Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 18 – 2022 – Sujets 1, 2 et 3

 

Le pays des faiseurs de rêves

 

                Il était une fois un monde magique… le monde des faiseurs de rêves. Un monde suspendu entre ciel et terre, et auquel on n’accédait pas si facilement. D’abord, il fallait attendre une nuit noire, profonde, épaisse. Ensuite, il fallait avoir un caractère suffisamment espiègle et téméraire pour oser sortir de son lit après minuit, ouvrir fenêtre et volets, tendre le cou et regarder au firmament à un angle précis de 112 goniagrades obtaigüs. Être un peu grand, mais pas trop quand même ; sage pour garder un secret, mais pas trop non plus. Sinon, on risquait de devenir trop sérieux. 10 – 12 ans : c’était l’âge idéal !

 

                Si l’on savait se montrer patient, que l’on prêtait une oreille attentive et curieuse autour de soi et un peu plus loin, on pouvait entendre une joyeuse cacophonie, composée de rouages d’horlogerie, d’une respiration tantôt forte tantôt plus en retenue - comme une montgolfière gonflée à l’hélium quand elle prend de l’altitude – de notes flutées égrenées en farandoles ou tarentelles, chœur de voix de tous âges. A ce moment-là s’ouvrait une porte sur la nuit, et un solide fil de funambule s’arrimait au rebord de la fenêtre de la chambre de l’apprenti aventurier. Aussi loin que porte le regard, on devinait que l’autre extrémité plongeait dans l’infini du ciel. Celui-ci éclairait alors une à une les étoiles restées invisibles jusque-là.

 

                Un balancier très long en bois souple était ensuite apporté par une escouade d’étourneaux sonores et virevoltants, et le tour était joué. Il n’y avait plus qu’à s’en saisir, trouver son équilibre, poser un pied, puis l’autre, sur le fil, et se laisser guider par la haie d’honneur ailée formée par les passereaux. Le cœur se gonflait alors d’un sentiment d’amour très difficile à décrire. Un souffle puissant d’appartenance à la Terre que l’on entrevoyait sous ses pas. Une vague de reconnaissance pour tout ce qu’elle offrait avec tant de générosité.

 

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                Hugo, jeune garçon de 11 ans, ouvre sa fenêtre cette nuit-là. Passé un premier moment de surprise, il comprend, et entame un périple qu’il n’oubliera pas. Il avance prudemment sur le fil tendu devant lui. Son regard s’efforce de percer l’horizon céleste, mais il ne distingue qu’un voile opalescent, comme un rideau déployé entre deux mondes, celui d’où il vient, où il a ses repères, et celui où il va, inconnu. Il a le trac… Quelques gouttes de sueur perlent même un peu sur son front… Que va-t-il trouver là-haut ? Et surtout, comment va-t-il devoir réagir ? Sa meilleure amie Faustine a eu le privilège de faire le voyage jusqu’au pays des faiseurs de rêves. Il le sait. Elle le lui a dit. Par contre, elle n’a pas voulu répondre à ses questions. Motus et bouche cousue, elle pourtant grande bavarde devant l’Eternel ! Depuis son retour, il la trouve cependant changée, plus… assidue, plus concentrée lorsqu’elle accomplit quelque chose. Ce qu’elle nomme « ses petits riens et ses grands tout ».

 

               

Perdu dans ses pensées, Hugo ne s’est pas rendu compte qu’il était arrivé à la canopée du monde. Un endroit d’une grande douceur, d’une grande poésie. D’une grande naïveté aussi. Si son nez pouvait parler, il dirait pêle-mêle : barbapapa, guimauve, miel d’acacia. Si ses oreilles pouvaient toucher, elles caresseraient l’écorce de ces géants arc-en-ciel qui abritent une multitude de petits être de vie. Quant à ses mains, elles verraient un comité d’accueil digne du Cirque Plume : un triolet de fantaisie multicolore en équilibre sur des poissons-bulles ou des oiseaux flottants. Un musicien jouant d’un cor fleuri en arc-de-lune. Un poète faisant des gammes sur un xylophone en assemblage de maisons de bois collées. L’acteur au masque de Zanni, lui, conterait fleurette au premier oiseau venu !

 

                Pas de cadavre dans le placard dans cet univers en quasi-suspension lévitationnelle ! Juste la beauté et la liberté d’être et de coudre des tissus de rêves du fil de ses envies et humeurs.

 

                Hugo prend place dans le jardin-baignoire. La tête ronde Double-Je lui sourit côté pile, tandis que son côté face entonne cette ritournelle :

Aime qui sème le vent de cristal

Marche le cœur guilleret, léger

Oublie les soucis qui t’assaillent

Une seule chose compte en vrai :

Rêver les yeux ouverts ! Car c’est permis !

 

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                Deux oiselets d’une candeur et d’une gentillesse infinie se posent à sa hauteur, tout en cuicuis rieurs. Celui qu’il devine être le monsieur, à son nœud papillon noir élégant, tient dans son bec une pâquerette. Il la destine à sa douce, petite caméléonne de plumes qui rosit et jaunit de plaisir tout à la fois. Une brise légère ébouriffe leur plumet et fait voleter le duvet de leur poitrail. Ils accordent leur fasilasolrémido et entament une chansonnette à deux voix, bientôt rejoints par le triolet multicolore.  Hugo ferme les yeux… Il voyage… de la Cumbia d’Amérique latine au chant des gorges froides asiatiques, en passant par le Makotoudé africain où une troisième voix s’invite : celle du grand corbeau vert à rubis. Hugo plane, s’élève, chute en piquet, remonte… Émotions en mode vibrato ! Il est l’arbre fougère, le flamboyant bleu, le Jacaranda. Il est ce village d’Islande, Eskifjörður, enveloppé de neige et de sérénité. Il est le monde, l’océan, la prairie, les nuages. Il est ce à quoi rêvent les Hommes…

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                Il est les bois d’or de l’automne qui scintillent sous la lune… Il est un enfant de 11 ans, qui ressent au plus profond de lui qu’il y aura un avant et un après à cette escapade nocturne. Comme pour Faustine. Il ferme les yeux. Encore. Inspire. Expire. Pour mieux ancrer ces images qui n’appartiendront désormais qu’à lui. Il pourra les convoquer quand il voudra. Ce voyage dans le cœur du monde aura certes été éphémère, mais il restera gravé. Dans son âme. Dans son ventre. Dans son être en devenir.

 

                Il aimera. Car l’amour est une chanson douce quand on aime à l’unisson, aux quatre coins cardinaux, sans bémol ni soupir. Il sera sentinelle de la Terre et des Hommes. Il sera la marge qui tient la page et lui donne sa colonne vertébrale…

 

                7 h 30. Le réveil sonne. Le chœur de l’aube entonne son premier chant. Se préparer pour aller à l’école. Hugo sourit…

 

« Si on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier. »

Martin LUTHER KING

 

 

 

© Ouvrez les Guillemets – 16.11.2022



19/11/2022
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