Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 13 - 2021 - sujet 3

 

Rebelles

Aux aguets, progressant à pas rapides à travers la savane, la silhouette cambrée et élancée de la belle Aya, plus déterminée que jamais, tentait de se rapprocher de la ville qui lui était jusqu’alors inconnue. La jeune africaine progressait depuis plusieurs jours, bien décidée à atteindre son but pour terminer et réussir la mission lui ayant été attribuée par ses sœurs d’infortune. Aya avait fini par les convaincre que les maltraitances dont ces pauvresses étaient victimes devaient prendre fin. A l’unanimité elles souhaitaient que ce soit elle qui se charge de défendre leur cause. Alors, tristement, il y a une semaine, elle avait quitté son village nuitamment en laissant sa pauvre mère à l’article de la mort pensait-elle.

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Signifier clairement à son père qu’elle refusait son comportement comme celui de la plupart des hommes de la tribu, devenait une question de survie pour elle et les autres jeunes filles de sa peuplade. Leurs mères ayant subi les mêmes traitements acceptaient tacitement les exactions endurées par leurs filles. Elles avaient foi en Aya qui savait si bien leur parler et les rasséréner.

 

Harassée par cette longue marche, la jeune fille le visage couvert de sueur et de poussière se ressourça un instant. Elle grignota quelques miettes des gâteaux de mil qu’elle avait emportés et bu une gorgée d’eau en s’adossant contre le tronc d’un baobab qui lui offrait un appui et une ombre bienvenue.

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Non loin, elle aperçut un troupeau de gazelles fuyant contre le vent, tandis qu’un guépard filait à leurs trousses. Elle retint son souffle un instant puis reprit son cheminement à travers les hautes herbes luxuriantes de la prairie.

 

Aya savait qu’elle ne reviendrait pas au village et devait penser à sa survie. Elle avait appris qu’à la ville la main-d’œuvre manquait et que toute bonne volonté était la bienvenue. Travailler à l’usine lui permettrait de survivre, mais sa tâche essentielle était de trouver l’organisme ou le bureau dans lequel elle pourrait enfin dénoncer les coupables agissements de certains hommes de son village. En Afrique les jeunes filles, déceptions des pères qui n’auraient voulu que des fils, servaient souvent de sordide monnaie d’échange... C’était Aya qui avait retrouvé son amie Fatou baignant dans son sang, les veines tailladées après une union forcée avec un chef de tribu.

Plus résolue que jamais malgré sa fatigue elle arriva à la porte de la ville grouillante d’agitation et de bruits aussi insolites qu’inconnus. Bien qu’effrayée par tout ce vacarme et cette population bruyante et bigarrée, elle s’enhardit et interpella une jeune femme au visage affable et à l’allure européenne. Cette dernière lui indiqua avec beaucoup de complaisance le chemin à suivre pour se rendre à l’usine et l’informa également du lieu où se tenaient le dispensaire et les bureaux sociaux qu’elle semblait bien connaître.

 

  • Allez-y de ma part, je suis Angélique ; je vais vous monter un raccourci, vous avez l’air épuisé…

 

Arrivée seule et sans bagage, Angélique avait saisi rapidement la détresse de la jeune femme. Il lui arrivait de croiser de ces jeunes africaines en fuite qui tentaient d’échapper au carcan tribal. Hélas, sans plainte officielle, il était impossible d’intervenir dans ces microcosmes très fermés. Sa propre voisine une française, avait recueilli l’une d’entre elles, officiellement comme employée de maison, car elle ne s’était jamais plainte de rien, mais elle avait bien perçu son désarroi et sa crainte permanente.

 

Aya finit par apercevoir l’usine fabriquant des couvertures en tôle ondulée destinées à assurer des abris sommaires pour les animaux domestiques, mais dont beaucoup faisaient aussi office de protections sur les habitations précaires dans son village.

 

Un contre-maître à l’aspect bourru dirigea Aya vers un bureau d’embauche ou l’on accepta de lui donner une chance sous réserve qu’elle se montra travailleuse et assidue. Elle ne releva pas quand il lui annonça le maigre salaire proposé, trop heureuse d’avoir trouvé de quoi ne pas crever de faim.

