Maridan-Gyres

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Atelier 6 - 2019 - sujet 3 et 4

 

 

Atelier N°6 – Sujet n°3 – Ronde de mots

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Quelques mots jetés là…

 

Petit instant d’intimité au cours desquels les mots tracent leurs sillons dans mon imagination avant de fuir puis de s’arrêter sur la feuille de papier que j’ai choisie aujourd’hui. Histoire de délimiter un périmètre dans lequel ils vont s’ébattre, s’ébrouer, laisser lentement tomber la terre accumulée sur un accent, un trait d’union ou une majuscule jusqu’à ce qu’ils soient prêts à former une phrase, un paragraphe puis un texte tout entier. Comme un paysan – au sens noble du terme – qui travaille lentement, suit le rythme des saisons, se préoccupe du temps qu’il fait pour ne pas brusquer les éléments.  C’est ainsi que je vis mon écriture. Je la respire, je la ressens parfois avec une telle intensité que les larmes ou les rires ne sont jamais loin.

 

Je me demande parfois pourquoi j’ai attendu si longtemps avant d’oser libérer cette vague qui refluait derrière une barrière invisible, celle du manque de confiance en moi. Et puis un jour, j’ai ouvert les vannes, comme si je suivais un ordre impérieux. Ces premières phrases griffonnées sur le coin d’une nappe en papier à la fin d’un repas ouvraient le passage vers des textes plus aboutis et surtout assumés. Mais l’heure n’était pas encore à la libération totale, celle de partager mes mots avec d’autres. Comment allaient-ils réagir à la lecture de mes textes ? Allaient-ils se montrer indifférents ou bien apprécier ne serait-ce qu’un tout petit peu cette prose venue de loin ? Allaient-ils devenir des empêcheurs de tourner en rond, me privant de cet espace d’expression devenu vital ? Ou allaient-ils m’encourager à aller voir de l’autre côté du miroir ?

 

En réalité, le pire censeur que je connaisse, c’est moi-même ! Comme un cuisinier virevoltant sur des épices et des ingrédients, j’essaie d’incorporer quelques grammes d’humour, une dose d’imaginaire sans conservateur et je saupoudre le tout d’une pincée d’émotion. Si ce n’est pas à mon goût, je recommence inlassablement, parfois jusqu’à l’épuisement. Je ne m’avoue jamais vaincue. Je sais que l’étincelle peut jaillir à tout moment et je ne veux pas risquer de le voir s’étouffer par manque d’attention.

 

Suis-je une auteure – il parait que l’on peut dire « autrice » même, mais j’aime beaucoup moins – ou une simple amateure de la langue française ? Sans doute un peu les deux mon Commandant ! Quelquefois, j’ose même me prendre pour une faiseuse d’histoires qui met en scène des personnages, invente des lieux et des événements pour inviter à une évasion sans commune mesure avec celle d’une prison. Aujourd’hui, j’ai pleinement conscience de tout cela et j’assume le fait d’être habitée par les mots. Quelle joie immense de laisser filer sa plume sur le papier sans connaître à l’avance le point final…

 

© Ouvrez les Guillemets 63 – 06.03.19

 

 

 

Atelier N° 6 — Sujet n° 4 — Histoire d’après tableau

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L’histoire que je vais vous conter se passe au XVII siècle quelque part dans un pays du Nord, la Hollande je crois. En ce temps-là, il ne faisait pas bon être une femme seule. On ne pouvait être que femme de mauvaises mœurs ou femme répudiée. Quid alors de servantes d’auberge qui pour quelques centimes par jour récuraient du matin au soir cuisine et salle de repas et du soir au matin se devaient de tenir compagnie aux voyageurs de passage ?

 

Annetje était connue pour être une jeune femme accorte, mais même si le mot qui va suivre n’existait pas encore à cette époque, aurait-on pu parler d’elle comme une escort ? Que nenni ! Et pourtant elle se laissa enjôler par les douces paroles et les élégantes manières d’un commerçant ambulant en mal d’attention. Ses intentions quant à elles n’étaient pas des plus nobles. Il trompa la soubrette en lui donnant le sou : elle croyait qu’il la récompensait pour service rendu, une soupe servie chaude et une timbale de vin gouteux à souhait. Il la payait pour service à venir, allégée de sa chemise, de ses jupons et de ses bas de laine. Quelle ingénue !

 

Le marchandage dura longtemps, l’entremetteuse étant dure en affaire, mais à la minuit le négoce fut traité et Annetje sérieusement émoustillée par un verre de vin blanc qu’il lui fut difficile de refuser. Le voyageur se fit pressant et je vous laisse imaginer la suite qui se déroula bien évidemment aux dépens de la naïve jeune femme. De ce jour elle perdit son souris[1]. Son joli minois se figea lui aussi et elle ne fut plus taraudée[2] par les visiteurs pérégrins ou habitués. D’autres la remplacèrent…

 

© Ouvrez les Guillemets 63 – 06.03.19

 

 

 



[1] Sourire en vieux français

[2] Tourmenter de manière lancinante, tarabuster



07/03/2019
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