Maridan-Gyres

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Les mots qui tuent

Pourquoi écrire un livre sur ce sujet. Parce qu'arrivée à 44 ans je découvre avec incrédulité, que je ne suis que le résultat de ces mots qui ont ponctués toute mon enfance, toute mon adolescence et toute ma vie de femme.

 

Quand ont-ils commencés à me façonner, comment jour après jour ont-ils pu causés tant de douleur.

 

A force de les combattre, à force de les contenir on s'aperçoit sur le tard, parce que quelqu'un de l'extérieur, vous amène à poser le doigt dessus, que malgré votre révolte, malgré vos soubresauts pour leur échapper, non seulement ils vous ont atteint mais en plus de cela ils vous ont conduit à des changements profonds qui ont déterminés toute votre vie.

 

Quand tout cela a t'il commencé?

 

Les premiers mots douloureux que j'ai en mémoire, viennent d'une amie de ma mère, "ta fille est vicieuse". Qu'avais-je fait pour mériter ces mots ? Je ne m'en souviens plus. J'étais enfant et ces mots m'étaient étrangers. Par contre l'agressivité derrière ces mots m'a blessée. Lorsque l'amie est partie au lieu d'aller voir ma mère pour lui demander une explication, à mon habitude j'ai enfermé ces mots au fond de ma tête et pendant longtemps, je me suis demandé quel secret horrible ils pouvaient dissimuler.

 

A cette époque dans la chambre que je partageais avec mon frère nous avions un très vieux bureau en bois. Il possédait de nombreux tiroirs. Comme il était plaqué contre le mur, la place pour mettre nos jambes était toujours dans le noir.

 

Un jour maman eu l'idée merveilleuse, pour elle en tout cas, de nous dire que si nous n'étions pas sage elle préviendrait la sorcière qui viendrait nous chercher pour nous punir. Et pour nous le faire entrer dans le crâne, elle avait demandé à notre voisine de se déguiser. La vue de cette femme me terrifia, j'ignore ce qu'il en fut de mon frère car à cette époque je le haïssais copieusement et en aucun cas je ne lui aurais parlé de quelque chose qui me touchait si profondément. J'aurais eu peur qu'il exploite cette peur contre moi. Il semblait plus dur que moi, et me paraissait en tout cas beaucoup plus serein face à tout cela. Aujourd'hui je sais qu'il n'en était rien.

 

Comment retranscrire la peur qui m'habita à partir de ce jour là. Chaque soir lorsque ma mère éteignait la lumière je revoyais le visage grimaçant sortir de sous notre bureau. J'ai le sentiment d'avoir vécu cette peur pendant des années. Heureusement, un jour les enfants grandissent et ils comprennent alors que les parents disent parfois d'énormes sottises. Le jour où je cessai d'avoir peur arriva.

 

J'étais une enfant craintive, tout me faisais peur, j'avais peur de la foule, mais aussi peur du vide, peur du noir, peur des araignées, peur des petites bêtes de toutes sortes. Mais ma peur la plus terrible était sans doute la peur des autres, j'avais une peur viscérale de ne pas leur plaire, d'être mise à l'écart. Lorsque cela arrivait, comme cela arrive toujours avec les enfants, je sombrais dans une profonde mélancolie dont personne ne cherchait à m'extraire. En fait, je me demande si quelque chose ne me faisait pas peur. Les seuls instants où je me sentais bien, c'était lorsque je plongeais dans un livre. A cette époque il n’était pas rare que je lise un à deux livres par jour.

 

J'avais la chance d'avoir un père qui lisait énormément et j'ai donc toujours trouvé de quoi nourrir mes rêves dans sa bibliothèque. Même si parfois je suis tombée sur des livres qu'à mon âge, je n'aurais pas du avoir entre les mains.

 

Ces livres m'ont appris la vie, bien plus sûrement que mes parents, ou même que l'école, où j'avais la réputation d'être un cancre indécrottable. Malheureusement, ils ont également conféré un parfum de magie, à mon enfance, qui n'existe pas dans notre quotidien.

 

L'école maternelle, j'en garde de très vagues souvenirs, par contre ce sont des souvenirs heureux, pourquoi je l'ignore, qu'est-ce qui a changé après, la aussi c'est une réponse que je n'ai pas.

 

L'école primaire. Là, mes ennuis ont commencé. Le premier souvenir que j'en ai c'est celui d'une maîtresse excédée par mes bavardages, qui avait trouvé judicieux de me bâillonner et de m'attacher à mon siège.

 

Je pense qu'à l'extérieur de la maison je devais être insupportable, sinon je ne vois pas pourquoi elle m'aurait ainsi muselée.

 

Mais à vrai dire, de cette époque, j'ai très peu de souvenir. Le dégoût de devoir aller à l'école en portant les vêtements de la mairie, ou ceux donnés par une voisine qui avait deux filles plus âgées que moi. La mairie distribuait deux jupes plissées l'une grise l'autre bleue marine. Je haïssais ces jupes, ainsi que les robes de la voisines, j'étais totalement décalée par rapport aux copines, qui déjà à l'époque portaient des jeans. Malheureusement, la situation financière de mes parents n’offrait pas d’autre alternative.

 

Je me souviens des railleries que déclenchaient immanquablement ma tenue. Mais les mots les plus durs dont j'ai le souvenir ce sont ceux de ma mère. A ses yeux je n'ai jamais rien eu de bien, je ne faisais que des âneries, et le comble, c'est qu'en plus, j'étais disgracieuse.

 

Mon père quant à lui, distribuait allègrement les paires de baffes. Chaque fois qu'une idiotie était faire, qu'importe le coupable, les deux enfants devaient trinquer. Pendant des années grâce à cette justice aveugle, je n'ai eu que de la haine, pour ce frère que le diable m'avait donné. Il n'avait pour toute ambition dans la vie que de faire des sottises et je devais encaisser le châtiment tout comme lui.

 

Pour un enfant, j'en suis convaincu, prendre une fessée n'est rien, s'il est fautif. Mais la fessée injuste, celle qui n'est pas méritée et que l'on reçoit malgré tout, c'est au delà des mots et de la souffrance.

 

C'est une agonie qui nous ronge le cœur et l'âme, c'est une haine inavouable qui nous broie le ventre, le cœur, qui nous pousse à hurler notre rage aux yeux d'un monde qui s'en fou, au cœur de parents qui n'écoutent pas et qui nous mènent à une révolte si profonde et si bien ancrée dans notre chair, qu'elle insinue son venin dans tout notre devenir.

 

Cela semble facile aujourd'hui de coucher ces mots sur le papier. C'est pourtant des années d'errance qui rendent cela possible aujourd'hui. En suis-je guérie, je ne crois pas qu'on en guérisse jamais, tout au plus on apprend à vivre avec, à pardonner, et surtout on perd l'habitude de faire de l'introspection pour se tourner vers l'avenir et abandonner le passé à ses fantômes.

 

Catherine Gris-Misery



27/07/2014
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