Loulou est le griot 14/04/2013
Le blizzard frappe les carreaux. Il s'inviterait volontiers autour du foyer où crépite joyeux le feu. Furieux, il plante ses crocs dans les volets tandis qu'on le laisse de côté.
Loulou rêve toute éveillée en écoutant craquer le vent. Assise devant la table, elle ouvre le grand atlas de la maison. Quand elle sera grande, loulou voyagera autour du monde et parlera au moins cinq langues. Mais pour l'heure, les yeux fermés, elle pointe un doigt au hasard. L'Afrique, le Sénégal, Dakar. Ca sonne bien Dakar, ça sonne comme départ.
- -Loulou as-tu fais tes devoirs ? Demande sa mère
- Oui maman dit elle rêveuse tout en lisant dans le grand atlas.
SENEGAL
Pays de l'Afrique de l'ouest, bordé par l'océan atlantique à l'ouest, la Mauritanie au nord, le Mali à l'est et la Guinée au sud. Le pays doit son nom au fleuve qui le borde au nord et à l'est et prend sa source dans les montagnes de Fouta Djallon.
Le climat désertique au nord devient tropical au sud. Plusieurs ethnies le composent, parmi lesquelles : les wolofs, les peuhls, les toucouleurs etc... Malgré les nombreux dialectes, la langue la plus parlée est le wolof.
- maman c'est quoi une ethnie ?
- c'est un peuple avec ses coutumes et ses traditions...pourquoi me demandes-tu ça ?
- Pour rien, heu juste pour savoir.
Les mots l'interpellent. Dans sa petite tête, les mots l'appellent.
Elle regarde le bois se consumer dans la cheminée. Les flammes rouges, violettes, bleues, orangées s'animent curieusement. Les flammes deviennent brusquement des femmes. Incroyable, le charbon noir laisse deviner leurs peaux couleur ébène, tandis qu'elle dansent, bondissent, s'échappent, espiègles dans un crépitement de boubou colorés.
«Kaay danu t'attendons» Les flammes femmes chantent en langue de feu.
Long est le chemin qui te mènera prés de nous.
Tout est prêt pour te recevoir
Même si cela te semble bizarre
Ouvres ta porte au blizzard
Et laisse faire le hasard.
Des flammes dans les yeux, elles éclatent de rire.
Loulou est fascinée, envoutée. Le grand marabout s'est déplacé spécialement dans sa maison, a lu dans ses pensées. Lui seul sait comment et pourquoi le voyage se fera.
Elle enfile son anorak sort de la maison.
Aussitôt le vent l'emporte au loin dans la forêt. Le vent lui souffle dans l'oreille et elle voit de grands oiseaux dessiner un V majestueux dans le ciel gris.
Ce sont les grues qui migrent en direction de l'Afrique, murmure le vent. Tandis qu'il lui raconte les oiseaux migrateurs ; un oiseau blanc, qu'elle connaît bien parce que c'est le jar de sa ferme, se plante devant elle. Il est trois fois plus gros que la normale. Etonnée de le voir si grand, elle interroge le vent.
Le jar répond que c'est une poussée de croissance pour les besoins de l'histoire.
« Va falloir que je te portes. OK. Si tu veux voir le Sénégal, grouilles toi : j'ai pas que ça à faire. »
Loulou n'a pas du tout envie de voler avec ce goujat grognon goguenard.
« S'il vous plaît, bizarre blizzard, je ne veux pas d'un compagnon comme celui là. Il est malpoli. »
« Dac dac fillette, je m'excuse, répond le jars. On a tout notre temps. Mates entre mes plumes. C'est ti pas douillet ce petit duvet ? Y a même un coussinet pour tes fesses et un dossier. Il est pas gentil Jartou ? Jartou c'est mon nom, fillette.
« Bien monsieur Jartou. J'accepte de monter avec vous à une condition. Je m'appelle pas fillette. Mon nom c'est Loulou, dit Loulou en prenant place. »
« Maintenant que les présentations sont faites », rétorque le blizzard, « attention au départ ! »
Il souffle si fort, que les voilà partis dans les airs. Le jars emportant la petite au dessus de la terre. Par delà l'hiver glacé, les étangs givrés, les épais brouillards. Bientôt, le vent se fait plus caressant. Un doux zéphyr leur murmure des promesses d'aventures parfumées et colorées.
En bas c'est l'immensité bleu du ciel contre la mer.
-« Hé Loulou, jettes un œil à tribord. Ce sont les flamants roses. Qui sont un peu palots, certes, parce que depuis plus d'une semaine z'ont pas becté une seule crevette. Maintenant tu vas voir la méditerranée de prés fillette ».
Le jars pique du nez.
« Attention Jartou on va s'écraser ! »
« Pas de panique, je contrôle la situation » .
Rien du tout, Jartou n'a rien contrôlé .Tout deux flottent dans l'immensité désespérément bleu. Le Jars que l'on croyait imperturbable, sans peur et sans reproches, se noierait volontiers dans ses larmes. Mais Loulou est là pour lui remonter le moral.
