Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

L'atelier du 14/10/2014

 

Pierre qui route n’amasse pas mousse, dit le proverbe, tu parles !

Depuis des années, je casse des cailloux. Je transpire sang et eau et personne ne vient me délivrer de cet enfer. Qui aurait pu croire que j’en viendrais à tuer ma douce Ginger ? Pas moi, c’est certain !

 

Le soleil tapait fort ce jour-là. J’étais rentré plus tôt que prévu. Accablé par la chaleur qui régnait dans l’atelier, j’avais eu un malaise. Mon abruti de collègue, pensant que je cherchais un prétexte pour rentrer plus tôt, s’était mis à chanter : « il pleut, il mouille c’est la fête à la grenouille ». Ce n’est que lorsqu’il m’avait vu tomber, qu’il avait compris que je ne simulais pas.

 

Ginger était une fleur de Roumanie, je l’avais rencontrée deux ans plus tôt, alors que je me promenais sur les bords du Danube. J’avais soudain vu apparaître cette splendide créature et un dieu malin l’avait fait trébucher dans mes bras. Nous ne nous étions plus quittés. J’avais acheté pour elle, une magnifique demeure. Nous nous y étions rendus de bonne heure.

 

La bâtisse était immense, aux lignes épurées, en vieille pierre de Portland. Devant la porte une tonnelle de fer forgé avait enchanté ma douce fiancée. Nous y avions connu de beaux moments. J’étais fou d’elle, de ses courbes gracieuses, mais plus encore de son âme romantique. Toutes mes petites attentions étaient, pour elle, une fête.

 

Notre premier Noël avait été une symphonie de rouge et vert. Elle avait fait de notre nid d’amour, l’antre du père Noël. C’était si féerique, que j’avais invité ma sœur et mes neveux. De son côté, elle avait reçu son père. Sa mère étant décédée alors qu’elle n’avait que dix ans. Ce premier Noël fut un feu d’artifice. Mon Dieu ! Que nous étions heureux !

 

La seconde fois que j’avais vu son père, il sortait du bar en titubant. Ginger en avait été profondément blessée. J’avais eu beau lui répéter que tous les hommes prennent une biture, un jour ou l’autre, elle avait été meurtrie que je l’ai vu dans cet état. Le pauvre homme ne s’était jamais remis de la disparition de son épouse. Il fallut presque une année à Ginger, pour pardonner à son père cette incartade.

 

L’année suivante, pour éviter un tel incident, nous étions restés en France, je l’avais emmené passer une semaine bucolique à Villeneuve les Maguelone, petit village des bords de la méditerranée. Je voulais qu’elle découvre la magnifique cathédrale, car tout comme moi, elle aimait à visiter les vieilles pierres. Et puis le village avait aussi l’église Saint Étienne au cœur du village. Tout aurait dû être parfait. Mais une fois de plus rien ne se passa comme prévu.

 

Arrivé sur place, je mis des heures à trouver où me garer. Une mamy nous indiqua enfin une place, mais en ajoutant que de toute façon,

  •  Il est toujours difficile de trouver une place à Villeneuve.

 

Heureusement, cela ne nous découragea pas. Et ce d’autant que la mamette en question ajouta :

  • C’est une belle journée pour se promener.

 

Assez d’accord avec elle, nous étions partis faire le tour des étangs. La nature dans ce coin était magnifique. Je vois aujourd’hui encore le radieux sourire de ma bien-aimée.

 

Le temps est passé, mais il me rattrape. Je reviens à nouveau à cet après-midi où épuisé, j’avais regagné la maison, deux heures plus tôt que prévu. Lorsque j’avais ouvert la porte, j’avais entendu des bruits en provenance de la chambre. Sur le guéridon, dans le couloir, j’avais vu une arme posée là. J’avais eu la peur de ma vie. J’avais aussitôt pensé à une agression. Ma femme était victime d’un salopard, je devais la délivrer. J’avais pris l’arme et je m’étais dirigé doucement vers la pièce où les râles étaient de plus en plus précipités. J’avais ouvert la porte et vu Ginger et son amant en pleine action.

 

L’horreur de la scène avait crispé ma main. Ginger s’était effondrée. Le type hébété me regardait avec un air bovin. J’avais vidé le chargeur sur lui. J’étais fou de douleur, de colère. Je ne raisonnais plus.

