Maridan-Gyres

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Une belle rencontre

MATHIEU  LE  PHILOSOPHE

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Dans deux mois, jour pour jour, Mathieu le philosophe aura exactement un an. Du haut de ses dix mois d’existence, il a fait chavirer mon cœur. Par son regard d’éternel étonné et interrogateur. Par son calme légendaire accompagné souvent de sourires à peine ébauchés, voire énigmatiques façon Sphinx de l’ancienne Égypte. Le calme du Penseur de Rodin. D’où ce surnom de philosophe. L’étonnement dans le tourbillon des pensées silencieuses étant la source de toute philosophie. Que dis-je, les fondements mêmes.

 

Né par césarienne, il pesa 3,125 kg et mesura 51 cm à sa naissance. Quant à son périmètre crânien, il atteignit 35,60 cm. Actuellement, pour ses dix mois, son poids est de 8,94 kg et sa taille 70,50 cm. Un développement normal et des plus harmonieux.

 

Son carnet de santé révèle, à mon indiscrétion puis à ma satisfaction, que ses vaccinations sont à jour : BCG à cinq mois avec un test tuberculinique négatif, le Pentacoq à six mois avec ses trois injections au complet.

 

Six incisives (2 médianes inférieures, 2 médianes et 2 latérales supérieures) lui permettent, au goûter, de grignoter sans trop de peine le boudoir qu’il passe facilement d’une main à l’autre. Une fois la forme oblongue du biscuit tenue aisément (et combien fermement !) dans la main, il se plaît à le tourner et retourner dans sa bouche minuscule. S’opère alors une lente et laborieuse salivation qui ramollit astucieusement le boudoir avant que celui-ci ne soit achevé complètement (« on achève bien les boudoirs », bande annonce du prochain court métrage réalisé par Mathieu le cinéaste-philosophe !) et renvoyé vers les profondeurs labyrinthiques de son tube digestif. Et ce sans laisser la moindre miette (pas d’indice, s’il vous plaît !) malgré le sucre cristallin qui enrobait le biscuit. Le crime boudoirien est presque parfait pour un scénario de mastication qui dure à peine un quart d’heure.

 

Pour son déjeuner à onze heures, il m’a été accordé, par deux fois, le privilège de lui donner à manger. Quelle joie alors de le voir accepter avec grâce les cuillerées de purée de légumes (carottes, poireaux et pommes de terre) accompagnée de pâtes coquillettes (format mini) et de blanc de poulet finement mixé. Et le plaisir est partagé, je crois. Car lorsque, par un bref mais appuyé baise-main, je l’ai félicité pour avoir pu terminer aussi, après ce plat principal préparé avec les meilleurs soins par Sophie, les deux petits cubes de fromage fondu (la vache qui rit) et sa compote de pommes, il consent à m’adresser le plus beau de ses sourires charmeurs et le plus tendre des regards. Inutile ici de vous faire part de la dangereuse accélération de mes rythmes cardiaques ou, pire, de la brusque montée de mon adrénaline !

 

Inestimable aussi est cette joie qui pétille dans ses yeux lorsque je le sors du transat et le prends dans mes bras pour la préparation à la sieste.

 

Son endormissement est facile. De ses quatre siestes qui ont eu lieu durant mon stage pratique à la halte-garderie des Grésillons, j’ai pu constater combien son sommeil d’environ une heure (le plus long dure 1 heure 35 minutes, le plus court 40 minutes), est des plus calmes et des plus élégants. Pas de ronflement. Ni de bave. A peine si on entend le souffle de sa respiration légère.

 

Pacifique est aussi son réveil. Une fois le fidèle doudou, un ourson en tissu et habillé de vichy bleu pâle, bien suspendu à ses basques et à portée de ses mains, il peut aisément passer une demi-heure, dans son lit à barreaux, à rêver en silence (que dis-je, à philosopher calmement !) comme si, de lui-même, il veille à ne pas perturber le sommeil des autres. Une courtoisie suprême. Du raffinement aussi.

 

Tout, en lui, dénote cette concentration à vouloir explorer sans tapage inutile le monde qui l’entoure. A plusieurs reprises, je l’ai vu regarder sans  broncher un enfant de seize mois qui pleure sans arrêt et surtout sans raison. Jamais il ne dérange les copains. Encore moins saisir le jouet d’un autre. Non, il a tout un monde à lui. S’il lui arrive de se dandiner (ce qui révèle une excellente audition) au rythme de la musique de la cassette (Kids Songs par Nancy Cassidy) lors des moments de relaxation sur le tapis, il sait écouter sagement mais avidement, malgré son âge bien tendre, la voix cristalline de Nacéra chanter et rechanter des comptines ou lire les mêmes histoires. Des histoires de comment s’habiller, d’anniversaires et de câlins, de déceler ce qui se cache derrière les pages du livre etc … Tout un programme qui hante sa vie de bébé.

