Atelier 7 - 2025 - Sujet
LES MOTS DE MONTPELLIER
ATELIER 7 2025 - Sujet 1
Le bonheur est devant soi
Enfin, il est parti! Je me lève précipitamment, je remplis machinalement une valise, je me prépare et je quitte la maison en courant. Je file au coin de la rue où un taxi m’attend depuis quelques minutes. Le taxi me dépose à la gare.
Je ne réfléchis pas, je suis pressée. Je prends mon billet de train pour me rendre à l’aéroport.
Une fois installée dans mon fauteuil, je m’apaise un peu, puis la panique s’empare de moi. Mon billet, mon passeport! Je cherche dans mon sac, je trouve mes papiers bien rangés dans une enveloppe. Je suis soulagée. Enfin, je souffle, je respire longuement pour retrouver mon calme.
Je repense au mot laissé sur la table : “J’ai décidé de retrouver mes rêves, ne m’attends pas! Adieu.” Je me sens ankylosée, angoissée, anxieuse. Je me rends à la cafétéria demander un verre d’eau, puis je vais me passer de l’eau sur la figure. Je sens la sueur m’inonder, j’ai l’impression de me noyer. Je retourne à ma place, bouscule un passager, m’excuse platement sans le regarder. Je me sens mal.
Enfoncée dans mon fauteuil, je cherche à m’apaiser sans succès.. Alors, je regarde le paysage qui se dévoile devant moi. Je voyage dans un TGV, il va vite et ma vie défile dans ma tête aussi vite que ce train. Je suis étourdie, je m'assoupie.
J’ai dû dormir environ 15 minutes. Je me réveille et je me sens encore toute retournée, une sensation bizarre m’envahit. Que se passe-t-il?
Soudain, je me rappelle le mot sur la table. Il le trouvera ce soir, moi je serai loin. Je ne réalise pas ce qui m’arrive. Ce sentiment désagréable qui me submerge depuis ce matin m’oppresse. Je suis tétanisée. Que va-t-il penser? Ai-je bien fait?
Tout s’embrouille dans ma tête. Angoissée, je me dis que j’aurai dû en parler avec lui, lui expliquer ce qui m'arrive et ne pas fuir, ne pas partir comme une voleuse. On croirait que j’ai fait quelque chose de mal. Mais non! Je vais simplement reprendre ma vie en main, vivre pour moi et plus pour lui. Non, non! Il aurait encore trouvé des arguments pour me convaincre de rester. 15 ans de vie commune ne peuvent disparaître à cause d’un caprice, d’une lubie.
Je sais exactement ce qu’il va me dire. Cela fait bien longtemps que je ne suis plus capable de penser par moi-même, que je ne suis plus moi-même.
Aujourd’hui, c’est une renaissance! Enfin, je me retrouve, je me souviens de cette insouciance qui me caractérisait, de cette joie de vivre, de cette envie irrépressible de voir le monde. Le temps à passé, les cicatrices sont là et de plus en plus, je ressens une douleur profonde qui m'asphyxie. Elles me rappellent ma triste vie, mes renoncements, cette vie sans saveur, sans couleur.
Certes, il n’était pas violent, il ne criait jamais, mais il savait trouver les mots pour me freiner dans mes élans et rester à ma place, du moins celle qu’il m’avait octroyée et que je n’ai pas refusé, au contraire, j’ai tout accepté, voire encouragé, le laissant décider, gérer pour nous deux, approuvant tous ses choix, même si parfois, j’aurais souhaité une autre alternative. J’ai choisi la facilité, la paix sociale. Je ne supporte pas les conflits, alors je gardais mon amertume pour moi, sans me révolter.
Les premières années de notre vie commune étaient merveilleuses. Lorsque je l’ai rencontré, ce fut une évidence, une passion venait de naître. J’étais tellement amoureuse que je ne me rendais pas compte du piège, de la toile qui m’enveloppait lentement. J’étais sur un nuage, il m’aimait, je l’aimais. Nous étions heureux.
J’arrive à ma destination. Je prends le métro pour me rendre à l’aéroport. Il y a du monde. Tous ces gens que je scrute vont sûrement travailler ou, peut-être, fuient-ils une vie sans couleur. La plupart sont plongés dans leur téléphone, certains dorment debout, d’autres regardent dans le vide.
