Maridan-Gyres

J’étouffe dans ma vie, je suis devenue triste et terne. Les journées se succèdent sans surprise. Ma vie de couple est également monotone. Nous vivons l’un à côté de l’autre, il n’y  a plus l’étincelle du début et nous partageons uniquement notre quotidien.

Oh je ne suis pas malheureuse, mais le traintrain a pris le dessus.

Ce matin en me réveillant, je réalise que ma vie n’est pas celle dont j’avais rêvée. Après un petit déjeuner rapide, sans réfléchir, je prends une valise et jette pêle-mêle quelques vêtements, un nécessaire de toilette, un drap de bain. Je laisse un mot sur la table

“J’ai décidé de retrouver mes rêves, ne m’attends pas. Adieu”.

Traînant mon bagage à roulettes, j’arrive Gare de Lyon où je prends un billet simple pour Marseille. Installée côté fenêtre, je regarde défiler le paysage en laissant mes pensées vagabondées. Soudain le train freine brutalement, accident technique ! Nous voici arrêtés le long du littoral. Le temps file et rien ne se passe !!

Prise d’une impulsion, je saisis ma valise, saute du train et trouve un sentier. L’air salé me revigore, l’air embaume l’immortelle et le jasmin. Le soleil me brûle la nuque.

J’arrive dans un village désert aux blanches rues, pas une âme qui vive. Au bout d’une impasse, je tombe sur une librairie. La porte est ouverte, une dame âgée brode et me dit en souriant :

• C’est en haut, vous pouvez vous installer.

Sans un mot, je grimpe l’escalier et découvre un joli appartement avec une terrasse avec vue sur le clocher du village. En me tordant un peu le cou, à droite, je peux apercevoir la mer. L’appartement est simple mais cosy, je m’y sens immédiatement bien. Soudain une envie irrépressible me prend, je sors cahier et crayons, j’ai de nouveau envie d’écrire.

Je reste un jour, puis deux. Il y a bientôt un mois que je suis là. Mon hôtesse Bertille me propose de l’aider à gérer la libraire en échange d’un loyer symbolique. Elle vend en plus des livres, de drôles d’objets : une montre avec des aiguilles à l’envers, un sablier sans sable, une pierre en forme de cœur…

Des clients viennent régulièrement nous voir plus pour parler que pour acheter. Ils entrent, s’assoient, abordent leur vie, parlent de leurs souvenirs, de leurs rêves. Je les écoute puis je leur propose un livre qui correspond à leur besoins, à leur humeur du moment. Des mots pour soigner leurs maux. Peu à peu, j’ai un public régulier. Je trouve également du courrier dans ma boîte aux lettres, des timides qui n’osent pas franchir le seuil de la librairie. Je lis attentivement  ces missives puis essaie de leur trouver un ouvrage que j’emballe soigneusement et le confie aux bons soins de La Poste.

Le soir en sirotant un verre de rosé,  j’aime écrire en contemplant le coucher du soleil.

Je décide avec l’accord de Bertille de partager cet amour pour l’écriture. J’ouvre un atelier d’écriture. Au début j’ai deux personnes, puis cinq, puis huit, de la femme au foyer, à l’étudiant en passant par le retraité. Ils ont tous des choses à raconter. D’exercices en exercices, leur imagination guide leurs plumes et déborde souvent.

Bertille me surnomme “la Passeuse de mots” et me propose de donner ce nom à la librairie.

Un matin, en rentrant du marché, Bertille me fait un clin d'œil et me désigne du menton un homme qui me tourne le dos. Mon cœur s’emballe, c’est mon ancien compagnon. Je culpabilise car je suis partie comme une voleuse. Me sentant derrière lui, instinctivement il se retourne. Il a maigri.

Son regard s’éclaire quand il me voit. Je sens mon estomac se crisper. Il me rassure et veut s’excuser. Il était persuadé que j’étais partie avec un autre et non à cause de lui. Il me trouve changée, rayonnante et retrouve la jeune fille que j’étais à nos débuts. Il ne pensait pas qu’il me retrouverait en allant à un rendez-vous professionnel à Marseille. Un journal local traînait sur le siège vacant du TGV à côté de lui. Par curiosité, il l’a feuilleté et quelle ne fut sa surprise de découvrir ma photo illustrant un article sur la passeuse de mots.

Il a immédiatement annulé son rendez-vous et sauté du train pour me retrouver.

Il vient d’être muté à Aix-en-Provence et propose que nous nous retrouvions régulièrement dans des endroits inédits.

Qui sait ce que la vie nous réserve….

La Reinette