Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier du 2/11/2015 sujet 1

Je me souviens du jour ou j’ai été installé dans cette maison. C’était il y a vingt ans déjà. À cette époque, je trônais, tout de neuf vêtu, dans la vitrine d’un grand magasin. On m’avait paré pour l’occasion d’une jolie toilette de broderie anglaise toute blanche. Tous ceux qui passaient devant moi s’exclamaient et disaient combien j’étais beau et combien ils aimeraient que je sois à eux. Malheureusement, mon prix en éloignait beaucoup.

 

Ce jour-là, j’avais vu venir à moi, un jeune couple très amoureux. Ils s’étaient assis sur moi. Ils avaient caressé ma dentelle et la jeune femme avait dit :

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«  C’est celui-ci que je veux ! »

 

Le vendeur s’était précipité et j’avais été déménagé, le lendemain, dans leur appartement des Buttes Chaumont. La pièce était claire, peu meublée. Il y avait une jolie coiffeuse avec un triptyque ancien, deux chevets que le jeune homme avait peints pour sa dulcinée et un buffet en face de moi sur lequel reposait une vieille télévision en noir et blanc.

 

Pendant les dix premières années, j’avais vu des joies immenses et des chagrins insurmontables. J’avais bercé leur amour, adouci leurs colères, et supporté parfois leurs absences.

 

Combien de larmes mon matelas avait-il enfouies ? Je ne saurais le dire. Mais ce que je sais, c’est que j’avais été le témoin de plus de joies que de peine.

 

Seulement, voilà… Il y a huit ans, madame avait commencé à se sentir mal. Se plaignant de plus en plus de douleurs inexplicables. Mais malgré les exhortations de son mari, elle refusait tout le temps d’aller voir un médecin. Ses parents et ses grands-parents étaient tous morts dans des hôpitaux et la maladie lui collait des sueurs froides. Quand enfin, elle s’était résignée à se rendre à l’hôpital pour une série d’examens, la sentence était tombée. Cancer généralisé.

 

Je l’avais accueilli, soutenue, et plus que tout, écouté me parler de ses rêves et ses espoirs qui ne verraient pas le jour. Son mari avait changé le matelas et celui qui reposait sur moi était très épais et bien plus confortable que le précédent, mais cela n’avait pas empêché la maladie de gagner du terrain.

L’endroit où reposait sa tête était souvent humide, et ce malgré son oreiller de plumes. Toutefois, dès qu’une visite s’annonçait, elle redessinait un sourire sur son visage. À chaque fois que quelqu’un lui demandait comment elle allait. Invariablement, elle répondait :

 

« Je fais aller ! »

 

Malheureusement, elle avait fini par perdre la bataille. Aujourd’hui, ce sont ses funérailles et toute sa famille, ses amis sont là. Ils ont tous conseillé à monsieur de tout changer. De tout jeter pour faire place neuve à une nouvelle vie. Mais, je sais que lui n’y tient pas. Pas encore, et ce malgré l’insistance lourdingue de ses amis. Pourquoi ne comprennent-ils pas que j’ai été le témoin privilégié de leur amour ?

 

Ce soir, tandis que je m’inquiète, il me caresse doucement et me parle. Il y a tant de douleurs cachées au fond de ses mots que je m’inquiète de savoir s’il lui survivra. Allez je peux vous le dire, ce qu’il adviendra de moi, je m’en moque un peu. C’est le lot des vieux lits de finir à la benne. Mais lui, à cinquante ans, il a encore toute une vie devant lui ; et je ne suis pas certain que cela l’intéresse.

 

Maridan 13/11/2015



13/11/2015
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