Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 10 - 2023 Sujet 3

 

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Le chêne couché.

 

Il ne parlait jamais de son état de santé. En apparence, tout allait bien. Le tronc peu noueux pour la région cévenole, d’une bonne hauteur d’au moins huit mètres pour se gaver des rayons du soleil, d’un embonpoint raisonnable d’un mètre de diamètre, peu envahi par les lierres, accueillant les lichens, garde-manger pour rouges-gorges, merles et autres volatiles du jardin. En ce début mai, pas encore trop chaud, il s’est couché, sans raison apparente. Peut-être était-il tout simplement fatigué de devoir supporter, une fois de plus, la canicule estivale annoncée ?

 

Debout, il ne se faisait pas remarquer au milieu de ses congénères. Il en était le plus grand et le plus svelte. Il remplissait la mission que la nature lui avait confiée : résister au vent et au froid des hivers puis se parer de ses plus belles feuilles, du printemps à l’automne, et ainsi fournir généreusement, l’ombre tant recherchée par les cigales de notre Midi. Il n’exigeait aucun soin particulier, les racines bien ancrées au milieu des rochers.

 

Discret toute sa vie, il le reste pour le final. Il ne s’est pas écrasé, ni affalé ; aucune bourrasque ne l’a plaqué. Tout simplement, il s’est allongé de lui-même, sans bruit ni dégât. Il a choisi un angle de chute où il ne blesserait aucun de ses frères, ni aucune plantation du bosquet où il logeait. Sa tête, aux bois splendidement ramifiés à rendre jaloux tous les cerfs du pays, repose délicatement sur un muret de pierres sèches, sans avoir fait chuter un seul caillou. Tout penaud, il s’excuse de gêner le passage. Sa timidité lui a même fait choisir un jour où la maison était vide afin de ne pas déranger.

 

Il connaît son sort. Mais il n’en est pas attristé. Le croque-mort le débitera en bûches de 50 et l’empilera pour sa prochaine mission. Un arbre aussi vénérable a une âme, qui ne se volatilise pas de suite. Pour elle, quel déchirement que de devoir quitter ce lieu après tant d’années; elle a des souvenirs, elle y est attachée. Aussi faut-il bien deux à trois ans avant qu’elle ne se décide à rejoindre ses sœurs au paradis  des amentacées.

 

Durant l’hiver qui suivra, ce rouvre se montrera une fois de plus magnanime, en passant par le feu de la cheminée, sainte crémation, que tous les hôtes des lieux respecteront. Notamment, le chien et le chat qui, pour une fois, ne se chicaneront pas. Allongés sur leur tapis respectif, ils regarderont la flambée avec respect. Ils se souviendront de leurs courses poursuites, finissant toujours par la montée du chat dans les branches de l’arbre, hors de portée du chien qui ne cessera d’aboyer qu’à la remontrance de son maître, sous le rire malicieux du chat heureux de voir son frère fâché. Puis les cendres de ce centenaire seront dispersées dans les bosquets du souvenir qui parsèment le jardin.

 

Notre arbre connaît parfaitement ce futur charitable. Il n’est pas apeuré ; au contraire, il l’attend avec calme et sérénité. C’est sa vie, c’est la Vie. Comme l’écrivait Jean d’Ormesson, la mort fait partie de la vie, car sans la mort, il n’y aurait pas de vie. N’est-il pas, ce brave chêne, un exemple pour nous aider à tourner cette page, lorsque notre mission sera terminée ?

 

Dorémi.

Juin 2023



09/07/2023
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