Atelier 11 - 2022 - sujet 6
Je me souviens que lorsque j’étais petit garçon, j’étais extrêmement timide. Je rougissais comme une tomate me disait mon frère pour me mettre en rogne. Il avait entièrement raison mais je lui en voulais à mort de le dire devant Caroline, mon amoureuse.
Nous passions alors toutes nos vacances dans une maison en bois au milieu d’une clairière, près d’un petit lac. J’aimais bien m’installer au pied d’un grand arbre avec mon carton à dessin et mes fusains. Je laissais vagabonder mon esprit et parfois, je m’endormais en ce lieu qui me donnait l’impression d’être entièrement en sécurité.
Mme Fourtou, comme nous la surnommions, car elle conservait tout et n’importe quoi, était une personne sans âge qui vivait à l’autre bout du village. Une fois, elle m’avait parlé de sa vie à l’étranger, en Mongolie, en Inde… Elle m’avait confié, le jour où je lui faisais voir mes croquis, que cet arbre millénaire était connu des Mongols comme étant « l’arbre de la connaissance ». Ses racines tentaculaires sont harmonieuses et non tortueuses, ses branches incomparables ont la particularité de tomber au sol pour devenir racines à leur tour. « Ainsi, le cycle de la vie ne s’arrête jamais », m’avait-elle précisé.
Depuis ce jour, en m’asseyant au pied de l’arbre, je me prenais à rêvasser. Je voyageais en Inde, je montais sur un éléphant, je rencontrais la princesse des milles et une nuit enveloppée dans un sari rouge, j’étais le prince au turban d’or…
Hélas, mes rêves étaient souvent interrompus par les cris de mon frère
« Jean de la Lune, viens t’amuser avec nous, lâche tes crayons. Demain on repart et tu auras passé presque toutes tes vacances seul sous cet arbre géant. »
Avant de les rejoindre, je décidai de creuser un trou au pied du résineux et d’y déposer le coffret que mon oncle m’avait offert et de le remplir de quelques uns de mes dessins que je ne voulais montrer à personne.
L’année suivante, à notre retour, je me précipitai vers le figuier à la recherche de mon trésor. Quelle ne fut pas ma surprise de retrouver à l’intérieur du coffret, non pas mes dessins, mais la photo d’un enfant cosmonaute !
- C’est quoi cette plaisanterie ?
Je soulève la photo et découvre un petit papier roulé comme un parchemin. Je le déplie délicatement car il a l’air aussi fragile qu’un papier de soie. L’écriture est petite et hésitante :
Bonjour, je m’appelle Olympe, je vis dans la même maison que toi, mais en sens inverse. Cela doit te paraître absurde, mais c’est la réalité. Tu peux la distinguer en contrebas, dans le reflet du lac. Fais attention à ne pas tomber !
L’arbre que tu dessines au coucher du soleil, moi je le vois dans l’obscurité, ou plutôt je le devine et je le sens. Je ne peux pas entendre les oiseaux qui chantent sur ses branches, mais la musique que j’ai dans la tête les remplace.
Je vais te confier mon secret, je suis une enfant de la Lune. Ne ris pas, ce terme pompeux employé par les adultes cache une maladie génétique. Je trouve cette expression ridicule parce que moi en réalité j’aime plus le jour que la nuit. Le jour, je ne peux jamais sortir sans l’équipement que tu vois sur la photo : gants, pantalon couvrant, bottes, gros manteau et surtout ma bulle. C’est ma mère qui l’a confectionnée spécialement pour moi. Quand j’étais plus petite, cela m’amusait de me déguiser comme je le disais, avec un casque de ski et une cagoule, mais maintenant, avec ce casque spécial confectionné en plexiglas recouvert de filtres anti UV et rattaché à une cagoule avec un ventilateur qui fonctionne avec des piles, c’est devenu un véritable calvaire. J’ai l’impression d’être une extraterrestre. Notre maison est entièrement équipée de filtres anti UV sur toutes les vitres. Nous n’avons pas beaucoup de visites. Lorsque le confinement pour la Covid a commencé, cela ne m’a pas trop dérangée, car j’étais déjà confinée et mes études se déroulaient exclusivement en visioconférence. Les élèves de ma classe je ne les vois qu’à travers des écrans. Je n’ai aucun contact avec eux.
Alors quand je me suis assise au pied de l’arbre et qu’en creusant un peu j’ai trouvé ton coffret cela m’a fait comme une explosion de joie dans le cœur. Enfin je pouvais voir la vie dans l’autre sens, j’ai découvert mon arbre et ma maison sous les rayons du soleil sans avoir à me cacher. J’ai montré tes dessins à ma mère qui les a épinglés sur les murs de ma chambre. Elle dit que tu as beaucoup de talent et te verrait bien devenir artiste ou architecte.
J’espère que tu ne m’en voudras pas d’avoir déterré ton secret et que tu sauras garder le mien, car peu de gens peuvent me comprendre. Je vais essayer de faire un croquis de l’arbre vu de mon côté et j’espère que tu seras indulgent car je suis plus musicienne que dessinatrice.
Enfin, la question la plus importante que je voudrais te poser est la suivante : accepterais-tu de devenir mon « Petit Prince » et je serais « ta rose », nous pourrions apprendre à nous connaître par l’intermédiaire du coffret qui nous servirait ainsi de boîte aux lettres. Tu me ferais des dessins et moi je t’enregistrerais des mélodies au piano. Réponds-moi vite, je me repose au pied de notre arbre en attendant. A bientôt j’espère.
Signé : Olympe
Fleurs de Mai
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