Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 20 - 2019 - sujets 1 - 2 - 5

Je suis là, impuissant au bord de cette rivière où le pire de mes cauchemars s’est réalisé. Tu es partie au cœur de la nuit pour disparaître sans un mot d’explication. Pourquoi ?

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Pourquoi m’as-tu fui ? Pourquoi n’ai-je pas réussi à empêcher ce drame ? Je te vois resplendissante dans ta robe de mariée. Ce jour-là, j’étais l’homme le plus heureux du monde. La terre ne me portait plus, je naviguais au milieu des anges et j’étais fier de t’avoir à mon bras Mes parents, mes amis, tous étaient tombés sous ton charme. Seule ma sœur avait trouvé notre union trop rapide.

 

Au retour de notre voyage de noces en Inde, elle m’avait pris à part pour me dire que tu semblais malheureuse, que ton regard n’était pas celui d’une femme comblée. Je l’avais très mal pris et pourtant, deux mois plus tard, quand je t’ai parlé de faire un enfant, j’ai bien vu que tu éludais le sujet. Pire que tout, à partir de là, tu ne m’as plus jamais regardé dans les yeux. J’avais toujours l’impression que tu fuyais mon regard.

 

Quand en juillet, nous sommes partis en vacances à Rome, moi j’étais fasciné par l’architecture de cette ville. Toi, tu ne voyais que les malheureux qui traînaient dans les rues. Je te parlais des ors de cette capitales, toi tu me parlais misère et solitude.

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  • As-tu vu  ce couple ? Ils semblaient si démunis. Tout le monde passe, personne ne les regarde. Moi… Je ne vois qu’eux et leur misère m’arrache le cœur. J’ai vu l’insondable solitude dans laquelle ils se noient. Ils n’avaient même pas un verre d’eau devant eux. La femme reposait sur l’épaule de son compagnon. L’homme semblait prêt à s’effondrer les as-tu seulement remarqués ?

 

Qu’aurais-je pu répondre à cela ? Que quand elle était près de moi, je ne voyais qu’elle ! Que le monde semblait alors, pour moi, d’une beauté à nulle autre pareille. Que rien n’avait plus d’importance à mes yeux que la beauté de son regard, la caresse de ses lèvres sur les miennes. Non, je n’avais pu répondre cela, car j’avais deviné la détresse cachée derrière ses mots et une peur terrible m’avait oppressé le cœur. Les mots de ma sœur étaient revenus me hanter.

 

La veille de notre retour en France, nous avions fait une nouvelle sortie. J’avais évité le centre-ville, croyant ainsi échapper à la misère. Je l’avais conduite dans l’église Santa Maria Sopra, la pensant moins fréquentée.

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Nous étions entrés et j’avais été ébloui par la beauté de ce lieu de recueillement. J’avais vu fleurir un sourire sur son visage. Enfin, j’étais heureux de la voir sourire. Nous nous étions regardés et elle avait pris ma main pour me dire combien cette église était belle. Ce fut un trop court moment de joie.

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Lorsque nous étions sortis, un vieux monsieur faisait la manche avec un jeune garçon. J’avais donné un billet de dix euros à l’homme et la pomme que j’avais dans la poche au jeune garçon. L’homme m’avait remercié chaleureusement, puis je m’étais éloigné sans remarquer qu’elle ne me suivait pas.

 

Un peu plus loin, je lui avais posé une question… N’ayant pas de réponse, je m’étais retourné et je l‘avais vu en grande conversation avec les deux mendiants. Je l’avais appelée et elle m’avait rejoint. A peine rentrés à l’hôtel, les larmes avaient inondé son visage.

 

  • Que t’arrive-t-il ma chérie ? Dis-moi ce qui ne va pas ? Ne reste pas prostrée, parle-moi, tu me fais peur !
  • Tu ne vois rien ! Ils sont là… partout… Ils crèvent dans la rue, seuls, ignorés de tous… Personne ne les regarde.
  •  Je les ai aidés, que pouvais-je faire d’autre ?
  • Je ne sais pas, mais dix euros ne les sortiront pas de la jungle de la rue !
  • Que proposes-tu ?
  • J’aimerais m’engager dans cette cause. As-tu regardé cet homme ? Son visage émacié, ses pieds nus, ses vêtements éculés. On lui jette une pièce, un billet, un casse-croûte et on continue notre route en croyant soulager notre conscience. Moi, j’ai l’impression de les enfoncer dans un gouffre dont nul ne les sortira. Je sais qu’ils sont condamnés à y rester. Je n’arrive plus à faire semblant, je ne suis pas aveugle et cette misère me tue à feu lent. Quelle solution me reste-t-il… Je sais que je vais en mourir si je ne fais rien !

