Maridan-Gyres

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Atelier 6 - 2022 - sujet 4

Le nez

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Le nez nous met en relation avec les êtres et les choses. L’odorat est un sens particulièrement important. Il pourrait même nous informer sur l’affinité que l’on peut avoir avec une personne, ne dit-on pas « ne pas sentir quelqu’un ».

 

Savez-vous qu’il existe un métier dans lequel l’utilisation de cet appendice est indispensable ? Vous ne voyez pas ? Je suis ce que l’on appelle un « nez », un créateur de parfums. Grâce à mon odorat particulièrement sensible, je réalise de nouveaux parfums. Je suis à la fois un technicien et un artiste. Nous sommes très peu dans la profession.

 

Petit garçon déjà, tel un chien je reniflais la moindre fragrance : j’aimais humer les flacons de parfums de ma mère. Si elle changeait d’eau de toilette, je lui faisais remarquer immédiatement.

 

J’ai de la chance : j’habite et je travaille à Grasse, ville située sur une colline des Alpes Maritimes. C’est la capitale mondiale du parfum, le lieu où toutes les plus grandes maisons de parfums sont installées.

 

Adolescent, au printemps, je participais avec les employées saisonnières à la cueillette des roses de mai pour des parfumeurs dans les champs de Grasse. J’adore la fragrance de ces fleurs délicates.

 

J’envie les personnes qui ne sentent pas grand-chose. En ce qui me concerne, le plus petit effluve désagréable qui arrive à mes narines me dérange. Vous comprendrez alors que monter à Paris est un supplice. En été, déjà sur l’autoroute avant d’arriver dans la capitale, je sens une odeur étouffante et de plus en plus insupportable. A Paris, la puanteur des déjections canines m’assaille souvent lorsque je marche.

 

Un matin de janvier 2019, je me sens bizarre en entrant dans la cuisine. En effet, chaque jour je suis accueilli avec l’odeur agréable du pain grillé préparé par ma femme, là : rien. Tout d’abord, je ne comprends pas.  Ce n’est qu’une fois dans mon laboratoire assis devant mon « orgue », (meuble en forme de demi-cercle où sont rangés tous mes flacons) que je réalise la catastrophe. J’ouvre le flacon du dernier parfum que j’ai créé : aucune odeur. J’essaie d’autres flacons : pareil. Mon nez, mon outil de travail, est inutilisable comment rester zen dans cet état ? Je me sens coupé du monde. Plus d’odorat, donc plus de travail.  Que vais-je faire ?

 

Je panique puis réfléchis. Je prends rendez-vous avec mon médecin traitant. Il me dit qu’en général l’odorat revient rapidement. Il me prescrit un médicament mais pas de résultat.

 

Impossible d’avoir un rendez-vous avec un ORL avant deux mois dans la région.

 

Désormais, je mens et joue la comédie à tout le monde en faisant croire que tout va bien.

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Mon patron vient me voir. Il s’étonne que je m’enferme maintenant dans mon laboratoire. Il me demande si je vais bientôt pouvoir lui présenter un nouveau parfum. Je lui réponds « ça avance ».

 

Je tourne en rond. Je ne veux plus sortir. D’habitude j’aime descendre à Cannes me promener en bord de mer ou grimper dans les collines pour admirer la vue. Maintenant c’est fini plus rien ne m’intéresse.

 

Caroline, ma femme adore préparer de bons petits plats. Après une semaine d’inappétence et mon manque d’enthousiasme pour sa cuisine, elle me dit : « désormais, j’ouvrirai des boîtes et ferai des salades, je ne vois pas pourquoi je vais me compliquer la vie à cuisiner puisque tu n’apprécies plus ma cuisine ».

Je réponds « excuse-moi, je suis fatigué ces derniers temps. J’ai des soucis dans le travail ». Lorsqu’elle veut en savoir plus et me questionne, je reste muet.

 

De nature enjouée et sociable, je suis prostré et ne veux voir personne. Nos amis s’inquiètent, ils pensent que je fais une dépression. Ils lui conseillent de prendre rendez-vous chez un psychiatre, ce que je refuse.

 

Cela fait maintenant un mois que j’ai ce problème.

Je dors très mal. Je me lève la nuit et m’assois à côté de la piscine. Qu’allons-nous devenir ? Je vais être licencié. Caroline ne travaille pas. Heureusement, la maison est payée et les enfants sont partis. Nous avons un train de vie important. Nous partons régulièrement en voyages. Finie la belle vie ! Nous allons devoir réduire considérablement nos dépenses et peut-être même vendre notre villa : l’angoisse !

 

Retrouver du travail à 50 ans est très difficile. Ma passion est de créer des parfums je ne sais faire que cela depuis 25 ans.

 

Je retourne voir mon médecin. Il me prescrit un anxiolytique et un somnifère.

 

Une semaine plus tard, alors que je suis en train de me raser dans la salle de bains, Caroline laisse tomber un flacon d’eau de Cologne qui se casse sur le carrelage. L’odeur me prend à la gorge et je me mets à tousser et j’ai du mal à respirer. Nous sortons sur la terrasse. Je m’approche des mimosas et découvre avec joie que je respire à nouveau leur parfum. Quel bonheur : mon nez est débouché et j’ai retrouvé mon odorat !

 

Le lendemain samedi à huit heures du matin, j’ouvre la porte du laboratoire sous l’œil étonné du gardien.

 

Iris



08/05/2022
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