Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

L'atelier du 5/11/2014

La Barberie

 

La couverture lourde, en cuir épais s’était ouverte comme une fenêtre sur ce que je n’oserais même pas appeler une écriture. Ce n’étaient pas des lettres, mais de bizarres silhouettes, certaines chargées de fioritures, se penchant sous le poids des boucles ; d’autres fines, élancées, presque sévères, on aurait dit des moines. Belles ? Je ne sais. Elles étaient vivantes. Il y en avait qui profondément rouges, parlaient du sang qui bout de désir, qui jaillit sous la hache du bourreau, qui se fige sur la lame du sabre. D’autres, cristallines dans leur bleu, essayaient vainement de refroidir les jaunes qui intenses, fatiguaient l’œil de leurs flammes.

 

Qu’étais-je venu chercher dans cette maison fermée, dont le nom, « la Barberie » peint en noir sur la porte, n’était pas seulement le sien, mais celui du hameau dont la maison devait être jadis le château ? Ce que j’étais venu chercher n’avait plus aucune relevance, j’avais trouvé, en ouvrant les fenêtres, ce que je ne pourrais pas appeler un livre. J’avais trouvé un monde vieux de plusieurs siècles, mais jeune pourtant, si jeune et haut en couleur.

 

Au détour d’un long chemin qui court à travers le thym, elle sentit dans le jour naissant de ce beau matin, son cœur s’arrêter. Ce lieu isolé la ramenait des années auparavant, à travers le temps. Et son esprit frémit…

 

Elle est jeune, elle est heureuse ; elle est entourée de l’affection de ses parents… Elle est neuve… Tous les mots qualifiant ce bonheur enfui se pressent dans son cœur : joie, confiance, espoir, amour… Heureux temps de la jeunesse partie, heureux temps de la Barberie.

 

Elle y avait vécu de longues années paisibles… Trop longues pour l’ardente adolescente avide d’ailleurs. Elle ne savait pas que c’était là le bonheur, le vrai, l’authentique…

 

Cette Barberie, lui semblait alors une prison, cette maison témoin de tant de générations…

 

Cette Barberie au nom barbare, ou ridicule – barbe – barbante… qui avait démesurément enflé, grossi… car la Barberie n’était pas seulement le nom de la maison, mais celui du hameau dont la maison devait être jadis le château.

 

La peur

 

Elle avait décidé de revenir à la vieille maison familiale, maintenant bien négligée. La famille s’était dispersée… Les enfants avaient grandi, et faisaient leur vie comme on dit, lancés comme des dés dans le quotidien… La vieille maison perdue dans les bois au bout d’un mauvais chemin ne les attirait plus… et puis elle avait connu le veuvage… Elle l’avait perdu, lui, le compagnon fidèle des jours heureux…

 

Lorsque les enfants avaient abandonné peu à peu le nid, ils étaient restés seuls, ils s’étaient retrouvés, et avaient même apprécié le calme de la maison, loin du bruit, loin de la civilisation. Ils avaient apprécié cette vie plus près de la nature, les chants d’oiseaux dans les arbres, la fuite d’un écureuil…

 

Aussi n’avait-elle pas pu vendre la maison malgré les conseils des enfants, et pour leur montrer qu’ils avaient tort, elle avait décidé d’y venir seule, à la recherche des temps enfuis.

 

Elle avait été surprise du silence qui l’attendait… La maison encapuchonnée de son grand toit, la surveillant de ses yeux aux volets-paupières clos… Le jardin, pas entretenu, accrochant de grandes herbes à sa robe, quel travail !

Elle ouvrit la porte sur les ténèbres intérieures. Une odeur de renfermé la saisit… Elle était déçue… Elle n’avait pas imaginé son retour ainsi… Elle s’affala dans le fauteuil… Le lieu était sinistre… Elle avait commis une erreur. Elle n’aurait pas dû revenir… L’absence de son mari fut plus forte.

 

La nuit tomba rapidement. Les ombres s’allongèrent. Sa solitude lui sauta aux yeux… Elle se sentit importune, alors elle ferma la porte avec soin… Le programme de TV ne la satisfaisait pas. Peu de chaines dans ce lieu reculé. Elle décida d’aller se coucher. Son pas résonnait dans l’escalier de bois, et l’écho lui faisait mal.

 

Elle se coucha mal à l’aise, espérant trouver un sommeil réparateur… mélange de jours heureux et malheureux. La perte d’Henri était plus lourde. Pourquoi était-elle revenue ici ? Elle tendait l’oreille malgré elle aux bruits. Elle ne les saisissait pas autrefois, blottie contre le corps aimé et connu…

 

C’était des murmures, des crissements, des heurts sur la toiture… Elle sentit son sang se glacer. Mais non ce n’était rien se disait-elle pour se rassurer. Mais un bruit plus fort la fit sursauter… Une sueur froide l’envahit. Elle était seule !

 

Des récits de faits divers traversèrent son esprit. Femme assassinée, suppliciée... le feu. Qui pourrait-elle appeler ? Le portable ne passait pas…

 

Elle s’enfouit sous ses couvertures comme un enfant, essayant de se raisonner. Elle fermait les yeux en crispant les mâchoires… Parfois, elle se moquait d’elle. Elle l’avait bien voulu ! Mais elle ne reviendrait plus jamais seule ici.

 

Viviane 5/11/2014

 



08/11/2014
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