Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier du 16/06/2015

J'en ai ma dose. Over !

Sous une pluie de diamants, titubant plus qu'il ne marche, il longe les quais célébrant la « Lucy in the Sky » des Beatles. L'éclairage public dessine une immense allée de candélabres alignés le long du fleuve. Là-bas vers l'embouchure, au bout de cette nuit, sa daffodil puppet[1] l'attend. Lui, son corps glacé l'espère.

Dans sa nuit froide, il descend, tenace, vers l'aval encadré par les torchères des réverbères. Des langues de feu viennent lécher ses sueurs froides. Cela fait des heures maintenant que Luke titube plus qu'il ne marche quand soudain arrivent les tremblements. Les trottoirs se lézardent, la chaussée se fend en deux engloutissant les lumières et la pluie de diamants.

 

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Le chien à six pattes d'AGIP[2] quitte l'usine désaffectée, se précipitant vers lui tel le soldat nettoyant une tranchée au lance-flammes. Il crache son feu. Un réverbère ami arrête sa titubante marche et empêche sa combustion pétrolifère. Sueurs glacées dans ses entrailles[3], ses mains jouent à nouveau du Parkinson accompagnées, incoercibles, par les castagnettes de ses chicots quand, jaillie de nulle part la langue de Mick Jagger tente de l'emporter vers l'onde noire sirupeuse. Surgi de l'eau sombre, un monstre lochnessoïde le scotche à son bec de gaz ami, vite chassé par une myriade d'elfes papillonesques aux couleurs de narcisses.

Son retour à la conscience trouve Luke arc-bouté gisant autour d'un lampadaire trempé de pluie, grelottant de froid brûlant d'une fièvre intérieure qui lui taraude les viscères comme un zombie surineur qui lui signifierait l'échéance de son bail, en braille bien sûr. Après maintes vaines tentatives, il finit par retrouver la station debout et titube plus qu'il ne marche pour reprendre sa quête vers sa sexy girl qui l'attend au cœur d'un jardin. Printanier. Les clochettes du muguet et les calices des narcisses y pastellent de blanc un immense parterre de mufliers roses.

Dans l'intervalle entre deux amis à flammèche, où il titube, les gueules de l'idyllique flore rose s'ouvrent de façon gigantesque et croquent de leurs dents acérées le rail lumineux qui le conduit vers son héroïne. Venant d'ailleurs, une caisse à roulette découpe de ses phares sa propre silhouette. Fiat lux. C'est Nestor Mabur ! Les deux lasers jaunes balisent alors son chemin vers sa Butterfly puppet[4].

Franchissant la barrière de l'Eden Park[5], un feulement rauque lui plante ses griffes dans le dos. Il choit, gît englué dans des crottes de chien, ses mains cherchent son mot …... Où est-il cet adjectif pour le nom « chat » … Châtain ? Chatoyant ?  Câlin ?

Dans l'enveloppante fumée de sa clope, une statue Moaï[6] l'interpelle d'un clin d'oeil. Titubant plus qu'il ne marche, Luke se vautre à ses pieds, suppliant, sa main tendue faisant la manche.

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Et puis, enfin, elle est là au creux de son bras, son héroïne Butterfly. Il vole et la suit dans son vol, emportés par le souffle glacé d'un sirocco venu des cinquantièmes hurlants. Balayés tous deux vers une lumière immatérielle, ils s'engouffrent dans un kaléidoscopique  boyau de sang.

Flash ! Ils sont lumières.

 

Les rails de la déréliction

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Ce pourrait être une histoire courte exprimant la solitude. Elle compterait deux héros : Nathalie et l'homme sans nom. Lui débouchant sur le quai vide d'une gare de province perdue, chercherait à habiller sa solitude nouvelle. Elle trépignante sur le même quai, surprise par l'entrée fortuite de l'homme sans nom, se mettrait à le suivre pour occuper son temps et, pour les lecteurs, déshabillerait son isolement.

Bien évidemment, quelques obstacles empêcheraient la réunion de ces deux solitaires. Pour elle, son rendez-vous manqué concernant son projet de construction, la drague pressante d'un personnage secondaire. Pour tous les deux, un obstacle bien concret : l'absence de point de chute pour la nuit. Et enfin, des pensées suicidaires d'aquaboniste[7] récent pour lui.

L'action commencerait vers 19h, par une fraîche nuit d'automne, sur le quai de la gare la plus proche d'Étais la Sauvin dans l'Yonne. Elle pourrait se poursuivre à l'intérieur de la brasserie de la gare qui ferme à 20h.

Alternativement, les héros seraient confrontés au chef de gare, au serveur de la brasserie à quelques souteneurs de zinc à face rubiconde.

Ils seraient comme sur deux parallèles, chacun la sienne. À chaque effort pour converger, ils perdraient pied.

Devant tant d'abandon, de déprime, de blues, et de mélancolie, un final woollywoodien serait mal venu. Au matin donc, Nathalie et l'homme, dont on ne connaîtra pas le nom, s'en retourneraient à leur isolement.