Un enfant d’environ 8 ans, un cartable sur le dos, me regarde avec insistance. Il est tout bouclé, il a de grands yeux marron, des fossettes dévoilant une certaine malice. Je lui souris, il me sourit. Il continue à me regarder, je suis mal à l’aise. Je me dis, il a deviné, il sent mon angoisse. Je suis paralysée, je n’arrive pas à détourner mon regard, je n’arrive pas à bouger. J’ai peur et je me dis que cet enfant perçoit mon désarroi, qu’il lit en moi, qu’il décèle tout ce que je ressens. Il me sourit à nouveau et détourne son regard. Il passe à autre chose. Je pense à l’enfant que j’aurai tant aimé, auquel j’ai renoncé.
Je descends avant lui, il me regarde partir et machinalement, je lui fais un signe auquel il ne répond pas. Je suis toute chamboulée, je transpire, je n’arrive plus à penser. Je cherche mon chemin, je ne sais plus où je suis, ce que je fais. Je m'assois pour reprendre mes esprits. Je me demande si cet enfant est bien réel ou s’il s’agit encore de divagations de mon esprit qui me joue des tours. C’est peut être la représentation virtuelle de cet enfant que j’ai tant désiré et qui m’a été refusée. Je me sens coupable car je ne me suis pas suffisamment battue. J’ai accepté mon sort sans contester, sans revendiquer, sans révolte. J’ai beaucoup pleuré, en silence.
Mon téléphone est éteint, je l’allume pour relire le message de mon amie Cathy. Je m’apaise en lisant son message. Je me dis que sans elle, je n’aurai pas agi. Cathy ne sait rien de ma vie, elle m’a juste invitée, comme chaque année, à passer quelques jours à Barcelone. Elle s’y est installée, il y a déjà 6 ans. Nous sommes restées en contact, mais nous nous sommes rarement vues. Mon compagnon ne la supporte pas. Il la trouve maussade, suffisante, inintéressante. D’ailleurs, il n’aime aucun de mes amis. Cathy est la seule qui a gardé le contact avec moi. Enfant, nous habitions dans le même quartier. Nous avons grandi ensemble, nous étions inséparables. A l’université, nous n’avons pas choisi le même cursus. Cathy est cardiologue et semble heureuse. Moi, j’ai étudié l'histoire. A la fin de mes études, j’ai réussi le concours de documentaliste. J’ai obtenu un poste dans un lycée agricole.
Mes études universitaires me passionnaient, surtout la vie que je menais. Je me sentais libre, je voyageais quand je le pouvais. Cathy et moi, nous prenions le temps de choisir une destination, nous préparions notre voyage pendant des semaines et nous allions découvrir un pays, une culture, la vie des gens. Nous allions souvent chez l’habitant pour faire des rencontres. De beaux moments !
Peu avant la fin de mes études, j’ai rencontré cet homme qui a bouleversé ma vie, mes rêves, mes espoirs. Tout ce qui m’intéressait était d’être avec lui, oubliant mes centres d’intérêts, mes envies, mes rêves. C’était un amour exclusif, sans concession. Et pourtant, j’ai concédé, je me suis résignée, je me suis oubliée. Tout cela pour un homme qui m’a enfermé dans un monde, dans son monde. Je me sens responsable, aveuglée par le sacro-saint amour avec un grand A, j’ai cru que cela me suffisait.
Au début, il était attentionné, plein d’égards, amoureux. Mais, très vite, dès que je lui proposais une virée chez mes amis, d’aller voir un film qui m’intéressait, de partir en voyage, il refusait avec habilité. Il avait toujours dans sa besace un argument convainquant et moi, je lui donnais toujours raison. Je l’aimais !
Régulièrement nous invitions ses amis. J’avais de bonnes relations avec certains que je trouvais agréables. Durant ces soirées, j’avais la charge de l’organisation des repas, mais je ne participais que très rarement aux discussions qui souvent finissaient par m'ennuyer. Je donnais l’impression de m'intéresser, mais mon avis n’avait pas d’intérêt pour eux. Il arrivait souvent que mes remarques ne soient pas relevées et au fil du temps, j’étais là, comme une potiche, on ne me voyait plus. C’est comme si j’étais en dehors du cercle et que je regardais ce qui se déroulait autour de moi.
