Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 2 - 2024 - Sujet 1

 

 

Comment étais-je arrivé là ? Il ne s’agissait d’aucun grand mystère : on m’avait simplement glissé à l’oreille qu’un certain « Professeur Jean Bart » possédait une bien étrange et atypique bibliothèque. Poussé par une légitime curiosité d’écrivain de romans, je fus pris par l’audace de lui téléphoner afin d’obtenir un rendez-vous en sa demeure pour visiter sa si « renommée pièce » dont on parlait tant dans les cercles littéraires.

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Personne ne savait de choses sur ce vieillard et sa demeure, on m’indiqua seulement qu’il habitait une grande maison isolée à la sortie de la petite ville. Il était seulement réputé pour son caractère peu humaniste, ne sortant de son antre qu’à de très rares occasions et n’ayant que très peu de relations avec les autres habitants.

Je composai son numéro que j’avais trouvé sur les pages blanches d’internet, et attendit que le monsieur qu’on apparentait à un ours mal léché daigne décrocher. La longue attente de sonneries privées de répondeur ne me découragea pas, au contraire, plus j’insistais, plus j’infligeais à cet homme de petites nuisances sonores bien dérangeantes. Certes, il avait la possibilité de couper la communication, mais je le harcèlerais de nouveau jusqu’à ce qu’il réponde, je n’étais pas du genre à abandonner ce qui devenait un véritable défi. Puis le moment magique arriva, Monsieur Jean Bart décrocha :

 

  • Allo, c’est pour quoi ? me répondit une voix sèche et teintée d’exaspération.
  • Bonjour, cher Monsieur, je suis journaliste pour un magazine très connu concernant les vieilles demeures, j’ai appris que vous en possédiez une de grande valeur, m’a-t-on dit et je souhaiterais ...
  • Fichez-moi la paix ! répondit mon interlocuteur qui, visiblement, n’était pas convaincu par mon mensonge. Je réagis rapidement, la proie flairait l’hameçon.
  • Attendez, monsieur le professeur, laissez-moi un peu de temps s’il vous plait, c’est d’une importance capitale ! Ne raccrochez surtout pas !

 

Un silence se fit entendre par une respiration encombrée, les secondes devinrent des heures, puis subitement :

 

  • Comment savez-vous que je suis professeur et quelle est cette chose si importante. Hâtez-vous, je vous prie !

 

Il allait falloir que j’use d’imagination pour la suite de mes mensonges, plus énormes étaient-ils, plus facilement, passeraient-ils, espérais-je.

 

  • Allons, Monsieur Bart, vous êtes mondialement connu et un petit reportage sur votre étrange bibliothèque dont tant d’écrivains font état ne fera qu’amplifier votre aura dans le monde littéraire international !
  • Bien ! répondit mon interlocuteur à la voix devenue moins agressive, je vous attends chez moi demain à quatorze heures, tous mes respects, Monsieur.

 

Le lendemain, à l’heure dite, je sonnai à la grande porte en bois du manoir de l’étrange Monsieur Bart qui m’ouvrit rapidement. Encore vêtu d’un long peignoir gris malgré l’heure tardive, il m’invita aimablement à entrer puis le suivre dans le grand hall. C’était un homme de taille moyenne, légèrement courbé à la chevelure blanche abondante. Moustache et sourcils mal taillés lui donnaient un air de poète. Son visage émacié semblait tranquille et accueillant. Après les politesses d’usage, il me proposa rapidement de passer dans la pièce qui attirait mon attention depuis un certain temps déjà. Il se montra particulièrement chaleureux et très loquace en traversant les nombreuses pièces de sa demeure, éclatantes de propreté. Lui qui vivait seul dans ces lieux, semblait apprécier de discuter avec un étranger. Nous traversâmes les couloirs, les chambres au mobilier ancien et cossu, des boudoirs aux lumières tamisées pour arriver à une petite porte dérobée à l’apparence des plus anodines. Le professeur mit un doigt sur sa bouche et me chuchota :

 

  • Nous voilà arrivés, je vous demanderai de garder le silence le plus absolu, on nous observe !

 

Doucement, il poussa la porte et, soudain, je découvris l’énorme pièce où siégeait un immense lit en forme de livre ouvert. Je me retins d’émettre un « ouah » d’admiration. Des lampes discrètes posées avec soin un peu partout donnait à la pièce une lueur chaleureuse, les murs étaient très hauts et un lustre ancien accroché au plafond brillait discrètement. Des livres, des livres par centaines, occupaient les étagères et quelques petites tables, libérant une douce odeur d’encre et de papier mêlées. De nombreux coussins parfaitement ordonnés, aux effluves discrètes de lavande ornaient la tête du lit. Un silence inhabituel régnait dans la « chambre littéraire » parfois rompu par un petit craquement de vieilles boiseries. Des objets anciens circulaires, de vieux cadres de petites tailles, se détachaient des alignements harmonieux des ouvrages donnant à la pièce un style curieusement kafkaïen.

 

Etourdi par ce silence inhabituel, il me sembla entendre la pièce respirer, les livres tournoyer, le lit-livre s’élever, je ne tardai pas à quitter la pièce évitant le malaise de peu.

La force étrange et spirituelle de cette bibliothèque m’avait affaibli au point que je dus m’asseoir en la quittant. Le professeur, d’un air amusé, me confia que ma réaction était normale et que, lui seul, en avait l’habitude. Nous nous retrouvâmes dans un salon coquet où le professeur nous servit un verre de Brandy que j’appréciai, il accepta de me raconter l’histoire de cette pièce.

 

  • Cher ami, cette pièce était présente quand je fis l’acquisition du manoir, il y a maintenant plus de trente ans, je la découvris telle quelle par hasard. Plus jeune, j’y entrai plusieurs fois en subissant ce malaise dont vous avez été victime, puis le phénomène s’estompa au fil du temps. Le lit se révéla vite par son inconfort pour s’y étendre plus de quelques minutes, mais je sentis une force indescriptible en sortir qui m’éclaira pour mes recherches et mes lectures. J’étais professeur de littérature en faculté de lettres et, assis au bureau, je préparais facilement mes cours de plus en plus avancés et ardus. Un ami magnétiseur m’a confirmé, peu de temps après, la présence d’un esprit bienveillant dans ce lieu qui avait pour but de développer mon intelligence et ma mémoire à condition de respecter un silence total. Voilà, vous connaissez désormais les secrets de ma bibliothèque, je dois vous quitter désormais, faîtes bon usage de cette histoire, mon cher ami. Au revoir !

 

Encore étourdi, je remerciai longuement le bon professeur. En quittant le manoir, je n’eus alors qu’un seul but : mettre cette aventure par écrit !

 

Cisco



02/02/2024
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