« J'aurais cru l'eau plus froide ! » Dit-elle désinvolte.
La mer s'agite soudainement. Une énorme vague déferle. Eperdue dans son cri, Loulou voit un monstre marin de vingt mètres sur dix, plonger puis ressurgir des profondeurs abyssales. Bien qu'elle ait déjà vu des baleines à bosses à la télé, elle est loin d'imaginer en trouver une en plein milieu de la méditerranée. Inouï. La baleine récupère le jars et la fillette sur son dos, les porte en croisière tranquillement à travers une mer calme. Loulou et Jartou s'émerveillent et jouent avec les vagues. Bien plus loin, délicatement, elle les fait glisser sur sa queue. Prend son élan et les jette dans les airs. Nos deux compagnons se retrouvent dans le ciel effectuant d'incontrôlables sauts périlleux avant et renversés. Finalement les deux dégringolent tout à trac sur le sable doré d'une plage inconnue.
Ils sont tourneboulés, des milliers de baleines devant les yeux. Laissons-leur le temps de se remettre de ce choc sidéral et comptons jusqu'à dix. 9 8 7 6...
« Ca va ? »
« Ca peut aller et toi ? »
« Je suis entière. C'est surement l'Afrique ici.. Mais c'est que le début. Va falloir traverser le Maroc puis la Mauritanie... »
« Salam Malekoum. Labess ? Soyez les bienvenus ! »
Un chameau et un âne d'un tempérament un tantinet mercantile leur propose un marché.
« Je fais le taxi » déblatère le chameau.
« Moi aussi, braie l'âne. »
« 10 dirham la course ». Déblatère le chameau
« Je te la fais à 9 dirham ». Braie l'âne
« 8 » dit le chameau
« 7 » dit l'âne
« moi c'est gratuit ! » reprend furax le chameau
« moi je te paie 1 dirham ! » réplique l'âne effronté.
-
« Stop, vous allez vous arrêter oui ou non. On vient juste de sortir de l'eau. C'est pas le moment de nous embrouiller. Mais puisque vous nous offrez de nous conduire gratuitement, nous acceptons. Prend l'âne Jartou ! »
Et ils s’en vont cahin-caha.
Jartou et Loulou déambulent sous le soleil couchant dans le soir d'un pays jaune et bleu nuit . A l'horizon la poussière tourbillonne. Une énorme toupie de sable s'approche dangereusement. Puis stoppe sa course et l'on entend une grosse voix surgir de nulle part :
« le blizzard m'envoie vous escorter. Je m'appelle sergui vent du désert. Je me suis mis en tornade. Votre voyage n'en sera que plus court ».
Loulou et Jartou remercient l'âne et le chameau puis se laissent enrouler par le vent, au cœur de la tornade. En un instant d'éternité ils sont arrivés à destination.
La grosse voix se fait plus fluette, et le sable s'éparpille.
« Voilà c'est ici ! Bon vent les amis ».
Autour d'eux les clameurs, les couleurs flamboyantes les odeurs enivrantes se confondent sur le grand marché de Dakar.
Mangues , papayes, goyaves, jujubes, poisson frais et moins frais. En boubous vert, bleus, jaunes, violets, les femmes comme des flammes s'agitent bruyamment sur le marché et vendent leurs produits.
Loulou encore étourdie, des couleurs plein les yeux, des odeurs plein les narines et des sons plein les oreilles, aperçoit dans un recoin un vieillard solitaire, assis immobile. Elle s'approche de lui. Il sort un grand instrument de musique, une calebasse montée d'un long manche sur lequel sont tendues quelques cordes de nylon. Il joue, il chante, pendant ce temps d'autres musiciens le rejoignent : un djembé, un balafon, une kalunka. Le vieux chante sur sa kora, dans une langue inconnue qui fait battre les cœurs et qui charme l'enfant.
Il s'arrête de chanter et parle.
« Je suis un griot. Je chante et je raconte les paroles de sagesse et de connaissance du vent. Longtemps j'ai chanté à qui voulait m'entendre. Les gens venaient nombreux m'écouter et prendre conseil. Mais aujourd'hui plus grand monde ne m'écoute. Il y a la TV, internet, alors... Ca m'inquiète. Enfin tu es venu. Peut être que grâce à toi... »
Le vieux chante et tous ses musiciens jouent à nouveau. Les paroles de sa chanson dansent dans les airs, sautent et bondissent et se déhanchent.
Subjuguée, Loulou attrape son jars et danse avec jubilation au rythme des tamtams et de la voix du vieux sage.
Dans les airs il est écrit :
« Toi aussi tu sera colporteuse du vent. Chez toi, la bas ; tu iras parmi les gens raconter les merveilleux pays et les petites choses qui composent leurs vies. Tu leur diras comme sont belles et précieuses leurs vies si petites, mais si belles et si précieuses. Avec ta voix tu chanteras la parole du vent. »
Véronique
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