Maridan-Gyres

Mon aviateur.

Il a troqué son chapeau contre son casque d’aviateur. En partant pour Istres, il m’a dit « prends en soin, je reviendrai le chercher, promis ». Quinze jours déjà qu’il est en opex. Je haïs ce mot, contraction grammaticale barbare,  synonyme d’absence, de black-out et d’angoisse.

Depuis son départ, je viens tous les jours sur ce rocher ; la sérénité de la forêt me calme, m’apaise, me rassure. Ce rocher est à nous. La première fois, c’était le jour où ses parents lui ont offert un scooter pour son passage en seconde. Il avait 16 ans, moi 14. Autel de la communion de nos âmes d'ados, il est devenu notre refuge, témoin muet de nos fous-rires, de nos secrets, de nos projets. Je savais qu’il était épris d’aventure et malgré nos vives discussions, assis sur notre forum, je ne me faisais plus d’illusions sur ce casse-cou d’amour. Je l’aime malgré, ou à cause de cette adrénaline qu’il m’inflige régulièrement. Sans elle, il ne serait pas le garçon que je désire. Heureusement, j’ai pu éviter l’engagement dans les forces spéciales.

Les évènements récents, relatés à longueur de journées dans tous les médias, ne sont pas pour favoriser ma tranquillité. C’est bien un symptôme du voyeurisme de notre société que de vivre la guerre comme mon petit frère avec son jeu war thunder où morts et blessés ressuscitent sans cesse. Pour nous, les familles des soldats, c’est loin d’être une série télé. Chaque matin, nous nous précipitons sur les chaînes d’information en continu, angoissés par les images des camps de prisonniers encerclés de barbelés.

Avez-vous ressenti comme est intemporel notre rocher, dominant cette canopée brumeuse ? J’aime venir m’y ressourcer. Aujourd’hui, une grue vient me survoler, comme pour me rassurer, avant de rejoindre son groupe de migrateurs, en formation d’avions de chasse.

Dorémi

Janvier 2023.