 

 

Poche béante

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Bouche bée. Il n'en revient pas de l'audace des pickpockets. Il n'est pas encore revenu de son grand étonnement, qu'il trouve dans le « ruisseau »[8] son porte-feuille abandonné. Vide d'argent bien sûr. La bouffaïs[9] lui vient. Il trépigne contre ce viol. Que faire ? Ne pas pouvoir l'horripile. Il décide enfin de se diriger vers le poste de police, place des martyrs de la résistance. C'est la place du marché aux fleurs de Montpellier. Il se souvient d'un bouquet de narcisses acheté pour une belle de passage dans son cœur. Elle voulait y faire son nid … y voir grandir leurs amours, des enfants et tout, et tout.

Il n'était pas mature, pas assez grand. Rapidement, il a renversé la vapeur, a fermé la porte aux fourneaux et s'en est allé mûrir ailleurs.

Ne voulant pas se laisser obséder par le passé, il chasse ses pensées en arrivant devant le bureau de police municipale. Il est plein comme un œuf. La lenteur administrative due aux flics qui tapent leurs rapports à deux doigts sur le clavier … ce n'est donc pas une légende ! C'est à désespérer du genre humain ! Il n'attendra pas. Il sort, redescend vers la Comédie. Peu à peu, sa colère s'estompe … pas de quoi faire un fromage pour une cinquantaine d'euros. Il s'installe à la terrasse d'un café. À la table d'à côté, une vieille chouette déblatère tout un tas de sottises contre son vieux hibou dont l'attitude montre qu'il ne mémorise pas bien les propos acerbes de sa greluche. De l'autre côté, une plantureuse brune lui redonne le moral. À l'agachon[10], il espère qu'elle va finir par l'apercevoir. Il lui réserve son sourire n°5 bis adapté aux brunes plantureuses. C'est un peu lourdingue, comme réflexion. Pour sûr, après ce mauvais coup, il n'a pas l'âme d'un poète en cette belle après-midi si mal commencée. Elle se tourne enfin. C'est elle.

Sortant son billet de 20 euros, il le reconnaît il est graffité, elle paie et s'en va.

Bouche bée.

 

 

Empire d'essences

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Et merde ! Son réservoir vient de dégueuler. Trop absorbé par sa prochaine séance de dégustation, il a confié son plein à ses habitudes et paf ! Beau résultat : pompes et mains empastignées[11] d'hydrocarbures. Tout ça parce qu'il n'a pas voulu faire la queue à Carrouf, le voilà planté, revolver archaïque en main, dans un Dyneff de campagne, face à une station vide. Dans son cylindre plastique, le papier absorbant lui joue l'air des abonnés absents. Et comme de juste, les toilettes sont condamnées ! Fort heureusement : bonjour le fumet !

Du gras et des effluves. Il va en mettre partout. L'odeur de carburant le suit. Rien de tel pour l'analyse sensorielle ! Son nez lui annonce des fragrances de naphtaline nuancées d'une pointe de goudron chaud. Il n'en revient pas … trouver des différences olfactives jusque dans l'essence.

L'angoisse d'envahir la salle de ces odeurs pétrolifères le gagne. Pour l'heure son nez est foutu. Faute d'odorat, il ne travaillera que sur la vue et la sapidité.

Sur l'arrière de la station, il finit par trouver des herbes grasses où s'essuyer. Les jeunes feuilles de ray-grass sont encore souples au toucher. Leur printanière douceur herbeuse absorbe le gras hydrocarbure, le frottis mêlant les odeurs de sève et d'huile fossile.

Remonté à bord, toutes fenêtres ouvertes au vent du crépuscule, il achève les cinq derniers kilomètres vers ce village des hauts cantons. Comme une éponge sensorielle, il s'imprègne des couleurs de ce soir où dominent la palette des verts de printemps et le jaune des genêts, dont la puissante senteur est à la lutte pour pénétrer son habitacle.

La distance fut bien trop courte … la réfection du macadam habite plus que jamais ses mains et son véhicule. Il se parque, sort son téléphone portable pour le rendre muet aux possibles importuns cherchant à parasiter sa dégustation. Un message. Dans sa confusion, il ne l'a pas entendu arriver.

La pire décence :« La séance est reportée à mardi prochain » !

 

Bernard 16/06/2015



[1]Sa poupée de jonquilles

[2]Azienda Generale Italiana Petroli fondé en 1926 par l'état italien.

[3]Référence à Hubert Félix Thiéfaine in « méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville »

[4]Sa poupée papillon

[5]Célèbre stade de la ville d'Auckland en Nouvelle-Zélande, consacré entre autres au rugby à XV

[6]Statue monumentale de l'île de Pâques

[7]Référence au titre d'une chanson de Serge Gainsbourg

[8]Un peu suranné, vu que les bordures de nos chaussées aujourd'hui ne connaissent que l'eau de pluie. Il s'agit donc d'un ruisseau à sec !

[9]Du provençal, « bouffées de chaleur ressenties à la ménopause » et dont le sens a évolué vers « la montée d'une colère retenue »

[10]Le terme agachon est un terme provençal, signifiant littéralement aguets. Il vient du bas-latin gachare : faire le guet.

[11]Néologisme marseillais de ma sauce : c'est à la fois emboucaner et empéguer (le parler des Bouches-du-Rhône de Christian Armanet aux éditions Lacour)



19/06/2015
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