Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Voyage au bout de l'espoir

Sa fièvre avait baissé. Heureusement ! Sinon comment aurait-elle supporté trente-six heures de vol ? Elle s'était couchée la veille avec 40 degrés en se disant, les dents serrées : « Demain matin je serai guérie ! Je ne peux pas perdre ce visa ! »

 

« Tu es folle - lui avait dit Cristina, son agent de tourisme -, un visa pour l'Australie en 3 semaines ? Sais-tu qu'il y a des familles qui attendent pendant des années un visa pour y aller voir leurs enfants ? Je m'en lave les mains. Débrouille-toi ! » « Mais je dois y aller, et je n'ai que deux semaines de vacances, et c'est maintenant ! Tu sais bien que le directeur ne me laisse pas partir n'importe quand !» Elle passa trois jours à réfléchir. Des deux semaines il lui restait 11 jours.  « Bon, je dois me calmer. Il faut que j'y aille. J'ai besoin de le voir. De qui dépend ce visa ? Allons voir. Le consulat d'ici est honorifique. Ils enverront le dossier à Belgrade. Alors c'est Belgrade. L'ambassadeur de Belgrade. C'est lui qui va signer. Je n'ai pas le temps d'attendre ni de fournir trente-six-mille preuves de bonne foi. Ça dépend de lui, de l'ambassadeur. Je veux voir sa tête, la tête de l'homme dont dépend le bonheur de ma vie. » Et elle se mit à son clavier. Dans peu de temps, le visage de l'ambassadeur la regardait depuis son CV : John, 47 ans, études de philologie et de droit - « Il n'est pas n'importe qui, il aime les livres, il a de l'imagination. ». Elle se concentra sur la photo. Une paire d'yeux bleus la regardaient franchement. Des traits anglais. Elle plongea dans ce regard avec confiance. « John, je t'en prie, j'ai besoin de toi, je sais que tu vas comprendre. Je vais t'écrire une lettre et tu vas me donner ce visa, John ! » La lettre, elle l'écrit de tout son cœur : simple, directe et vraie : « J'ai rencontré Steve sur Internet. Il me plaît. Il me plaît beaucoup. … Il est … si humain par rapport à tous les hommes que j'ai connus ici ! Comment décider quoi que ce soit avant de l'avoir vu ? … Je travaille pour une entreprise française ; on me donne des vacances à Noël et en août. Je ne puis attendre août ! Il me faut ce visa maintenant. Mon directeur vous écrira pour vous confirmer que je suis de bonne foi et que je dois retourner au travail au plus tard le 10 janvier. … » Elle envoya ça par e-mail. La nuit d'après, elle ne dormit pas. Devant la fenêtre ouverte, au dixième étage, elle regardait le ciel et respirait. Un ciel si clair, en fin de novembre, au-dessus de Bucarest, c'était rare. Appuyée au rebord de la fenêtre, frôlant les dizaines d’œillets roses entassés dans un vase blanchâtre, elle regarda le bleu foncé pointé d'étoiles, des étoiles familières, et derrière la Petite Ourse et la Grande, elle vit, si clairement dessinée, la Croix du Sud. La Croix du Sud n'était pas visible depuis Bucarest. Elle le savait. En cet instant précis, une voix lui dit distinctement : il n'y a pas de limites. Et elle sut dans son cœur que John avait déjà signé son visa. Ce qui suivit, l'interview téléphonique accordée exceptionnellement, alors qu'elle aurait dû aller à Belgrade, ses réponses naïves, le passeport envoyé avec le DHL pour qu'on y appose le visa, elle même descendant dans le hall d'entrée de l'immeuble, la veille du départ, malade, en pyjama, pour recevoir son passeport de la main d'un courrier tout jeune et aussi ému qu'elle... ça n'avait plus tellement d'importance et se passa comme dans un rêve.

 

Le lendemain le thermomètre indiquait 38 degrés. La première étape, très courte, l'amena à Vienne, où elle changea d'avion. Engourdie par une fatigue accumulée depuis des années, elle marchait comme dans un rêve d'un terminal à l'autre. Embarquée à Vienne, elle pencha sa tête du côté gauche : « Je vais me reposer un peu, le temps que le repas arrive. » Cinq minutes après - crut-elle -, elle souleva son front en entendant l'hôtesse de l'air : « Mesdames et messieurs, attachez vos ceintures. On arrive à Kuala Lumpur. » Elle avait dormi seize heures. L'aéroport était dans un brouillard : visages jaunes, noirs, olivâtres, une canette prise à un automate, même terminal, puis dix autres heures de sommeil, si brèves... et Sydney !

 

Lui, Ana le vit à peine : grand, blond, les yeux bleus, la peau tannée par le soleil. Ce qu'elle vit, ce qu'elle sentit par tous ses sens, fut ce pays de merveilles, qui ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait connu. Ce pays qui, dès la sortie de Kingsford, l'enveloppa et l'éblouit de tous côtés. Ça sentait les fleurs! Des oiseaux volaient et jouaient dans l'air tels des papillons. Des arbres dont on ne voyait pas le bout. Et mon Dieu comme ça sentait bon ! Ces arbres aux fleurs blanches irisées de jaune, qui embaumaient l'air – étaient-ils vrais ? Steve allait lui dire plus tard que c'étaient des frangipaniers. Plus tard. Après un long moment qu'elle passa à contempler un eucalyptus sans fin, à travers les larmes. Il lui prit la main et elle sentit la chaleur de sa chair dans son ventre. Elle gémit doucement. Elle eut envie de lui faire l'amour là-bas, tout de suite. C'était sa réaction à elle aux fleurs, aux oiseaux et aux arbres, aux couleurs et au vent parfumé, à la beauté de la vie. 



01/08/2013
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