Atelier 6 - 2021 - sujet 1
Le sac des maux.
Chaussé de baskets usagées très peu souvent lavées, aux semelles devenues lisses, il glisse un peu sur les sentiers pentus, trottine plus qu’il ne marche sur le flan de la montagne qui reverdit en ce mois de mars.
Son cœur est gros.
Ses yeux encore humides voient dans un spectre déformé les cimes des arbres qui couronnent la face ensoleillée de ce versant des Pyrénées.
Sa casquette vissée sur ses cheveux blonds et bouclés abrite son front large et volontaire ; elle ombre ses prunelles d’un bleu céleste.
Il serre très fort ses jeunes phalanges qui blanchissent sous la pression, au fond de ses poches vides, immenses.
Un chagrin sans nom habite son esprit.
L’air vivifiant sèche ses yeux. Ses bronches brûlent un peu. Il hoquette, refoulant un sanglot récalcitrant.
Au loin une marmotte qui sort de son long sommeil hivernal siffle, ou plutôt crie, pour signaler à ses congénères un danger imminent.
Elle sort de sa longue nuit.
Bien enfouie au fond de son terrier, couchée en rond avec ses congénères sur son hibernaculum, elle a perdu tout au long de cette hibernation un tiers de son poids et sa température a considérablement baissé pour économiser son énergie.
Pourtant le jeune garçon n’est pas menaçant, si quelqu’un n’est pas méchant, c’est bien lui d’ailleurs.
Le cri de la marmotte apaise un peu ses sentiments.
Arrivé au creux de deux versants, là ou nait une source vive, il pose son sac à ses pieds.
Dans un écrin de verdure entre deux grosses pierres, il l’entend chanter, claire et limpide. On dirait quelle respire à plein poumons la joie de vivre, elle.
De guerre lasse, il s’assoit sur le rocher brillant des éclats de quartz.
Il se penche vers la source et s’abreuve avec délices.
Un long moment sa bouche glacée par l’eau si fraîche semble se paralyser.
Cette sensation lui rappelle les sorbets aux myrtilles sauvages que sa mère lui préparait l’été venu.
A ses côtés, quelques orchidées déploient leurs jeunes feuilles promettant une floraison prochaine.
Parvenant à maîtriser la gestion de ses sentiments et de ses yeux à présent totalement secs, il embrasse le spectacle qui l’entoure.
De la cime des arbres encore hors de portée jusqu’au bas, tout là-bas au petit village, son regard s’imprègne goulument de ces images si chères…
Le soleil inonde encore les toits d’ardoise rustique et le clocher, d’un autre temps, semble rassuré par ses maisons resserrées autour de lui.
Les ruines du château, dit « le Fort », forment une verrue non loin de l’église.
Soudain, l’angélus se met à sonner.
Dans le silence profond, le vent apporte jusqu’à lui le son bien aimé des vieilles cloches de la petite église Saint-Pierre-Saint-Paul.
Autrefois adossé à l’édifice, les vestiges du cimetière subsistent dans la cour ombragée de cyprès.
Dans certains recoins du village quelques bornes gravées de fleurs de lys constituent la preuve de l’ancienneté de ce village.
C’est la sœur de François 1er, Margueritte de Navarre, qui construisit le château au XVIème siècle.
Qu’il est cher à son cœur ce village montagnard !
Son grand-père lui a raconté tout çà.
Et bien d’autres choses encore.
Il glisse sur son dos, place ses mains sous sa nuque et mâchouillant un brin d’herbe tendre, il tente de faire du tri dans ses idées.
Devant tous les choix qui trottent dans sa tête, il lâche prise.
Il observe les gypaètes barbus qui font des ronds dans le ciel avant de regagner leur nid.
Après avoir pris leur repas du soir, les marmottes se sont tues.
Tout là-haut un isard très gaillard se tient en équilibre sur ses sabots magiques.
On les dirait aimantés tant sa stabilité est impressionnante !
Sa silhouette majestueuse se découpe dans le ciel encore bleu.
Il va attendre encore un peu avant de se restaurer.
Il a tout son temps devant lui !
Il entend maintenant les sonnailles des troupeaux de chèvres récemment sorties des bergeries et qui rentrent pour la nuit, à l’abri.
Il reprend son sac, marche un petit moment et va vers cet abri de berger que son grand père lui avait fait découvrir.
Depuis longtemps délaissée cette cabane lui promet un abri pour la nuit.
Il sort de son sac outre une miche de pain bis, un beau morceau de fromage des Pyrénées à la croute noire et brillante, à la texture tendre mais affirmée.
Mille et une étoiles s’allument dans le ciel et brillent dans son cœur ; la fraicheur descend doucement.
Une étoile plus brillante que les autres lui rappelle les observations faites avec son aïeul.
La faim n’est pas au rendez-vous.
Au village sa grand-mère le croit à la ville, chez son père et celui-ci le croit chez sa grand-mère, au village !
Personne ne l’attend ; personne ne s’inquiète pour lui.
Il entre dans la cabane.
Il s’enroule dans la pèlerine de berger, héritage de son grand-père.
Dans la nuit qui prend possession du ciel, il respire l’odeur suintée de la pèlerine et finit par sombrer dans un sommeil profond.
C’est la première fois qu’il a l’occasion de passer une nuit tout seul, loin de tous ces adultes qui ne comprennent rien aux soucis des enfants.
Bien sûr, sa nuit va être onirique.
Au plus profond de son sommeil il va même rêver qu’à bord d’un vaisseau spatial, il va retrouver son grand-père trop tôt disparu. Pourquoi ?
Epuisé par sa journée, peiné par ses sentiments d’abandon et l’angoisse de sa mère qui vit trop loin de lui le laissant sans nouvelles, il se rendort son sac lourd de maux sous sa tête.
Un souffle chaud inonde son cou.
Ses souvenirs d’enfance si proches lui rappellent les câlins joueurs de sa mère.
Une douceur immense l’envahit et il replonge dans un sommeil que seuls les enfants sont capables d’aborder.
Au petit matin, surpris de voir que le soleil a déjà pris possession du ciel et chassé toutes les étoiles du firmament, il s’étire dans une grande félicitée.
Allongeant ses bras en croix quelle n’est pas sa surprise de poser sa main sur l’épaisse fourrure hivernale de Patou le bon chien berger, fidèle et dernier compagnon de son grand-père.
Fou de joie, Patou jappe et donne des coups de langue au gamin dont les joues reprennent des couleurs.
Il entoure l’animal de ses bras, trop courts pour en faire le tour.
Il enfouit son minois dans la belle toison du chien et lui murmure à l’oreille des secrets que nous ne connaitrons jamais.
Ouvrant son sac pour en sortir le repas qu’il n’a pu manger avant de s’endormir et le partager avec son compagnon à quatre pattes, il se rend compte que le sac est vide.
Plus rien, même les maux ont disparu !
Plongeant son regard de longues minutes dans celui du chien, un grand silence les enveloppe, un ange passe.
Une communion s’instaure entre les deux êtres.
Escorté de Patou fier et protecteur, chargé maintenant du chagrin qui l’habitait, il reprend le chemin du village, le cœur serein.
Vers l’avenir et vers les siens.
9 avril 2021 - Shunt
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