Maridan-Gyres

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Atelier 13 - 2023 - Sujet 5

 

 

Madame de Cadastray

 

Madame de Cadastray, Baronne du Privadois, est l’épouse du Duc de Valentinois. Mariage arrangé bien entendu entre ces deux familles, mais Diane, car tel est son prénom, n’en a cure. Cette union apporte une protection inespérée à sa baronnie. Le Duc est amoureux et charmant. Il considère les terres d’Ardèche peu rentables, sous un climat trop rude. Mais les avoir annexées, lui procure un tampon protecteur sur les visées expansionnistes du Duché d’Uzès voisin. Homme de réception et de chasse, il laisse son épouse gérer sa baronnie. C’est tout ce que souhaite Madame la Duchesse, qui déteste l’esprit affairiste de la noblesse Valentinoise, préférant ses terres à toute autre cour. 

 

Il faut dire que Madame la Duchesse est un garçon manqué. Petite femme vive, aux yeux noirs profonds, très alerte. Le tricot, la broderie, la tapisserie et tout ce qui fait les délices de ces dames de la cour, la font fuir. Dès les premières jonquilles, avec toute sa suite, elle part vivre dans sa ferme de Coux, la plus grande et la plus spacieuse de ses propriétés. Elle préférait demeurer dans cette ferme, qui sentait bon la paysannerie, que d’être dans son château de Privas, froid, sinistre et sans âme.

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Au milieu de ses fermiers, elle se sent dans sa famille et en être la cheffe convient parfaitement à son esprit d’initiative et d’indépendance. Ses paysans la respectent car ils reconnaissent en elle une protectrice et une amie de la paysannerie. En effet, la Baronne connaît chaque habitant de son domaine par son prénom. Elle invite tous les enfants pour une grande fête le 1er août, pour fêter les moissons, dans l’une de ses fermes à tour de rôle chaque année; ainsi les grands et petits se connaissent mieux et cela participe à l’ambiance régnant dans toute la baronnie. Elle suit avec attention la vie de chacun, procurant tout ce qui peut améliorer le quotidien. Elle se rend, avec son médecin, près des femmes en accouchement et se tient quotidiennement informée des blessures, maladies et décès affectant ses gens. 

 

Quant à ses terres, elle les connaît par cœur, les dimensions de chacune d’elles, leur lieu-dit, la nature de leur sol ; elle en a d’ailleurs dressé une cartographie précise. Elle tient à assister aux saillies des moutons et des vaches ; elle n’hésite pas à faire elle-même la tournée des brebis pour secourir celles couchées. A la fête du cochon, elle ne rechigne pas à y mettre les mains. Quant aux résultats des récoltes, il ne faut pas lui en compter, elle sait à vue d’œil jauger le rendement de chaque parcelle. Et quand elle est en colère à cause d’un travail mal fait, elle ne s’abstient pas d’utiliser des mots de charretiers, afin que le fautif comprenne bien la leçon. Elle est intransigeante sur le respect de la nature, désigne elle-même les coupes de bois de l’année et fixe les quotas pour chaque gibier au strict minimum pour la nourriture des familles. 

 

Voilà pourquoi Madame la Duchesse est appelée  dans sa baronnie « Madame Diane », et a le respect de tous ses gens. Quand on la voit apparaître en haut de la colline, sur l’un de ses plus beaux chevaux, monté non pas en amazone comme ces dames de la haute, mais en croupe habillée de pantalons qu’elle fait coudre spécialement, tous les habitants de la ferme sortent sur le devant de leurs portes pour la saluer, quérir une caresse pour les enfants, un baiser sur le front pour les nouveaux nés et toujours un petit cadeau pour la maman.

 

Madame la Duchesse est heureuse dans son fief et fière de le montrer au Duc quand il consent à s’y rendre, soit pas plus de deux à trois fois durant l’été, réduisant ses séjours à quelques journées, s’y ennuyant profondément, surtout que sa femme lui interdit de chasser sur ses terres. 

 

Madame Diane aime la paysannerie, mais aussi elle adore la poésie. Elle s’y est bien exercée quelques fois, mais a vite  compris que les louanges de son mari et les applaudissements de ces greluches du Valentinois n’étaient que d’apparat. Aussi, adore-t-elle se rendre chez sa sœur  de lait, Isabelle du Bois Saint Martin. C’est la ferme la plus au Sud de son domaine. Elle est exploitée par Antoine, un homme droit, courageux, travailleur, respectueux de ses employés, en qui Diane a toute confiance. Seule chose qui l’intrigue, est cette manie qu’a Antoine de dessiner des drôles d’objets qui d’après lui doivent voler comme les oiseaux. Madame la Duchesse, à l’occasion d’une visite du roi à Valence, avait appris que ce dernier avait placé sous sa protection, un grand artiste Italien, au clos Lucé, qui avait les mêmes lubies qu’Antoine. « Que sont-ils rêveurs ces hommes, heureusement que nous les femmes avons les pieds sur terre. Enfin tant qu’il rend heureux son épouse » se disait Diane. En effet Isabelle est son épouse et tous deux s’entendent à merveille pour faire fructifier la ferme malgré les cailloux qui y poussent plus vite que la vigne.  