 

Je l’avais serrée très fort dans mes bras avec le sentiment d’une urgence. Puis, je lui avais demandé de me suivre. Nous étions retournés sur le parvis de l’église. Pendant le trajet, elle m’avait appris que le pépé était juif. Que sa famille avait fini à Auschwitz. Sa femme et ses enfants étaient mort dans un accident de voiture. Il restait seul avec son petit fils qui était resté avec lui le jour du drame. Par chance, ils étaient toujours là, alors je lui avais demandé de quoi, il avait besoin pour survivre.  Il nous avait fait part de ses rêves. Si petits, si simples, je n’arrivais pas à croire qu’il ne profite pas de l’occasion. Je lui avais demandé de revenir là le lendemain matin. Puis, Zoé et moi, nous étions partis faire des courses. Il nous avait juste demandé des chaussures et un manteau chaud pour l’hiver.

 

J’avais laissé carte blanche à ma femme et elle en avait profité pour acheter outre des vêtements et de la nourriture, une tente, des duvets, un nécessaire pour cuire, et une espèce de carriole pour transporter tout cela plus facilement. La joie de l’enfant, les larmes du vieil homme, le matin de notre départ, et le sourire retrouvé de ma moitié m’avaient comblé de joie. Ce n’était pas une solution idéale, mais nous avions fait le maximum pour les aider à se protéger du froid et se nourrir pendant quelques jours.

 

Pendant le trajet du retour, j’avais réfléchi et soudain, une envie folle, de l’aider à réaliser son rêve d’aider les plus démunis, m’étais venue.

 

  • Dis-moi, mon ange ! Que dirais-tu de faire une page d’écriture. Note-moi tout ce à quoi tu as déjà pensé pour les aider ? A partir de cela, nous listerons nos possibilités. N’hésite pas à formuler tes critiques, si tu juges mes propositions irréalisables ou inutiles.

 

J’avais vu toutes sortes d’émotions fleurir sur son merveilleux visage. L’incrédulité, la surprise, et enfin les larmes, mais de joie, cette fois  !

 

Notre histoire d’amour était repartie sur de bonnes bases. Immédiatement après l’édification de notre plan d’actions, Zoé avait fait preuve d’un enthousiasme si communicatif que des bénévoles étaient venus nous rejoindre. Un mois plus tard, nous avions reçu une montagne de vêtements et de jouets. Nous avions commencé la distribution aux quatre coins de Paris.

 

Ce furent les plus beaux jours de notre union. L’été s’acheva et je dus reprendre le travail. Mon métier me prenait beaucoup de temps et petit à petit, j’ai vu Zoé se renfermer. Un soir, ma mère est venue me rendre visite.

 

  • Fais attention, mon chéri ! Zoé n’est pas bien. Elle amaigri, elle ne veut pas en parler, mais je suis presque sûre que quelque chose ne va pas.
  • Ne t’inquiète pas maman, son association lui prend beaucoup de temps et d’énergie. Elle est fatiguée, c’est tout !

 

Idiot ! Imbécile ! J’étais stupide ! Enfant, mon père me disait souvent : Action, réaction ! Comment avais-je pu ignorer tous les signes qui m’arrivaient de toutes part  ?

 

Désormais, à chaque fois que je pense à Zoé, les paroles de « la Maumarié de Serge Reggiani » me reviennent en mémoire  :

 

Maumariée, oh maumariée
Quand ils t'ont trouvée
Si blanche et dorée
Brune, brune, brune
(paroles changées pour être en accord avec la photo)
Maumariée, oh maumariée
Quand ils t'ont trouvée noyée

Dans le courant
Entre tes draps de mousse
Dans le courant
Les yeux fermés si douce
Comme un jardin de fleurs
Comme un jardin
Saccagé par l'orage
Comme un jardin
Comme une fleur sauvage
Tu fuyais ton malheur
Entre deux eaux

Et j'étais là, moi
J'étais là
Inutile et vain
Avec mes deux mains
Imbécile et froid
Avec mes deux bras
Avec tout mon corps
Qui regrette encore
Maumariée
Je t'aurais consolée
Moi, maumariée
Qu’est-ce que j’ai pu t'aimer
(paroles changées pour être en accord avec mon texte)

 

Ce matin, je suis revenu au lieu où tu as disparu. Quand les policiers m’ont interrogé, je ne comprenais rien.  Je les avais appelés pour te retrouver. Ils l’ont fait. Tu t’es jetée dans la rivière alors qu’elle ne faisait que quatre degrés… Ils m’ont dit que tu étais habillée très chaudement et que tu avais dû mourir très vite, quand l’eau était entrée en contact avec ton cou. 

 

Tu as emporté avec toi, la photo de notre mariage. L’unique photo que j’avais de cette merveilleuse journée, alors je garde au fond du cœur l’espoir que c’était un peu pour m’emporter avec toi.

 

Je suis sinistré, mon cœur est mort avec toi. Je t’aime mon ange… Je t’ai toujours appelée ainsi est-ce que c’était un petit mot d’amour prémonitoire, je l’ignore. 

Ma route est terminée, attends-moi, mon ange, j’arrive…

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Maridan 15/11/2019



15/11/2019
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