Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 3 - 2020 - sujet 3

 

 
 

« En 5 lettres, espace réservé à chaque participant d’un salon ou d’une foire.» Marguerite mordille son crayon, réfléchit, complète les cases du mot «stand» , quand soudain le lampadaire au dessus de son fauteuil s’éteint :

 

«Ah mince ! L’ampoule est grillée ! Pas sûre d’en avoir une d’avance pour la remplacer...»

 

Marguerite pose ses mots fléchés, remonte sur son front ses lunettes « pour voir de près » et tire sur les accoudoirs du fauteuil pour s’en extraire, en trois reptations de son encombrant fessier.

Dans la pénombre, elle plonge la main dans le tiroir du buffet, à la recherche de l’objet électrique dont elle a un impératif besoin si elle ne veut pas passer sa soirée dans le noir.

 

« Ah, j’en ai une !»

 

Marguerite tire une chaise sous le plafonnier et pose un pied dessus pour monter. Mais la deuxième jambe refuse de décoller du sol pour rejoindre la première. Marguerite tente un petit sursaut en prenant appui sur le haut dossier de la chaise, mais non... encore une fois, l’énormité de son derrière pèse trop lourd à soulever.

 

« Pourtant, il va bien falloir que je grimpe sur cette chaise, bon sang !»

 

Sans se décourager, Marguerite pèse de tout son poids sur la jambe déjà placée sur la chaise, elle se hausse du talon,prend de petits élans, tente de sautiller du pied gauche... Elle ahane, elle souffle, elle rouspète, elle commence à transpirer.

 

La chaise glisse un peu sur le parquet en bois précieux bien ciré de Marguerite. Zut! Ca va faire une rayure ! Et ce n’est pas avec sa maigre pension de retraite que Marguerite peut se payer une femme de ménage pour entretenir son intérieur.

 

Avec une détermination accrue par l’urgente nécessité de remplacer cette ampoule électrique, Marguerite se hisse de toute la force de ses bras , et la voilà enfin perchée.

Maintenant, il faut dévisser la douille.

Les bras en l’air, en équilibre instable sur la chaise qui exprime son désaccord sous le quintal de Marguerite par des craquements de mauvais augure, la vieille dame force dans un sens... dans l’autre... Rien à faire, c’est coincé. Et regarder en l’air en renversant la tête lui donne le tournis. Si ça continue, elle va se casser la figure et le col du fémur avec , c’est sûr !

 

Cramponnée de la main gauche au dossier de la chaise, elle tend à nouveau le bras droit vers le plafonnier. Trop loin maintenant ! Les manches courtes de son chemisier lui font des marques rouges sur ses bras tant elle essaie de se distendre pour gagner quelques centimètres. Ni une, ni deux, Marguerite déboutonne son chemisier, le retire avec précaution en écartant légèrement ses pieds pour maintenir son équilibre et le lance sur le canapé voisin.

Maintenant en soutien-gorge, elle se sent tout de même plus à l’aise pour réfléchir à son problème: comment réussir à dévisser cette fichue ampoule ?

 

Afin de gagner encore un peu de hauteur, Marguerite décide de changer de perchoir et d’aller chercher l’escabeau rangé à la cave, mais il faut d’abord descendre de la chaise... Dans quel sens? Agrippée des deux mains au dossier, légèrement penchée en avant et les fesses projetées vers l’arrière, prêtes à faire craquer la jupe, elle soulève la jambe droite. Afin de la rapprocher du sol, il faut plier la jambe gauche. Aïe! Son arthrose du genou lui refuse ce geste. Sauter ? N’y pense même pas, Marguerite !

 

La nuit est complètement tombée à présent et la salle à manger est plongée dans le noir. Marguerite commence à fatiguer. Elle a les jambes qui tremblent un peu, les mains moites et une démangeaison sous le sein gauche qu’elle ne peut pas gratter, au risque de basculer si elle lâche la chaise. Dans son cerveau commence à germer l’idée qu’il se pourrait bien qu’elle soit bloquée sur cette chaise, comme un naufragé sur un radeau au milieu de la mer, pour un bon moment !

Surtout, ne pas lâcher le dossier. Elle s’y agrippe comme un noyé à son tronc d’arbre à la dérive. La sueur lui coule dans le dos. A force d’être penchée en avant, le bouton de sa jupe saute , et cette dernière commence à glisser, juste bloquée dans sa descente par un bourrelet plus épais que les autres...

 

Appeler au secours ? Personne ne l’entendra et quand bien même une voisine lui portait secours, elle mettrait illico sa fille au courant, qui se jetterait sur l’occasion : «Tu vois bien Maman, tu ne peux plus habiter seule dans cet appartement à ton âge!»

 

Marguerite a déjà récité plusieurs fois ses prières, elle s’est fait une belle frayeur en essayant de secouer la chaise pour la rapprocher d’un meuble par petits à-coups, elle a même envisagé de sauter en mesurant mentalement la distance qui la sépare du canapé pour atterrir dessus et amortir la chute... quand une clé tourne dans la serrure. Entre l’infirmière libérale, qui vient chaque soir l’aider à retirer ses bas de contention et refaire les pansements de ses ulcères. Pour ses patients âgés, elle a toujours un double des clés.

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Elle actionne l’interrupteur de l’entrée et pousse un cri devant le spectacle qui s’offre à ses yeux. Au milieu de la salle à manger, debout sur une chaise, en soutien-gorge, la jupe descendue à mi-cuisses, des mèches grises collées au front par la sueur , se tient Marguerite.

 

Christine



11/01/2021
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