 

Mais Isabelle est plus que cela pour Diane. Elle est une amie. Adolescentes, elles ont continué de vivre ensemble, de jouer ensemble, d’apprendre ensemble car Diane avait exigé de ses parents qu’Isabelle reçoive la même éducation qu’elle tant avec ses précepteurs qu’avec ses professeurs de salon, Isabelle ayant des dons pour la danse. Plus tard, elles ne se sont jamais quittées de vue. Quand Diane est à Valence, elles s’écrivent très souvent. Elles ont beaucoup de points communs : l’amour de la nature, le respect des fermiers et des bêtes, l’attention aux familles des ouvriers agricoles. Mais surtout, Diane aime retrouver Isabelle pour lire ensemble des poèmes. Diane apporte des textes que des amies à la cour du roi lui transmettent et Isabelle apporte ceux qu’elle a écrit. Toutes deux passent des après-midi entières à se conter des poèmes. 

 

D’habitude, Madame de Cadastray vient en carrosse depuis Coux avec deux cochers pour tout équipage. Le trajet n'est pas trop long. En cette saison, le voyage est un plaisir au milieu du bouquet des senteurs de la campagne, et ce malgré les chaos des chemins à vous briser le dos. Après dîner, elle dort  sur place, ne rentrant à sa demeure que le lendemain.

 

Ce jour-là, allez savoir pourquoi, Diane s’excuse auprès d’Antoine et d’Isabelle de ne pouvoir rester pour le dîner, désireuse de rentrer le soir même. Elle prétexte que les journées sont longues et qu’elle sera rendue avant la tombée de la nuit. Malgré les protestations de ses amis, elle appelle ses cochers et prend la direction de Privas. 

 

Quand le carrosse arrive au col de l’Escrinet, la nuit est déjà bien avancée. Heureusement, la pleine lune diffuse sa lumière blafarde, facilitant la conduite des cochers. « La maison n’est plus très loin, j’ai bien fait de rentrer de suite » se rassure Diane. Placée volontairement au milieu du chemin, une pierre plus grosse que les autres ne peut être évitée. Le carrosse, après un soubresaut violent, s’immobilise. Diane entend du bruit autour de sa voiture. Des voix d’hommes hurlent. Un coup de feu retentit. La porte s'ouvre brutalement. Apparaissent un chapeau noir crotteux informe surmontant deux yeux noirs avides et méchants, et quatre dents noires d’où sortent des sons gutturaux, ressemblant plus à des aboiements qu’à des mots,  mais que Diane comprend très vite. Elle  sort du véhicule. Deux hommes armés de pistolets, avec des mines à ne pas leur désobéir. Bien sûr les deux cochers ont pris la poudre d’escampette. « Quand il faut compter sur eux, il n’y a plus personne » se dit Diane. L’un des mécréants fouille en vain la voiture dans l’espoir d’y trouver un coffret à bijoux ; c'est méconnaître la Duchesse qui a horreur de toutes ces breloques. Le second posant carrément le bout de son pistolet sur le nez de la Baronne, lui demande son argent. Diane fait front avec son courage habituel et nie en posséder. L’homme devient agressif et répète son ordre, mais il ne peut pas finir sa phrase.  Juste à ce moment, derrière lui, un grognement caverneux le glace. N’osant se retourner, il demande l’aide de son complice. Celui-ci d’une voix étouffée lui dit qu’un loup, toutes dents sorties, se tient juste derrière lui et que lui-même est  encadré par deux louvards. Doucement, les deux hommes reculent à petits pas, et, voyant que les loups ne les suivent pas, se mettent à  courir en direction de la forêt. 

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Alors le loup prend la parole « Madame Diane, n’ayez pas peur. Tous les animaux de la forêt connaissent votre action pour que la chasse soit réglementée, respecte les périodes de reproduction et soit limitée par des quotas. Tout le monde connaît votre amour pour la nature. Aussi, sur vos terres, sachez que vous ne risquerez jamais rien.  Mes enfants vont vous ramener vos cochers puis nous vous accompagnerons jusqu’à votre habitation». En effet, la Duchesse voit revenir ses deux palefreniers poursuivis par les deux jeunes loups, comme des brebis égarées ramenées au troupeau par les chiens. «  Nous parlerons de  votre courage demain ; à la maison» ordonne-t-elle. L’équipage regagne la ferme sans autre incident. 

 

Comme quoi, protégez la nature, elle vous le rendra.

 

Dorémi.



01/09/2023
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