 

Il ne parle pas encore mais il sait comment, par des gestes, exprimer ses besoins. Une des priorités en ce moment est son ardent désir de marcher. Se déplacer à quatre pattes ne l’intéresse pas du tout. Mais alors, pas du tout. Ramper ? Pas pour moi. A-t-il l’air de dire, debout en prenant appui sur le tableau d’éveil. Non merci, pas vraiment.

 

Mathieu le philosophe est un petit bout de chou pressé. Il est pressé de marcher. A peine est-il dans mes bras que déjà il me force (comment fait-il pour que j’exécute sans rechigner et immédiatement ces ordres là, moi qui étais une rebelle notoire à une certaine époque de ma vie ?) à me lever, à tenir ses petites menottes pour le guider. Faisant fi bien sûr de mon inquiétude face à ce désir inhabituel de brûler les étapes. Car ses pas sont encore chancelants. D’autant plus qu’il a quelque mal à trouver une stabilité adéquate sur les deux pieds du fait de la chaussure de droite qui se referme mal à cause d’un usage prolongé du scratch et qui se défait donc à chaque pas conquis de haute lutte. Mais c’est ainsi, lui clopin-clopant et moi, respectant ce rythme, nous avons pu faire un bout de chemin ensemble. Du premier étage dans la chambre des petits à la grande salle commune du rez-de-chaussée. Nous arrêtant quelquefois devant le miroir pour interroger l’appartenance de nos visages réfléchis. De bien tendres parcours dont la fin me trouve exténuée et lui toujours aussi imperturbable avec, aux lèvres, le sourire conquérant de l’athlète victorieux du marathon.

 

Pour son développement intellectuel, il a à sa disposition, à la halte-garderie, toute une panoplie de jouets prêts à stimuler tous ses sens. Sans compter la ration plus que suffisante de câlins que, toutes, nous lui prodiguons généreusement. Un vrai pacha dans son harem.

 

Comme tout philosophe digne de ce nom, il sait anticiper. Même s’il ne possède pas encore la notion de la permanence des choses. Il mesure aisément l’espace qui le sépare de son tableau de découvertes, son jouet favori. Là il crée des sons en agitant le grelot, s’interroge au miroir ou encore appelle un hypothétique correspondant en tournant les trous du cadran circulaire du téléphone. Ah, les trous, il les adore. La dextérité de ses pouces ou de ses index commence à rivaliser avec celle de l’adulte.

 

Un matin, ses yeux d’aigle aperçoivent comme dans un éclair le trou déchiré au genou du jean « à la mode » de Nacéra. Furtivement il s’en approche avec la vitesse d’un avion espion. Et de ses petits doigts experts, gratte les fils blancs qui s’alignent à travers l’espace déchiré du tissu. Comme un guitariste qui gratte les cordes de sa guitare. La différence ici est qu’au lieu de l’envolée lyrique d’un Concierto de Aranjuez, c’est l’éclat de rire de Nacéra qui, chatouillée et surprise dans sa lecture à haute voix de l’histoire du loup qui s’habille, a mis fin à sa vocation de guitariste. Voire d’artiste chatouilleur.

 

Plus prosaïquement, en tant que bébé encore, il anticipe l’heure des repas et trépigne de joie quand je mets le bavoir autour de son cou. Familier qu’il est de ce rituel qui précède toute collation. Comme tout ce qu’il fait, il mange proprement. Il mange modérément. Prenant le temps pour déguster et sait, d’un signe de tête, exprimer son refus lorsqu’une cuillerée est de trop pour le gourmet qu’il est.

 

J’ai appris que son adaptation des premiers jours à la halte-garderie s’était faite sans heurts ni pleurs répétés comme c’est le cas le plus fréquent. D’emblée il a su s’adapter à ce nouvel environnement et quitter paisiblement sa mère chaque matin. Cette socialisation précoce est vraiment une réussite.

 

Il lui reste maintenant à conquérir l’autonomie.

 

Si je ne me fais pas de soucis pour sa très prochaine autonomie physique, je m’inquiéterai davantage pour sa future autonomie en tant qu’adolescent. A moins que d’ici là, sa maman ne lui trouve un papa aussi aimant qu’elle pour son éducation et pour le suivi attentif de son devenir en tant qu’homme face aux aléas de la vie.

 

Dans le cadre du rapport d’observation d’un enfant faite lors de mon stage pratique à la halte-garderie en tant que professionnelle de la petite enfance, j’ai peut-être et certainement outrepassé mon rôle en me laissant guider par ce choix (pourquoi Mathieu et pourquoi pas un autre ?) qui (dois-je l’avouer ?) n’a rien d’une étude objective. L’objectivité étant la première des conditions imposées à tout observateur.

 

Il me reste donc à compter sur l’indulgence du lecteur pour ce manquement et à lui demander de faire preuve de compréhension à l’égard d’une rencontre.

 

Brève mais intense entre Mathieu et moi.

 

Elfina

Paris - 2002



10/04/2019
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