Maridan-Gyres

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Atelier 6 - 2019 - 4ème sujet

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Madame   S.

 

Elle a longtemps navigué à vue, dans des océans de larmes. Aînée d'une famille de huit enfants, elle a toujours été la domestique de ses parents. Quand on crève de faim, on n'a guère de temps pour chouchouter ses enfants. Parfois, quand la naissance arrivait de nuit, le père partait dans les bois avec le petit et on n'en parlait plus. La mère portait de plus en plus souvent des vêtements bien trop larges pour elle et ainsi personne ne remarquait rien.

 

Elle, elle s'était protégée, du moins le croyait-elle dans des amas graisseux. Quand sa poitrine avait commencé  à prendre des formes, elle avait vu certains regards masculins qui lui avaient fait froid dans le dos. Elle n'était pas sotte et avait vite compris que les grosses bénéficiaient d'une paix toute relative.

 

Très tôt, elle avait donc appris à se cacher de tous. Son surpoids c’était sa muraille à elle. Elle entendait bien parfois des railleries dans son dos, mais sa paluche légendaire en avait refroidi plus d'un et plus un gamin n'osait lui chercher des ennuis.  Elle venait tout juste de fêter ses treize ans lorsque sa mère l'avait vendue à un fermier du village voisin. C'est là que son calvaire avait commencé. Pendant dix ans, elle avait été le jouet de ce sadique et le souffre-douleur de sa femme qui lui répétait sans cesse que tout ça, c'était de sa faute. 

 

Un soir où l'homme était rentré plus saoul que d'habitude  et l’avait battue comme plâtre, elle l'avait poignardé et elle s'était enfuie avec son cheval.

 

En deux ans, il était devenu son seul ami. Elle le soignait quand le sadique le brutalisait. Elle le caressait le soir quand tout le monde dormait et que la pauvre bête épuisée par les travaux des champs hennissait faiblement. Elle lui avait appris à retenir ses souffrances pour éviter les coups supplémentaires.

 

Lui, il la voit telle qu’elle est, douce, aimante, tendre avec ceux qui sont faibles. Combien de fois l’a-t-il vu soulager les grands-mères, les jeunes filles violées par les butors du village. Même les animaux sont protégés par son grand cœur. Il aimerait, lui aussi, lui apprendre à se défendre. C’est pourquoi, ce soir-là, quand la femme est venue pour la frapper dans le dos, il a bondi sur elle et elle est morte sur le coup.

 

Les deux victimes sur le sol, ils n’avaient pas réfléchi et s’étaient enfuis, le plus loin possible. Ils avaient voyagé longtemps. Et puis un beau jour, ils étaient arrivés aux Pays-Bas. Sa fuite lui avait fait perdre ses kilos superflus. Un homme lui avait proposé du travail dans une maison où il vendait ses charmes. Elle avait appris à satisfaire les hommes et compris le parti qu’elle pouvait en tirer. Un de ses clients était tombé amoureux d’elle. Il était vieux, riche et généreux et l’avait couchée sur son testament.

 

Aujourd’hui, à trente ans à peine, elle est rentière. Elle choisit les hommes qui lui plaisent et fait payer très cher les autres. Ses filles aiment travailler pour elle, car elle est généreuse et les violents sont impitoyablement chassés de son établissement.

 

Un grand peintre avait saisi la scène où son ancien maquereau lui prenait le sein à pleine main. A présent, elle en rit, mais elle avait versé des torrents de larmes avant d’en arriver là.

 

Lentement, elle promène son regard sur sa clientèle avec un sourire en coin puis elle tend sa main au maquereau  qui espérait qu’elle lui ferait un prix. Chez elle, le paiement se fait en pièces d’or.

 

Une fois de plus c’est son fidèle Satan qui la ramènera chez elle. C’est pour rendre hommage au beau destrier qu’elle se fait appeler Madame S.

 

Maridan 18/03/2019



18/03/2019
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