 

Je n’avais pas obtenu les circonstances atténuantes, le type était un flic connu et respecté de tous, moi j’étais inconnu même pour mes voisins. Depuis, je casse des cailloux en m’interrogeant sur l’utilité d’avoir des armes à feu dans une maison.


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C’est une journée à nulle autre pareille. L’arbre magique est fatigué. Fatigué de voir les hommes détruire ses frères. Il est le dernier. Le seul survivant de sa race, du moins le croit-il. Qui viendra au secours de leur mère nourricière. Il sent à travers ses racines son mal-être. Sa souffrance. Il tremble sous le joug de ses soubresauts.

 

Tant de douleur dans cette terre qui tremble. Au loin, un frêle esquif approche. Il se rappelle les débuts du monde, quand les hommes étaient encore en communion avec eux. Ses frères leur donnaient volontiers, les anciens et les malades. Ces derniers étaient heureux de retrouver, grâce aux hommes, une seconde jeunesse. Mais un jour les hommes avaient cessé de demander et ils avaient pris sans compter.

 

Le bateau s’est approché. À son bord, il observe le jeune homme qui tient la barre. Le ciel, autrefois si bleu, a pris une couleur grise qui présage de sa colère. Il n’est plus l’ami des hommes. Même lui a du mal à respirer tant les nuages sont serrés, oppressants. Ce jeune homme est trop jeune pour subir la colère du ciel. Alors, le vieil olivier en appelle à la sagesse des éléments. Aidez-moi, mes amis, ne laissez pas les nuages détruire cet enfant. Il n’est pour rien dans le drame qui nous touche aujourd’hui. Éole, s’il te plait, pousse le vers moi, regarde, j’écarte mes jambes, je lui offre un refuge. Il y a une part de soleil en chacun d’eux, il faut juste prendre le temps de leur expliquer.

 

  • Pauvre idiot, grondent les nuages, regarde-toi ! Tu n’es plus que l’ombre de toi-même. Combien faudra-t-il de tes frères pour que tu admettes que l’homme est un prédateur pour toi et les tiens ?
  • Éole, mon ami, ne l’écoute pas.

 

L’olivier observe le ciel de plus en plus sombre, l’horizon se couvre d’épais nuages blancs qui semblent transformer la mer en une vaste piste de glace. L’enfant devra-t-il affronter la glace pour rester vivant ?

L'olivier tend ses branches en une gigantesque prière, et son ombre s’étend, s’allonge démesurément, jusqu’à rejoindre le petit voilier. Et le bel arbre bleu voit avec reconnaissance le petit navire changer de cap.

 

Les nuages grondent, ils s’opacifient, ceux qui sont à l’horizon grossissent, s’approchent. Ils cherchent à engloutir les voiles latines, mais le skipper est doué, il se joue de la fureur des éléments et arrive enfin à bon port.

 

Heureux d’avoir permis de sauver ce jeune homme l’olivier referme ses bras sur lui.

  • Sois reconnaissant petit homme et dis à tes frères qu’aujourd’hui, un olivier a sauvé ta vie. Demande-leur de respecter mes frères que vous abattez, si cruellement, depuis des années. Quand il ne restera plus un arbre, qui vous protègera de la colère du ciel ? Sens comme notre terre gronde sous tes pieds. Ne crois-tu pas qu’il est temps de changer votre façon de vivre ?
  • Je te promets de diffuser ton message. Mais crois-moi, nous sommes pléiades à chanter vos louanges, à nous dresser face au monde mercantile. Partout dans le monde, des voix s’élèvent. L’heure de votre salut approche. L’heure de notre délivrance également. Nos enfants ne veulent plus de ce monde sans âme. Je te remercie pour ton aide.

 

L’olivier a veillé sur son ami jusqu’au lendemain, les nuages sont repartis et le frêle esquif  a pu rejoindre son village.

 

Depuis, chaque année, les villageois brûlent les palmes mortes pour la veillée de Noël, mais plus un ne coupe les arbres. On dit qu’au pays des îles magiques, les arbres sont revenus, plus grands et plus forts que jamais et qu’ils protègent les îliens de tous les mauvais coups des nuages.

 

La terre ne tremble plus, elle aussi a enfin trouvé le repos.

 

Maridan 14/10/2014



15/10/2014
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