Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier du 20/11/2013

1) la ronde de mots

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Ce matin-là, elle est sortie de chez elle, sans but. Juste envie de rien. Rien, est-ce bien sûr ? Elle sent confusément en  elle, des mots qui refusent de sortir qui s’acharnent à brouiller son esprit. Complication du cœur, vertige de l’âme. Tout en elle se brouille, se bouscule, s’entremêle, s’entrechoque. Jusqu’à créer ces tourbillons de pensées insensées qui la maintiennent prisonnière des apparences et du quand dira-t-on.

 

Elle avance, silencieuse dans la ville qui grouille des bruits du matin : circulation, klaxon, enfants qui rient, crient et gesticulent sur le chemin de l’école. Les chiens derrière les portails qui aboient. Rien ici ne la détend. Mais après une demi-heure de marche, elle est enfin parvenue au parc des Buttes Chaumont. Ici, plus aucun outrage sonore ne vient troubler la quiétude du lieu.

 

Oh, il y a bien encore quelques butors pour siffler son chien, ou appeler avec force un visage reconnu. Mais en allant plus profondément dans ce parc, on finit tout de même par s’extraire de ce monde de folie. C’est là près du belvédère d’où pendent quelques lianes fleuries qu’elle aime aller se ressourcer, quand le poids de ses chagrins devient trop lourd. Lentement, elle s’allonge sur le gazon épais de ce coin de nature domestiqué. Aussi saugrenu que cela puisse paraître, c’est encore ici qu’elle arrive à se retrouver. Elle ferme les yeux, étend ses bras en croix et ouvre son esprit aux images d’une autre nature dont elle garde précieusement le décor au chaud dans son esprit fatigué.

 

Le jaguar est là, prêt à bondir dès qu’elle le rappelle à sa mémoire et avec lui, la femme à la peau d’ébène. Cette femme magnifique, qui faisait corps avec cette savane immense qui l’encerclait. Comme on étreint quelqu’un qu’on aime intensément.

 

La première fois qu’elle l’avait vue, elle l’avait crue évanouie. Elle s’était approchée avec prudence. La Kényanne avait ouvert des yeux étonnés à son approche. Que faisait cette femme blanche, ici, loin de toute civilisation ? La peau brune avait pensé qu’elle était sûrement la victime d’un drame, comme il en arrive quelques fois au sein de la brousse. Mais l’autre n’avait pas l’air effrayée, juste un peu surprise. Elle lui avait demandé en swahili, ce qu’elle faisait ici, seule au milieu de nulle part. La femme à la peau blanche n’avait rien compris.

 

À cet instant précis, c’est de cela que se souvient la femme étendue aux Buttes Chaumont. Cette rencontre improbable au cœur d’un espace-temps où elle n’avait rien à faire. Et pourtant, petit à petit, dans un élan furtif, ces deux femmes avaient réussi à communiquer. Oh, elles n’avaient pas tellement parlé, elles avaient fait beaucoup mieux, elles avaient partagé. Donc on pouvait partager sans parler ! La découverte avait été fantastique. Se comprendre sans mot, c’est se donner la force de communiquer vraiment, or, quand cela est-il possible, dans nos sociétés modernes ? C’est impossible dans nos vies de chaque jour, dans les écoles, pas plus que dans les universités, ni dans les clubs de sports ou de rencontres. Partout, la parole est reine Car, s’autoriser à penser est un luxe que les puissants nous refusent. Elle plonge à nouveau au cœur de ses pensées, auprès de cette belle Massaï, près d’elle, elle avait découvert une autre façon de voir le monde. Elle avait vu l’ours qui grimpe après l’arbre pour aller décrocher le miel dont il est si friand, elle avait bondi avec le jaguar sur sa proie qui le nourrira et après lui nourrira ses enfants, puis les vautours, puis tous ceux qui viendront après. Elle avait appris comme l’autre à embrasser du cœur et du regard le peu de nature encore préservée en ses lieux si chers aux touristes. Et alors, elle avait vu le monde comme elle. Elle n’avait pas aimé ce que les yeux sombres lui enseignaient. Car depuis, elle souffrait, prisonnière de sa peau blanche, captive des excès de sa race face aux autres peuples. Depuis, elle revenait ici , à chaque fois que son emploi du temps surchargé le lui permettait. Car c'est ici, seulement, qu'elle arrivait à refaire corps avec cette femme qui ne l’avait plus jamais quittée, sans qu’elles n’aient eu besoin du moindre mot. La vérité était là, ne pas parler pour ne rien dire, écouter et surtout entendre pour apprendre à vivre vraiment.