Le désir d’enfant est apparu à ce moment-là, il n’en voulait pas. Il avait déjà une fille d’une première union. Je voulais faire un voyage. Il me disait que cela ne l’intéressait pas car il voyageait suffisamment avec son travail. Je voulais déménager, nous rapprocher de l’océan. La mer m’apaise et j’aime marcher le long du rivage, ou encore m’installer face à la mer pour lire, écouter de la musique, ou simplement ressentir le bruit des vagues et laisser mon imagination voguer vers l’horizon qui m’attire comme un aimant. Là encore, j’ai essuyé un refus. Il n’aime pas la mer, il préfère la campagne.
Après 4 ans de vie commune, je ne voyais plus mes amis, je n’allais plus au cinéma et je ne voyageais plus, je ne soulevais plus la question relative à mon désir d’enfant. Je ne montrais aucun ressentiment, j’étais amoureuse, c’était ma vie, celle que j’avais choisie.
Cette relation lui convenait, il était heureux, alors qu’au fil du temps, un malaise m’envahissait et je ne comprenais pas ou ne voulais pas voir ce qui m’arrivait. Je n’avais plus goût à rien, je m’enfermais chez moi, regardant des séries dont j’oubliais aussitôt l’intrigue. Alors je les regardais à nouveau. Mon compagnon ne voyait rien, il pensait que j’étais heureuse. Toutes ces années, notre vie s’organisait autour de lui, de ses envies. Résignée, j’avais accepté, peut-être par lâcheté, par peur de le perdre et de me retrouver seule. Finalement, j’en déduis qu’il y a bien longtemps que je suis seule et j’en souffre, mais je n’avais plus l’énergie pour agir.
J’ai réalisé, il y a un an, que nous vivions côte à côte, mais pas ensemble. Un rêve revenait constamment me hanter dans mon sommeil. Nous étions sur une route qui semblait sans fin, nous regardions devant sans nous parler. Plus j’avançais, plus je distinguais deux routes parallèles qui ne se rejoignent jamais et qui, parfois, s’éloignaient jusqu’à ne plus voir l’autre route. Ce rêve me bouleversa, me tourmenta.
Je ne lui en veut pas, je suis en colère contre moi-même, car j’ai participé à cet état de fait. Je n’ai pas résisté, je n’ai pas combattu, j’ai accepté de m’enfermer dans une relation qui ne pouvait me convenir. Je l’ai tellement aimé qu’aujourd’hui, je pense que j’ai tout confondu. L’amour, ce n’est pas forcément, l’effacement de soi, la concession, la résignation, la perte de ses valeurs. Je me suis fourvoyée dans une relation que je savais néfaste pour moi. Lui, ne voyait rien, il était heureux dans cette relation et il se plaisait à l’exprimer haut et fort. Il ne se remettait pas en question. Pourtant, il y avait des signes, des événements qui auraient dû m’interpeller. Et bien, non… J’ai accepté et je le regrette amèrement.
Soudainement, il y a 3 mois, une évidence s’est révélée à moi. Je venais de recevoir l’invitation de Cathy. Je n’en ai pas parlé à mon compagnon. Instinctivement, je compris qu’il fallait agir, que c’était une question de survie et que je devais reprendre mon destin en main, saisir cette opportunité qui pourrait ne jamais se reproduire. Il fallait briser cette soit disant prison dorée, me défaire de cette toile qui m’a enfermée dans une relation qu’aujourd’hui je qualifie de toxique.
J’ai donc décidé, cette fois, de répondre favorablement à la demande de mon amie Cathy. Ce rêve n’avait pas disparu, mais à mon réveil, je n’avais plus d’angoisse, au contraire, un sentiment d’apaisement, de soulagement, de victoire me submergeait. La question qui se posait était de savoir si je devais lui en parler.
