Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier du 17/03/2015 - les oeuvres de Bazille

Elle était venue poser pour lui, parce qu’elle l’admirait, mais les odeurs de térébenthine et d’huile de lin qui régnaient dans cette pièce glaciale la mettaient mal à l’aise. Elle était frigorifiée. Au mur les toiles d’autres peintres de ses amis, bien moins talentueux que lui. Il en avait assez qu’elle bouge, alors il avait pris une minute pour allumer le vieux poêle à bois. Il espérait que cela la calmerait, mais cela n’avait pas été le cas. Fou de rage, il avait envoyé valdinguer sa boite d’huiles sur le sol de son atelier et il était sorti en claquant violemment la porte.

 

Elle était restée figée, les tubes précieux et ses chers pinceaux étaient éparpillés sur le sol. Il ne les avait même pas ramassés. Le poêle près d’elle diffusait enfin une douce chaleur, alors elle osa remettre sur ses épaules le châle si fin qu’il avait daigné lui prêter. Petit à petit sous la douceur du vêtement qui la réchauffait, elle avait osé s’allonger et se détendre. Ses larmes avaient fini par sécher et elle s’était endormie.

 

Lui, pendant ce temps, avait marché, longuement, réfléchissant à sa conduite. Il avait repensé à sa colère et en avait vu l’injustice et l’absurdité. C’est vrai que son atelier était glacial. Alors, il avait fait demi-tour, prêt à s’excuser pour reprendre son ouvrage. Lorsqu’il était entré dans son atelier, il n’y faisait plus si froid. Il l’avait découverte, couchée à même le sol, le visage encore humide de larmes. Celles-ci en séchant avaient laissé des sillons de sel. Elle avait dû s’enrouler dans son châle, mais il avait glissé découvrant sa magnifique et généreuse jeune poitrine. Elle était magnifique. Comme un possédé, il avait pris une toile vierge, sorti un fusain, et croqué rapidement ce jeune corps à l’abandon.

 

À ce

tte époque, nous sommes en 1864, on découvrait tout juste la photographie et peu nombreux étaient ceux qui en possédaient un appareil et le savoir-faire nécessaire pour l’utiliser. Alors quand une émotion saisissait un artiste, il devait réagir vite et n’avait bien souvent que les croquis rapides pour figer l’œuvre en devenir.

 

Avec précaution, il s’approche d’elle, ramasse tubes et pinceaux. Puis il retourne à son chevalet, pose rapidement un glacis qui reprend les teintes de fond avec l’éclairage particulier de l’instant présent. Il songe qu’elle est totalement à sa merci, alors le remord lui vient.

 

-          Pauvre enfant, chuchote-t-il, je l’ai épuisée et j’ai été odieux avec elle.

 

Mais ce remords disparaît bien vite en faveur de l’excitation qui s’empare de lui. Le maître sait qu’il tient là une œuvre unique, mais il doit faire vite0 la peinture c’est sa vie, et il sait combien les moments de certitude sont rare. Il renoncerait à tout pour pouvoir finir une œuvre, même à manger. Il se passera volontiers de nourriture pour pouvoir acquérir le tube de couleur qui lui manque. Cela lui est déjà arrivé, et cela recommencera, c’est une certitude. Mais l’art est à ce prix, ou l'on s’y donne avec ferveur, ou l'on n’arrivera jamais à rien.

 

Fébrilement, il va vite, posant une à une les couleurs qui font naître sous ses yeux l’œuvre en devenir. Il suggère rapidement le drapé d’un rideau derrière son modèle, dissimulant ainsi le mur sans intérêt. Puis, il choisit les teintes olive, kaki, pour rendre encore plus lumineux le corps d’odalisque de cette belle enfant. Il ajoute son chausson qu’elle a perdu en s’endormant, il est surmonté d’une fleur de tissu de la teinte qu’il a choisi pour son rideau, curieuse coïncidence. D’ailleurs, il ne voit pas l’autre chaussure, mais qu’importe !

 

Sur le sol, il pose des touches de carmin qui donneront l’impression d’une floraison de roses rouges sang. Le feuillage est un rappel du rideau et de la fleur sur le soulier. L’harmonie est parfaite, il est heureux, enfin apaisé. Ses gestes sont vifs, rapides et ajustés. Pas une fausse note sur le tableau qui avance vite. Il a su rendre vivace à jamais la beauté sculpturale de cette jeune fille qui est vraiment très belle ainsi abandonnée à son talent. Et surtout, enfin ! Elle ne bouge plus.

 

Maridan 19/03/2015

 



19/03/2015
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