 

2) le concert champêtre de Corot

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Les musiciennes s’étaient donné rendez-vous dans la forêt de Senlis. C’était une belle journée d’été. Elles étaient vêtues légèrement. Gabriela avait pris son violoncelle avec elle, Lynda tenait la partition, Orane n’avait rien pris, il faut dire qu’avec sa jolie voix de soprano, elle n’avait nul besoin d’autre instrument que la tessiture de sa voix.

 

Leurs trois amies : Frédérique, Véronique et Nadège n’avaient visiblement aucune envie de jouer ce matin. Elles étaient parties au bord du petit lac un peu plus loin et admiraient les allées et venues d’un beau cygne blanc, qui semblait ravi d’être ainsi l’admiration des trois gracieuses.

 

En réalité, toutes les six attendaient la venue du Maestro, leur chef d’orchestre bien-aimé Gérard le Grand. Il suffisait à cet homme de se saisir de sa baguette, pour qu’aussitôt, la musique s’élève. Où qu’il se trouve, tout autour de lui, dès qu’il jouait une ronde endiablée, tous se mettaient en route.

 

Dans toute la province, on l’appelait le maestro aux doigts d’or. Impossible de résister à l’appel de ses notes. Lui seul, avait le pouvoir de faire danser toutes les personnes douées d’oreilles.

 

Si on pouvait l’entendre, on ne pouvait résister à l’appel de nos jambes qui se mettaient en branle dès qu’il ordonnait à son orchestre de se mettre en route. Il voyageait à travers le monde et partout où il officiait, le même miracle opérait. L’église avait été informée de ce prodige et quelques fâcheux avaient commencé à répandre le venin de la calomnie sur cet homme si talentueux.

 

Certains l’appelaient le charmeur de rats, d’autres le surnommaient le suppôt de Satan. Bref ! Il ne laissait personne indifférent. Mais nos six musiciennes étaient bien loin de songer à toutes ses fadaises. Elles étaient plutôt du style à se réjouir qu’en sa présence la seule envie qui leur vienne soit celle de danser.

 

Qu’est-il de plus beau en vérité que de s’élancer avec légèreté sur une piste de danse ? Rien, chantaient à l’unisson les voix des six amies. Lorsque la dernière note de leur comptine se tue, le maître apparut. Grand sourire aux lèvres comme à son habitude.

 

Alors mes petites amies, en forme ce matin ? Et c’est avec plaisir qu’une fois de plus le charme opéra. La voix d’Orane s’éleva et de partout vinrent des gens qui se mirent à danser tout autour du mini orchestre ainsi composé dans la forêt de Senlis. Si vous passez par là, n’hésitez pas à aller y faire un tour, vous en reviendrez beaucoup plus léger et agréablement surpris d’avoir si bien dansé. Alors, dites-moi ! Où est le mal dans cette affaire ?

 

3) Nicolae Grigorescu - La femme et la mer

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Elle s’est installée là ce matin. Son amie lui a dit :

 

« Tu es folle ! Ce n’est pas un temps à se poser au bord de la mer. Tu vas attraper la mort ! »

 

 

 

La mort si seulement ! Elle serait enfin libérée de ce carcan de douleur. Elle ne l’a pas écoutée. Elle  a emporté dans son auto, le beau fauteuil en teck qu’il lui avait offert pour son anniversaire.

 

 

 

Il savait si bien son amour pour la grande bleue, qu’il avait investi dans ce fauteuil hors de prix, pour qu’elle puisse aller se détendre sur la plage par tous les temps. Elle y avait rajouté un petit tabouret pliant avec une jolie toile rayée bleue et blanc. Elle a posé sur son corps épuisé le lourd manteau de fourrure, sur sa tête son chapeau de paille qu’elle a fait tenir à l’aide de sa grande écharpe blanche. Elle flotte sur ces épaules comme un étendard qui lui indique où souffle la brise marine. Elle a enfilé la jolie paire de gants en peau, encore un cadeau de sa part, et elle venue s’installer là, à quelques mètres du bord de l’eau. Malgré le froid environnant, une famille a fait le déplacement et occupe la première ligne. Elle veut rester seule. Alors elle s’est mise à distance.

