Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

ATELIER DU 16 Octobre 2013 par Orane

En mode Contes et Légendes - Il était une fois…

Ronde de mots : horloge – sentir – aiguille – talon – couture – clochard – goudron – parapluie – ravi – dents – forêt – camion – trouble-fête – ciment – brame – escargot.

Comme un film

Cette histoire aurait pu être le scénario d’une comédie sentimentale à l’américaine, mais non, cette histoire est bien réelle, et c’est la sienne !

Tout avait débuté au pot de départ d’un employé de la société où Adèle travaillait comme assistante du p-d-g. Tous connaissaient le douloureux passé de celui-ci: avant d’en arriver là où il se trouvait aujourd’hui, il avait connu le licenciement et s’en était suivie la spirale qui l’avait amené à vivre dans la rue, clochard parmi tant d’autres, luttant pour conserver sa dignité. Or, un de ses associés avait joué au trouble-fête en dénigrant à qui mieux-mieux ceux de « la classe d’en bas », jetant un grand froid dans la petite salle. Adèle avait alors vertement répliqué, se faisant un plaisir de remettre le malotru à sa place. Elle n’avait jamais pu le sentir.

Le regard à la fois amusé et reconnaissant que le boss avait posé sur elle l’avait fait rougir et lorsque celui-ci l’avait gratifiée d’un sourire irrésistible découvrant des dents impeccables, elle s’était surprise à penser : « Quel charme ! Et quelle élégance dans son costume haute-couture ! Sa femme a bien de la chance ! » Lorsque, le soir venu, il lui avait proposé de la raccompagner, elle avait bien sûr accepté, ravie de passer quelques instants « hors boulot » en tête-à-tête avec lui. Dehors, la pluie s’était mise à tomber, ils avaient partagé en riant le minuscule parapluie qu’elle emportait toujours avec elle. “I’m singing in the rain, just singing in the rain…” s’était-elle mise à chantonner en sautillant gaiement sur le goudron de la chaussée, se souciant fort peu  d’avoir les pieds trempés dans ses petites sandales à talons. Heureusement, la voiture n’était pas garée trop loin.

Le trajet du retour lui avait paru très court, elle regrettait de devoir le quitter si vite. Puis sa nuit avait été des plus agitées, elle avait eu du mal à trouver le sommeil.

Le lendemain, à sa grande surprise, elle l’avait trouvé qui l’attendait devant l’horloge dans le hall, visiblement impatient de lui parler. Il l’avait saisie par le bras pour l’emmener dans son bureau, c’était comme si une aiguille l’avait soudain piquée, elle s’était sentie devenir molle, prête à défaillir. Il ne lui avait pas laissé le temps de se poser d’inutiles questions, il lui avait annoncé tout de go que dorénavant, lorsqu’il s’absenterait, elle devrait le remplacer. Une telle marque de confiance l’avait fait fondre. Elle était entrée comme stagiaire dans l’entreprise qui possédait une flotte de camions de livraison de matériaux pour le bâtiment, notamment du ciment, et elle avait rapidement gravi les échelons, faisant preuve de compétence et de rigueur. Elle allait devoir en montrer encore plus.

Peu à peu une complicité ambigüe s’était  glissée dans leurs relations. Un jour - c’était début octobre, pendant la période de brame des cerfs - il l’avait invitée à aller écouter leurs chants de l’amour dans la forêt de Sainte Croix. Elle allait s’en souvenir à jamais : l’air était humide, quelques escargots craquaient sous les pieds, il régnait une atmosphère particulière. Soudain, elle s’était mise à frissonner, il l’avait enlacée et puis embrassée, doucement puis passionnément. Un cerf était venu tout près, poussant son cri rauque à leurs oreilles. C’est à ce moment-là qu’il lui avait demandé de l’épouser !

Depuis, chaque année, au début octobre, ils reviennent assister au rituel du brame dans la forêt de Sainte Croix.

 

ORANE

 

 

Le destin de Fleur de Lune

Fleur de Lune danse, danse. Elle tourne sans rien voir autour d’elle. Tous ces hommes au regard lubrique la dégoûtent. Elle cache  sa tristesse sous un sourire rouge vermillon, mais son regard noir velours semble en dit long à qui sait  s’y attarder. Son corps brun aux courbes parfaites ondule au son de la musique sur la scène du City Bar, un boui-boui aménagé en cabaret où se presse  tous les soirs, une foule de faux cow-boys en mal de beuverie.

Ce soir, Fleur de Lune n’en peut plus. Elle ne supporte plus la vie qu’on lui impose ici, elle doit trouver un moyen de s’en sortir, de se tirer des griffes de ce rapace  auquel elle est asservie depuis trop longtemps. Elle voudrait pleurer, hurler, mais elle n’en a pas le droit. Il aurait tôt fait de la faire taire, à coups de pieds et de gifles. Elle en a trop subi au début, alors depuis, elle patiente. Si elle veut réussir à s’échapper, elle doit feindre encore et jusqu’au bout.

