœur qui elle, sagement, avait passé un BTS de secrétariat et restait sagement auprès de mes parents. Je la méprisai un peu, cette chouchoute grognon !

Aussi fus-je étonnée de recevoir une lettre de ma mère me priant, pour une fois d’abandonner les USA et de venir pour le mariage de ma sœur.

Ah bon ! Le petit canard s’était casé ! J’hésitai… Après, la pensée de mes parents qui vieillissaient et la curiosité me firent accepter l’invitation.

Ce fut une jeune fille charmante, bien dans sa peau qui m’accueillit avec une certaine défiance.

Le vilain petit canard s’était transformé. Je fus saisie à sa vue. Une femme qui avait perdu les rondeurs de l’adolescence, méconnaissable. Nous nous étreignîmes… mais je sentis une certaine gêne de sa part. Elle n’avait pas oublié nos difficiles rapports. Je la félicitai, étonnée d’une telle transformation. On m’apprit que son fiancé, allait venir, impatient de connaître sa future « sœur ».

Je me sentis en proie à la curiosité… Qui avait elle pu dénicher cette belle enfant si raisonnable ?

J’eus à peine le temps de me questionner que la porte s’ouvrit.

Un homme entra ! Ce fut un bouleversement total. Il était très beau, blond aux yeux clairs, les traits réguliers, musclé, souriant.

Seigneur ! Tout à fait mon genre. Ce fut un choc, et un éblouissement. Et un sentiment de jalousie brulante m’envahit. Je me sentis ébranlée dans tous mes sentiments. Un coup de foudre ! Certainement. Et pourtant, je n’y croyais pas. Et c’était le fiancé de ma sœur. Pas possible ! Je me sentais en plein désarroi et m’entendis balbutier un pénible « enchantée ».

Les deux amoureux s’étreignirent et un désarroi inexplicable me saisit. Non, non, mais enfin ce n’était pas le premier beau garçon que je rencontrais.

Il fallait que je me calme… Il allait falloir que je joue l’indifférence, mais ce serait difficile…

Viviane 16/04/2014

 



16/04/2014
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