Atelier 8 - 2021 - sujet 5 image 3
Tende le 24 avril 1939.
Ma chère Madeleine, mon amour.
Je ne peux patienter plus longtemps. Je prends le train des Merveilles, j’arriverai jeudi à Nice vers 14 h. Attends moi je t’en prie au café de la jetée promenade, accorde moi ce bonheur, cet ultime espoir.
Je sais que tu porteras cette sublime robe couleur safran et son chapeau assorti. Ton élégance, tes traits délicats, ta bouche vermeille comme tu sais les mettre en valeur ! Madeleine tu es la plus belle femme du monde .
Te souviens-tu comme ce photographe avait insisté pour faire notre portrait celui de « deux amies » ? J’aurai voulu lui crier que je t’aimais d’amour, d’un amour coupable de ne pas être dans les normes. Que j’avais envie de toi, de ta bouche, de tes seins, lui dire comment notre pudeur s’effaçait, comment tous nos sens étaient mis en éveil dans nos corps à corps.
J’aurai voulu qu’il sache que nos jeux amoureux ne trouvaient pas de limites si ce n’est que la brutalité en était exclue. Que sans cesse je revoie nos étreintes, je les ressens, elles sont inscrites laissent des marques, des traces dans mon cœur, mon corps, ma tète, elles me font vibrer.
Oh Ma chérie, j’ai si souvent rêvé de marcher avec toi main dans la main sur la promenade des anglais. Mais nous savons toutes deux, que quelques unes de nos amies, Juliette, Odile, Louise ont été condamnées et subi des humiliations pour avoir commis « des actes impudiques des fornications contre nature avec une personne du même sexe » ceci après une dénonciation. Pourquoi ces marques de tendresse nous sont elles interdites ?
Une seule fois j’ai osé poser ma tète sur ton épaule en public au cinéma l’Escurial à la faveur de l’obscurité. C’était une sensation délicieuse et enivrante ton odeur me grisait, elle pénétrait chaque fibre de mon corps ce parfum de Grasse que tu avais déposé derrière tes oreilles... jamais je ne l’oublierai. Pourquoi faut-il nous aimer dans le plus grand secret ?
Il ne faut pas ma douce, je t’en supplie ! Que les carcans moraux et religieux abiment notre histoire, au diable la France vertueuse.
Celle qui prône une société ou les femmes sont réduites à la maternité, vouées aux soins de la famille, et à la croissance de la natalité. Je sais que mon engagement féministe que tu qualifies d’excessif parfois, te pose problème, mais Madeleine je suis persuadée que mon combat est juste.
Je veux que la puissance, l’absolu de ce qui nous unit, de ce que nous vivons ne finisse pas devant un tribunal. Je veux juste que nous ne soyons pas souillées, blessées. Est-ce trop demander ?
Cependant, Madeleine, je sais que ces épreuves te paraissent insurmontables, que ce qui nous arrive, ces regards, ces menaces à peine déguisées t’affectent au plus haut point et que tu envisages notre séparation
Aussi ma tendre, je viens jeudi te soumettre une idée. Celle d’épouser notre ami Albert, (qui est d’accord). De faire un mariage blanc avec cet homme, ainsi, lui se rachètera une conduite, il fera oublier ses écarts, on pensera de lui « qu’il a rejoint la normalité » me disait-il enthousiaste. Quant à nous ma bien aimée grâce à ce subterfuge, nous pourrions continuer à nous voir, à nous aimer.
Réfléchis mon grand amour, à ce que pourrait permettre ce mariage de façade. Tu ne manques pas, je le sais, d’intelligence du cœur et je mets toute ma confiance et tout mon espoir dans l’idée que tu acceptes ma proposition. Pense à nous mon amante, à nos passions, à nos folies à tout ce qui nous reste à partager.
Ps : avant de te rejoindre, j’irai jusqu'à la maison Florin sur le port, je rapporterai une corbeille de clémentines confites celles que nous aimons tant.
Je t’embrasse éperdument, je suis à toi pour toujours.
Gisèle.
Ivoleine
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