Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 10 - 2019 - 3ème sujet

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<< Je ne pleurerai plus les disparus endormis dans leurs tombes marines, >>

Mes larmes se sont taries le jour où la mer, cette maîtresse cruelle, m'a volé l'amour de ma vie. Louis était parti ce matin-là, comme tant d'autres, plein d'allant, le cœur léger à l'idée de la belle pêche qu'il allait faire. La journée promettait d'être belle. Un immense ciel bleu exempt de nuages accompagnait le chalutier, et puis la météo était bonne.

 

Elle, sa fille et les deux petits derniers avaient accompagné leur père au chalutier qui s'éloignait à présent du port, Pourquoi cette angoisse l'avait*elle saisie tout à coup ? Etaient-ce les larmes de Ludovic ? Non, surement pas ! Cet enfant détestait voir son père partir et ce depuis le premier jour. Le petit dernier, Lucien cinq ans, aurait adoré l'accompagner. A l'école, il racontait à ses petits camarades que son papa était un pirate qui se faisait payer ses rapines en beaux poissons.

 

Louis hurlait de rire à chaque fois qu'elle lui racontait ça. Il soulevait son petit bonhomme et le faisait tourner à bout de bras dans les airs., déclenchant chez l'enfant des fous rires joyeux. Seule, leur fille Lucie restait muette. Elle avait suivi la famille à reculons, restant loin derrière eux. A treize ans, elle n'ignorait rien des pertes que subissaient les femmes de son île adorée, L'île de Batz était un paradis pour ceux qui n'y vivaient pas, pour les milliers de touristes qui l'envahissaient chaque été, mais pour elle c'était tout son univers, son ciel, sa terre, l'air qu'elle aspirait à grandes goulées. L'iode en sa bouche était comme un vin gouleyant diffusant de longues gorgées de bonheur et de sérénité, mais ce jour là, une angoisse sourde minait ses pas.

 

Elle adorait sa maison familiale bordée de rhododendrons, d'azalées et d'hortensias roses, bleus et blancs. Les fenêtres de son nid ouvraient sur l'océan atlantique et elle assistait chaque jour au ballet incessant des départs et retours des marins. L'été les voiliers des touristes encombraient un peu ce tableau idyllique, mais elle s'en moquait, car dès octobre, ils disparaissaient.

 

Ici les vieux se moquaient souvent des paparazzis à la petite semaine qui les mitraillaient sans même leur demander l'autorisation. Ils les regardaient comme s’ils étaient au zoo. Souvent cette génération d'anciens avait l'impression d'assister à la sarabande de singes espiègles. Elle, sans doute à cause de la douleur que cachait ses yeux bleus, personne n'osait soutenir son regard. Il se disait sur l'île qu'elle avait le mauvais œil.

 

Quand elle refusait d'accompagner un marin au port, ledit marin ne revenait pas. Alors ce jour-là, elle avait suivi son père le cœur au bord des lèvres, car elle savait que derrière chaque femme en noir, il y avait des drames et bientôt, ce serait le tour de sa mère. Son père avait senti sa résistance à sortir, il lui avait demandé pourquoi elle était si triste.

  • Ne pars pas !
  • Pourquoi ? avait-il demandé.
  • Je l'ignore, mais j'ai un mauvais pressentiment.

 

Son père l'avait serré dans ses bras et lui avait souri. Sa mère s'était signée.

 

Elle avait grandi sans ce père qu'elle chérissait. Sa mère était morte de chagrin un an plus tard. Elle s'était retrouvée seule à 14 ans avec ses deux petits frères. Pendant un temps, ses grands parents les avaient pris avec eux. Et eux aussi étaient partis pour le grand voyage.

 

A 19 ans, elle était magnifique. Ses longs cheveux flottaient librement au vent et son regard azur avait déclenché de nombreuses passions sur son île, mais elle ne se consacrait qu'à ses deux frères qui la protégeaient avec efficacité. Seul le jeune notaire avait trouvé grâce à ses yeux. Pourtant quand après une cour assidue, il avait fait sa demande officielle devant ses frères, elle avait refusé.

 

  • Mais pourquoi ? Tes frères m'apprécient et je prendrai soin de vous trois.
  • Ma vie ne m'appartient pas !
  • Bien sûr que si ! Regarde-les, ils sont d'accord avec moi.
  • Vous ne pouvez pas m'épouser, même si mon cœur vous appartient.
  • Et pourtant, c'est une tentation. Réfléchissez-y ! Être autre que ce que vous êtes      aujourd'hui, n'y avait vous jamais pensé ?

 

Un léger sourire se dessine sur ses lèvres et le soleil en riant illumine d'or la beauté de ses larmes. Agenouillé, le jeune homme prend sa main et y glisse la bague de fiançailles sous les regards ravis des deux frères qui hurlent de joie.

 

Deux mois plus tard, c'est une mariée radieuse qui sortait de l'église suivie de près par ses deux jeunes frères qui savaient que l'ogresse de l'eau ne prendrait jamais cet homme-là !

 

Maridan le 14/05/2019

 

 



18/05/2019
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