 

 

 

Elle a tourné son regard vers la plage déserte en ce jour de novembre. Le froid ne lui a pas fait peur, il est en tout point ce qu’il lui faut à cet instant précis. Son cœur est en hiver. Pas un sourire n’éclaire son visage. En détournant ses yeux des gens qui polluent son horizon, elle s’ouvre une fenêtre sur les visages de son passé avec lui. Aujourd’hui, la mer a pris une jolie teinte bleu azur et pourtant le ciel est comme elle. Il a passé son manteau d’hiver du même ocre que son humeur. Oh bien entendu, le bleu subsiste encore, mais elle sait qu’il ne vaincra pas cette bataille. Cette lutte c’est la sienne. Elle, elle veut du gris, elle veut du noir. Pourquoi le noir ne résiste-t-il pas à la mer ? Il lui faut des tempêtes épouvantables pour réussir à éteindre ce bleu étincelant qui éclabousse tout comme un défi à sa mort

 

 

 

C’est pourquoi elle s’est détournée de cette immensité qui habituellement lui tend les bras et auquel elle aspire avec tant de gourmandise. Mais pas là ! Plus maintenant ! Pourquoi est-elle ici et pas lui ? Pourquoi, la mer reste-t-elle aussi belle quand son cœur est si sombre ? N’est-elle plus son amie ?

 

 

 

Elle a été témoin de leur amitié, le témoin de leur amour. À présent, elle n’est plus que le témoin de son désarroi, de sa douleur, de sa vie, qu’elle laisse filer, jour après jour, en souhaitant que le néant l’engloutisse.

 

 

 

Assise sur son fauteuil, elle n’a pas allongé ses jambes sur le tabouret, non ! Le tabouret c’est juste pour imaginer qu’il est venu là, près d’elle, pour la réconforter. Et ça marche. Elle entend sa voix qui lui dit des choses douces à l’oreille :

 

 

 

« Ne sois pas triste ma Calou, je ne t’ai pas quitté. Je me suis absenté pour mieux de recevoir quand tu viendras me rejoindre. Je t’aime, n’en doute pas. Je ne t’ai pas dit adieu, juste au revoir, à bientôt. Car tu le sais, la vie terrestre est bien courte, même pour ceux qui s’y accrochent avec fureur. Un jour viendra où nos routes se croiseront à nouveau, regarde devant toi, pas derrière. À quoi bon te lamenter sur ce qui fut. Profite plutôt de ce qui reste, vis comme j’aurais aimé le faire moi-même. Va ma douce, ne sois plus triste, nous nous retrouverons et ce jour-là, j’aimerais que tu aies des tas de choses à me raconter. »

 

 

 

Elle a rouvert ses yeux. Il a raison, à quoi je joue ? Je suis malheureuse parce qu’il n’est plus là. Mais j’ai tous ces souvenirs de lui qui me tiendront chaud encore longtemps. Elle a desserré ses bras, posé ses mains sur ses genoux, son regard s’est éclairci, tiens c’est drôle le ciel aussi. Elle s’est levée, a tourné sa chaise vers le large, et à présent, elle reprend le chemin qu’elle aime tant. Celui des souvenirs partagés face à l’immensité bleue et tout son corps lui en est reconnaissant. La tension libère ses muscles de son étreinte douloureuse. Elle sourit et ce sourire sur son visage est la promesse de lendemains qui chantent, elle le sait à présent, son amour le lui a dit et il ne lui a jamais menti.

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4) Ronde de mots, drôle avec mots inventés :

Ah non ! Alors, encore du chocolat, j’en ai les ongles qui poussent à l’envers. Il faut dire qu’avec l’émeraude de ma sœur, qui me pompe l’air avec son historie de Saint Valentin, mon abruti de beau-frère qui pense la ravir en lui offrant le parfum ivresse qui pue la charogne. Je sens que mon humour légendaire est en train de partir sur une autre galaxie.

 

Mon prince charmant a voulu me faire une surprise et il s’est pointé avec sa mobilicavalette, sorte de moto couplée avec un cheval qui en plus de faire du bruit et de puer, laisse derrière elle des traînées nauséabondes de gazolcrottes. Je me sens glisser inexorablement dans un cauchemar à deux balles ou un lutin espiègle me tire par les pieds et me livre à des sorcières lubriques éprises de boissons qui m’ont ligotée. À coups de crayon, elles ont dessiné un pentacle sur le sol, et après une brève incantation, pour m’obliger à bouffer un poisson mort qui pue le pot de chambre, elles se sont mises à danser et à chanter la macarabouboufiat ou chanson du poisson qui pue, pète et joue de la clarinette.

 

Maridan 20/11/2013

 

 



20/11/2013
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