Je pris le parti de ne rien dire, de tout organiser sans qu’il le sache. C’était mon secret, ma vie. Je savais que je ne reviendrai pas, j’avais choisi de vivre ma vie et non plus la sienne. Tout était clair.
Je repars sur de nouvelles bases, je ne regarderai plus en arrière, je ne me laisserai plus enfermer dans une relation qui ne me correspond pas. De nouveaux horizons s’ouvrent à moi et je compte bien réaliser mes rêves. Je veux vivre de nouvelles aventures et surtout celles que j’aurais choisies. Plus personne ne pourra m’influencer, m’imposer, m’enfermer. C’est terminé !
Arrivée à l’aéroport, je me rend à l’enregistrement et file rapidement à l'embarquement. Je suis en avance, Je m’installe près de la porte d’embarquement et j’attends. Je regarde tous ces voyageurs. J’imagine les raisons de leur voyage. Un groupe de retraités s'installe près de moi. Certains parlent fort, ils rient fort, ils sont heureux. Ils partent aussi en Espagne pour une semaine. C’est la commune qui a organisé ce séjour. La moyenne d’âge semble être aux alentours de 70 ans. Je me dis que bientôt je serai comme eux et qu’il était temps de me réveiller de cette somnolence qui me ronge à petit feu.
Je retrouve cette effervescence du voyageur que j’ai ressenti à chaque fois que j’arrivais dans un aéroport. Cette irrésistible envie de voyager, de partir, de découvrir le monde. Je me sens légère, je frétille de joie à l’idée de partir ailleurs, de vivre ailleurs, d’aimer ailleurs… Je me sens libre et je savoure ce moment de bonheur.
Grâce à mon travail de documentaliste, je voyageais à travers les livres. J’avais instauré une sorte de rituel. Chaque trimestre, en arrivant au CDI, je faisais tourner le globe posé sur mon bureau. Avec mon index, je stoppais le roulement en poitant une destination. Ensuite, je recherchais des informations sur le pays sélectionné et je lisais tout ce qui pouvait avoir un lien direct ou indirect sur le pays en question. Je voulais rédiger des fiches, mais, curieusement, à chaque fois, c’était le syndrome de la feuille blanche. C’était frustrant, mais je n’arrivais plus à écrire, je ne pouvais plus aligner deux idées. Je ne comprenais pas, c’était mon métier, j’aidais les élèves, mes collègues à mettre en œuvre des projets pour lesquels la recherche d’information, la sélection, l’organisation des idées étaient un préalable. Mais, là, rien. A regret, j’ai mis un terme à cet exercice et je tentais de garder en mémoire les informations, les images du pays que j’avais choisi avec mon index. Ces dernières années, c’était comme pour les séries que je regardais, j’oubliais que j’avais sélectionné un pays; alors je recommençais. Parfois, je m’en rendais compte et une sensation d’effroie me submergeait, je me disais que je devenais folle.
Aujourd’hui, installée dans mon fauteuil, enfin, je me sens bien, je me sens libre, mon destin est devant moi. Cependant, une drôle de sensation m’envahit. Je suis inquiète, je me demande ce qui va se passer. C’est quoi ce futur, ce bonheur que je recherche ? Dois-je quitter mon univers, tout ce que j’ai construit pour être heureuse ? Des questions défilent dans ma tête, elles m’étourdissent, elles se mélangent, s’entremêlent. C’est insupportable ! Je respire lentement et longuement pour me calmer et pouvoir raisonner de manière plus rationnelle. Je sais que je ne ferai plus les mêmes erreurs et que je refuserai tout ce qui pourrait m'empêcher de vivre mes rêves. C’est ma vie, c’est à moi de décider comment je veux la mener. Je suis confiante, je vais vivre des aventures que j’aurais déclenchées et quelqu’en soit l’issue que j’en tirerai, je ne le regretterai pas.
Je consulte mon téléphone avant d’embarquer et je constate qu’il a tenté de me joindre à plusieurs reprises. Je souris, je regarde au loin, je me lève et me dirige vers l’embarquement. J’éteins mon téléphone, je ne me retourne pas. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais je suis convaincue que mon bonheur est devant moi. Il n’est pas trop tard.
Dyna
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