Continuant sa quête, elle repéra le dispensaire à sa croix rouge clignotante.

A l’accueil, se présentant comme venant de la tribu des Bushmans et se recommandant d’Angélique, elle fut dirigée vers le bureau d’une responsable. Qu’elle ne fut pas la surprise d’Aya en reconnaissant sa bienfaitrice.

Toujours aussi enjouée Angélique l’invita à s’asseoir. Un énorme ventilateur tournait au plafond en remuant l’air chaud du bureau mais donnait malgré tout une impression de fraîcheur. Aya se sentit rassurée par le sourire avenant de la jeune femme qui déclara aussitôt :

 

  • Bonjour, je suis très heureuse de vous voir arrivée. Je pense que si vous êtes parvenue jusqu’ici c’est que vous êtes déterminée à réagir contre vos conditions de vie dans votre tribu. Nous avons plus ou moins connaissance de certaines pratiques intolérables mais sans plainte officielle nous avons les mains liées.

 

D’autres ont voulu essayer avant vous mais n’ont pas osé aller jusqu’au bout de leur démarche par peur de représailles quand elles n’ont pas été enlevées pendant leur périple dans la savane. Bravo Aya, vous êtes vraiment courageuse !

 

La jeune fille ne comprenait pas tout mais eut conscience malgré cela qu’elle avait frappé à la bonne porte. Elle s’apprêtait à raconter les terribles épreuves dont les jeunes femmes de sa tribu étaient victimes quand la pièce se mit à tourner autour d’elle et sans prévenir elle s’effondra lourdement sur le sol carrelé. Angélique bondit de son siège.

 

  • Que je suis sotte…. Elle est complétement déshydratée… de l’eau vite, de l’eau…et des linges pour mouiller son visage et ses bras !

Reprenant peu à peu ses esprits, la jeune africaine se confondit en excuses devant le désordre qu’elle venait de provoquer.

Angélique éluda les propos de la pauvre Aya et après l’avoir étendue sur le lit de soins du dispensaire, l’invita avec empathie à lui exposer les raisons de sa présence ici.

Mise en confiance par la responsable, elle parla en son nom et celui de ses sœurs de souffrance.

Angélique frissonnait intérieurement au récit de la jeune fille. Coups, humiliations, punitions aussi sévères qu’injustifiées, sévices, détentions, viols… Cette terrible litanie la fit frémir d’horreur.

Enfin le silence revint dans la pièce. Aya s’hydrata à nouveau épuisée par la douloureuse narration à laquelle elle venait de se livrer.

 

Pendant ce temps Angélique appela plusieurs services et organismes. Une O.N.G. ayant ses quartiers dans la ville allait lui envoyer un émissaire. Celui-ci serait en mesure d’organiser une intrusion en règle dans le village d’Aya et de soustraire toutes celles qui le souhaitaient aux traitements indignes dont elles étaient les victimes.

Le courage d’Aya et la diligence de la responsable permirent sûrement de sauver plusieurs vies dans un premier temps. Pourtant, certaines de ces femmes craignant de partir pour l’inconnu refusèrent de quitter leur ethnie.

Néanmoins, une fois par mois, des bénévoles compétents de l’Organisation venaient en visite officieuse et rencontraient les jeunes filles restées au village. Elles n’étaient plus seules et pourraient si elles le décidaient un jour, tenter une nouvelle vie et rejoindre Aya devenue l’auxiliaire d’Angélique.   Connaissant bien les problèmes fréquemment rencontrés par les femmes dans cette région d’Afrique, sa présence encourageait les confidences de ses congénères.

La mère d’Aya ayant eu connaissance du destin de sa fille survécut au mal qui la minait. Elle contribua même au départ de certaines de ces jeunes africaines à l’image de cette fille dont elle était secrètement très fière. Elle, elle avait osé !

 

 

KIKA 20 juillet 2021.



04/08/2021
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