 

Ce soir, Fleur de Lune pense à son bébé resté là-bas, chez les siens. Il doit aller bien, c’est sûr, Bras-vaillant doit veiller sur lui. Mais comme il lui manque ! Comme elle aimerait pouvoir le prendre sur son cœur, le cajoler, le consoler de ses petites peines ; elle en crève…

Depuis cette nuit où elle a été enlevée, brutalement arrachée à sa vie de femme indienne paisible et bien réglée, par ce blanc brutal et sans pitié, elle n’a plus jamais réussi à dormir. Ou bien si peu, mais c’est pour faire des cauchemars, un seul d’ailleurs, toujours le même où elle se voit, tirée de force par la taille, ses bras détachés de son corps continuant à serrer son petit. Quelle horreur ! Elle entend ses cris, elle a si mal !

 

Mais depuis deux ou trois soirs, au fond de la salle, elle a remarqué qu’un homme l’observe, de temps en temps il lui adresse un sourire, pas plus. Elle sent qu’il est différent des autres hommes qui fréquentent le bar, il a l’air gentil. Alors, l’espoir renaît en elle, elle va aller lui parler tout à l’heure, après son show. Fleur de Lune reprend courage, ce soir elle va danser pour lui, le cow-boy au regard franc et doux. Ce soir, elle se le promet, elle va danser pour la dernière fois, elle va laisser derrière elle toute cette boue qui la salit et la détruit.

Elle se voit arriver là-bas, chez elle, elle entend des rires joyeux, des rires d’enfant, son enfant ! Elle se voit courir, prendre dans ses bras le petit corps potelé et si doux. Des larmes lui inondent le visage, anticipation de bonheur, espérance…

 

Fleur de Lune arrive sur la scène, sous les cris et les réflexions salaces des clients déjà bien éméchés. Elle entame un mouvement des hanches lent, sensuel, les yeux braqués sur le fond de la salle. Mais elle ne distingue rien, le projecteur dirigé sur elle l’aveugle. Tant pis, elle danse, danse et ondule, oubliant où elle se trouve, menée par son obsession, celle de la dernière chance.

Lorsque tout s’arrête, la lumière revient, elle salue, acclamée, applaudie. Elle n’attend pas les billets humides qu’on lui glisse habituellement dans son minuscule corsage. L’homme, au fond, vient de lui faire un signe lui indiquant la petite porte sur le côté, vers laquelle il se dirige. Elle a le cœur qui bat, ça y est, ça y est, elle en est certaine maintenant, c’est lui son sauveur !

Dehors, l’homme est là, fumant une cigarette, les yeux mi-clos. Il l’accueille avec un air qui soudain n’est plus aussi doux qu’elle l’avait trouvé. Pire même, elle a l’impression de ne pas être devant celui qu’elle voyait dans le fond du bar. Elle s’avance timidement vers lui, il lui dit de ne pas avoir peur, qu’il va bien s’occuper d’elle, qu’ensemble ils vont gagner beaucoup d’argent. Elle ne comprend pas, il continue à lui énoncer ses projets, il va l’emmener dans une grande ville, elle vivra dans un beau quartier, il va la gâter, elle ne sera désirée et adorée que par des hommes riches, il va la sortir de cette vie misérable…Ses oreilles bourdonnent, son cœur s’est emballé, elle pense à son fils, elle ne le reverra jamais ! Elle veut s’enfuir, mais il la rattrape, la secoue brutalement par les épaules, puis la gifle avec force. Elle tombe à terre, il la relève, elle se sent comme une loque, elle se dit que tout est fini. Alors, elle décide de lutter, elle le martèle de coups de poings, elle essaie de le mordre, toute sa rage lui donne une énergie qu’elle ne se connaissait pas. Ce qui a pour effet de déchaîner la fureur de l’homme qui lui tord le bras, elle hurle et s’écroule, sa tête heurte violemment le bord du trottoir. Elle ne dit plus rien, l’homme se penche, lui tapote les joues, elle ne réagit pas. Il hausse les épaules se relève et s’en va.

 

L’aube se lève sur la petite ville encore endormie. Un camion de livraison freine pile devant la porte latérale du City Bar. Le chauffeur a eu chaud, il a failli rouler sur une forme à terre. Il descend et découvre une magnifique jeune femme à la peau mate, qui lui semble endormie. Il se baisse et découvre le sourire rouge vermillon d’où s’écoule un filet de sang. Fleur de Lune dort à tout jamais.

 

 

ORANE

 

 

 

 

 



28/10/2013
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